Kamanda, Kama Sywor: Contes

Notre africanité

d'Lëtzebuerger Land vom 29.04.2004

C'est un volume impressionnant que publie Kama Sywor Kamanda: près de 800 pages retraçant plus de 200 contes africains. La magie de l'Afrique, l'enchantement d'une imagination débridée qui fait coexister réel et fiction mettant l'une au service de l'autre, éclairant l'une par l'autre. Kamanda aura eu le mérite de réunir ces contes et de les avoir transcris, de les avoir réécrit. On lira avec enchantement et avec autant de profit ces contes qui s'apparentent dans leur fonction à des mythes: ils donnent une explication à cela qui nous interpelle et qui demeure sans réponse. 

Le conte africain, tel que Kamanda nous le fait découvrir, a cette particularité d'être une explication des origines, d'être une réponse à l'inquiétude ontologique universelle. Comme ce conte intitulé «La Vie et la mort» et dont nous citons juste la fin, la morale: «C'est depuis ce jour que la vie est inséparable de la mort : quand l'une laboure l'espace, l'autre délimite le temps». 

Souvent, le conte africain se termine par la formule «Depuis ce jour...» . Ce qui suit cette formule, c'est l'ordre que nous connaissons, ce qui s'apparente à ce que Propp appelle «l'équilibre initial». Ce qu'il y a à la fin du conte, c'est l'ordre naturel. 

Ainsi, le conte se fait mythe des origines, incursion dans le liminal des origines et explication rassurante de notre réalité. C'est là, à notre avis, la source de l'enchantement que produit l'ouvrage de Kamanda. Cet enchantement ne résulte pas de l'exotisme du monde évoqué, ce monde dont le bestiaire est autre, ce monde peuplé d'ogres, d'ombres, de magiciens, d'heur et de malheur ; il émane plutôt du profil de l'Afrique qui se dégage de cet ouvrage : l'Afrique est amour de la vie. En cela l'Afrique est bien plus que le continent qu'elle est. L'Afrique est un projet, un mode d'être au monde et une prédisposition à aimer la vie. En cela on peut être Africain même quand on est d'ailleurs. Et je ne résiste pas à la tentation de dire que le monde sera moins immonde le jour où il reconnaîtra son africanité. (Il m'est arrivé de dire la même chose pour tous les autres continents. Et, utopiste impénitent, je le répète ici.)

Le travail de Kama Sywor Kamanda est une invitation à la lecture, à une recherche dont nous ne pouvons ici qu'esquisser quelques pistes. Une poétique du conte africain s'impose. Elle s'attellerait à définir la spécificité du conte africain et ce dans une perspective qui en dévoilerait l'universalité. Nous savons depuis les travaux de Vladimir Propp que le conte, d'où qu'il soit, obéit des schèmes universels et qu'il existe des universaux du conte. Or il n'est pas certain que les contes africains adhèrent à ces schèmes. Ils sont plus didactiques en ce sens qu'ils enseignent une sagesse, un mode d'être soutenu par une conception du bonheur qui pourrait nous être d'un grand secours. Le bonheur ne relève pas de l'avoir mais du savoir, d'une ascèse et d'une adhésion à la vie. Et le sens des choses ne se situe pas à la surface. Il y a une signification de la vie, de l'être qui est sous-jacente. Est sage celui qui peut la décrypter.

Mais le principe même de cette réécriture nous semble problématique. Nous avons à cet égard l'exemple des Mille et Une Nuits: pendant des siècles, le texte manuscrit a été enrichi par des scribes qui, profitant de la structure même d'une oeuvre faite de digressions, de parenthèses ont pu y apporter des ajouts anonymes. Ces apports ont pris fin le jour où l'oeuvre a été imprimée. Et le texte dont nous disposons aujourd'hui est dit «version définitive». Certes cette version a pu donner lieu à toute une littérature aussi universelle que riche mais le texte en soi ne vit plus de sa propre vie. Il y a donc lieu d'espérer que les textes figés par la publication qu'en fait Kama Sywor Kamanda trouvent des plumes d'ici ou d'ailleurs qui les réécrivent, qui s'en inspirent redonnant par là une seconde vie aux contes réunis par Kamanda. À lire donc. À réécrire.

Kama Sywor Kamanda: Contes ; éditions Eben'A, Paris Coéditeur Éditions Paul Bauler, Luxembourg, 2003 ; Illustrations Louise Fritsch, Saba, Calo et Katia Thomas ; 799 pages ; ISBN : 2-919885-50-2

Jalel El Gharbi
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