Films made in Luxembourg

Un thriller en plein délire

d'Lëtzebuerger Land du 16.10.2020

Régine semble avoir une double vie. Elle passe ses nuits à faire la fête sous des néons rouge dans une ambiance emo et sensuelle, mais ses journées se déroulent entre la grisaille de l’usine où elle travaille et celle de l’appartement qu’elle partage avec son compagnon, Jacob. Elle se dit heureuse : « avec un job et un petit ami », résumera-t-elle un peu plus tard, mais il est difficile de ne pas entendre autour d’elle les commentaires de ses collègues : «Tu crois qu’elle est foutue ? », « La salope », « Je ne l’aime pas »… font partie des gentillesse qu’elle supporte à longueur de journée.

Le spectateur ignore tout d’elle, son amoureux ne semble pas en savoir davantage. Pourtant, un soir, un homme l’attend chez elle. « Il dit qu’il vous connaît toi et ta mère », lui explique Jacob. Sa présence semble déranger la jeune femme, la perturber, l’énerver. Et ça peut se comprendre : le visiteur, Robert, lui annonce non seulement que sa famille lui a menti toute sa vie, que son frère Isaac – dont il est le père – est vivant et qu’il vient de tuer sa grand-mère. De quoi en déstabiliser plus d’un.

Voilà que Régine plaque tout. Elle va rendre visite à sa mère à l’hôpital psychiatrique et rentre « chez elle », dans cette petite cité à la campagne, dans cette grande demeure où elle a grandi et où vit toujours son père.

Les décors et les accessoires du film ne permettent ni de situer, ni de dater le récit. Ce qui est certain c’est que le reste de l’histoire se déroulera dans un petit village entouré de forêt, où la religion a encore une place centrale parmi les habitants, où tout le monde se connaît, où les inimitiés sont tenaces et où les secrets demeurent bien gardés. On pourrait presque se croire dans la série Capitani.

Dans sa maison de famille Régine se souvient : sa mère en train d’accoucher, aidée par sa belle-mère, son père immobile, presque absent, dans la cuisine. Puis ce bébé difforme que sa grand-mère décide de faire disparaître à peine sorti du ventre de sa mère. Premier d’une longue liste de flash-backs qui rythmeront les 86 minutes de cette production luxembourgo-belge (Calach Films).

Autant dire que Régine ne portait pas sa grand-mère dans son cœur. Si elle est revenue, bien plus que pour l’enterrement, c’est « pour apaiser mon passé, pour tourner la page », puis « oublier cet endroit, mon frère et ma famille pour de bon », lance-t-elle sans ménagement.

À la campagne, elle quitte ses vêtements sombres et leur préfère une jolie robe blanche à fleurs. Tout un symbole. Pourtant, heure après heure, minute après minute, les horreurs du passé refont surface, les blessures se rouvrent, les traumatismes enfouis remontent à la surface. Et petit à petit, la jeune femme perd pied. « Régine perd le contrôle sur son identité et son corps. La maladie prend possession d’elle », explique le réalisateur – principalement connu pour son travail de directeur créatif dans l’industrie de la mode avec la marque Belle Sauvage, bien que diplômé de la London Film School – qui voulait « continuer à exploiter ces peurs schizo-paranoïdes » après avoir déjà mis en scène une jeune femme atteinte de troubles mentaux dans son dernier court-métrage.

« Le film est une exploration du monde paranoïde et parfois fantastique du personnage principal », ajoute Christian Neuman. De thriller, le film devient alors thriller psychologique, puis flirte avec le film d’épouvante pour proposer une dernière demi-heure oppressante et angoissante. Ce glissement vers le cinéma de genre, ne plongera cependant pas Skin Walker dans le « film d’exploitation », puisque une grande attention est portée, tout le long du film, à la qualité du récit, de l’image, de la photographie, du montage, sans oublier un travail de très niveau sur le son et la musique.

Certains choix artistiques donnent même au film quelques séquences qui risquent de rester gravées dans les mémoires : le monologue, face caméra d’Udo Kier (magnifique dans le rôle du père, lui aussi borderline, de la jeune fille) sur le rythme du Requiem de Mozart avec ce long et lent travelling avant, est une merveille.

Le film est abouti, rythmé, maîtrisé en tout point, même quand le réalisateur se lance dans la périlleuse aventure de proposer au spectateur de choisir entre deux réalités possibles : celle de Régine ou celle de son père, pourtant à l’opposée l’une de l’autre ; ou encore quand il tente la fausse piste de l’invraisemblable happy-end. Une réussite, sans aucun doute, mais un long-métrage pour amateurs films de genre, perturbants avec des moments véritablement déplaisants.

Pablo Chimienti
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