La pandémie a modifié le cours des transactions courantes. Moins de voyages, baisse du prix de l’énergie ou encore le commerce des produits médicaux ont bouleversé les équilibres

Pression sur les échanges

d'Lëtzebuerger Land vom 20.08.2021

Les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur les échanges extérieurs dans le monde ont curieusement été peu évoquées depuis début 2020 et la globalisation de la maladie. Cette lacune a été comblée le 2 août avec la publication d’un rapport du Fonds monétaire international (« External Sector Report 2021 : divergent recoveries and global imbalances ») qui montre que la trajectoire suivie depuis 2015 par le solde mondial des transactions courantes, qui mesure les échanges extérieurs des pays, a été profondément modifiée. Depuis plusieurs années, la somme des déficits et excédents avait tendance à diminuer, passant d’environ 3,6 pour cent du PIB mondial en 2015 à 2,84 pour cent en 2019. Au début 2020 on s’attendait à une nouvelle baisse pour atteindre 2,82 pour cent. Au lieu de cela, le solde mondial des transactions courantes s’est élevé à 3,24 pour cent, retrouvant son niveau de 2016. La crise sanitaire est passée par là. Quatre grandes tendances alimentées par la pandémie sont à l’origine de ce rebond.

Les voyages ont diminué, exerçant un impact négatif considérable sur les soldes des transactions courantes des pays où les recettes du tourisme pèsent lourd dans le PIB comme l’Espagne, la Thaïlande et la Turquie. Les conséquences étant encore plus graves pour les petits pays qui dépendent davantage du tourisme. La demande de pétrole s’est effondrée : bien que la chute se soit avérée relativement courte, tout comme celle des prix de l’énergie - les cours ayant remonté au second semestre 2020 - les pays exportateurs de pétrole, comme l’Arabie saoudite et la Russie, ont vu leur solde des transactions courantes diminuer fortement en 2020. Dans les pays importateurs de pétrole, la balance commerciale pétrolière s’est améliorée en conséquence. Le commerce des produits médicaux a explosé. La demande a bondi d’environ trente pour cent pour les fournitures médicales essentielles à la lutte contre la pandémie, comme les équipements de protection individuelle et les matières nécessaires à leur fabrication, avec des répercussions sur les importateurs et les exportateurs de ces biens.

La structure de la consommation des ménages a changé. Contraints de rester chez eux une partie de l’année, les ménages ont augmenté leurs achats de biens de consommation. Ce changement s’est surtout manifesté dans les pays avancés, où l’achat de biens durables, tels que les appareils électriques utilisés pour permettre le télétravail et l’apprentissage en ligne, a augmenté. En revanche, plusieurs dépenses de services (voyages, hôtellerie, restauration, loisirs et divertissements) ont été fortement réduites. Cela dit, l’impact sur les économies et donc les échanges extérieurs des différents pays a été très variable. Avant même la pandémie, il existait des pays structurellement excédentaires et d’autres continuellement déficitaires avec des montants parfois très importants rapportés à leurs PIB. Comment ont-ils évolué ? Dans son rapport, le FMI étudie un échantillon de 29 pays, dont seize économies avancées. Sur le total, 19 pays étaient excédentaires en 2019, dont quinze de façon continue depuis plusieurs années. Parmi eux figuraient des pays européens plutôt attendus à ce niveau (Pays-Bas, Allemagne et Suisse avec des niveaux de sept à dix pour cent du PIB), d’autres plus surprenants mais dont la position doit beaucoup au tourisme (Italie, Espagne avec deux à trois pour cent du PIB). Chine et Russie font aussi partie des excédentaires habituels.

Sur ces 19 pays, treize ont amélioré leur pourcentage en 2020 malgré la pandémie ! Six économies avancées se trouvent dans ce cas : Singapour, Hong Kong, la Corée, l’Italie, la Suède et l’Australie. Les sept pays émergents ou en développement qui les accompagnent sont la Chine, l’Inde, le Mexique, l’Afrique du sud, l’Argentine, la Pologne et la Malaisie. Un résultat qui s’explique en partie par un simple effet arithmétique puisque la crise s’est traduite par une baisse de la quasi-totalité des PIB des pays du monde. Mais il montre au minimum la résilience de leurs échanges extérieurs. En revanche, sans que cela soit réellement une surprise, sur les dix pays qui étaient déficitaires en 2019, là aussi depuis plusieurs années, plusieurs ont vu leurs déficits s’aggraver en proportion de leurs PIB. C’est notamment le cas du Canada et de la France avec des taux 2020 très proches (respectivement -1,8 et -1,9 pour cent) mais surtout des États-Unis où le déficit atteint -2,9 pour cent du PIB et du Royaume-Uni, qui détient le record des pays développés de l’échantillon (-3,5 pour cent). Trois pays (Belgique, Arabie saoudite, Turquie) sont même passés d’un excédent à un déficit en 2020, très lourd pour le dernier pays cité (-5,1 pour cent).

Pour le FMI si autant de pays ont tiré leur épingle du jeu c’est grâce aux « exceptionnelles mesures de soutien, qui ont permis d’éviter une dépression économique mondiale ». Les déficits, peu nombreux dans l’échantillon (sept pays) ne semblent pas alarmer le Fonds, qui s’inquiète surtout des « déséquilibres excessifs, supérieurs à ce que justifieraient les données fondamentales de l’économie et des politiques économiques appropriées » : ils peuvent avoir des effets déstabilisants sur les pays en alimentant les tensions commerciales et en augmentant la probabilité d’ajustements perturbateurs. Or en 2020 leur montant est resté globalement inchangé à environ 1,2 pour cent du PIB mondial. D’autre part Martin Kaufman et Daniel Leigh, les auteurs du rapport, estiment que « la situation financière mondiale favorable, bénéficiant d’un soutien sans précédent de la politique monétaire des grandes banques centrales, a permis aux pays de financer plus facilement de gros déficits de transactions courantes ». Un net progrès par rapport aux crises précédentes, « pendant lesquelles les conditions financières s’étaient fortement durcies, rendant plus difficile de financer des déficits de transactions courantes, ce qui a plongé des pays dans la récession ».

Pour 2021 le FMI prévoit une nouvelle augmentation du total des soldes et un accroissement des écarts entre les bons élèves et les mauvais. Le cas des économies avancées est révélateur. Sur les onze pays excédentaires en 2020, tous le resteront en 2021 et six vont même améliorer leur position. En revanche les cinq déficitaires vont tous le demeurer et quatre verront même leur situation se dégrader : États-Unis, Royaume-Uni, Belgique et France. En somme, les bons élèves seront encore meilleurs et les mauvais seront encore plus à la traîne. Par comparaison les économies émergentes et en développement seront mieux loties. Sur les neuf pays excédentaires en 2020, huit le resteront, même si six d’entre eux seront en baisse et si l’Inde passera en déficit. Sur les quatre déficitaires, un seul connaîtra une dégradation et un autre (l’Arabie saoudite) redeviendra positif.

Le FMI considère cependant que la tendance observée en 2021 ne devrait pas durer. « Les soldes diminueront dans les années à venir, à mesure que l’excédent de la Chine et le déficit des États-Unis baisseront, pour atteindre 2,5 pour cent du PIB mondial d’ici 2026 », écrivent les auteurs de l’étude. Mais ces prévisions sont fragiles car l’évolution envisagée pourrait être retardée en cas de résurgence de la pandémie, mais aussi « si de grands pays déficitaires, comme les États-Unis, entreprennent une nouvelle expansion budgétaire ». En effet, pour l’organisation basée à Washington, la crise sanitaire n’a pas encouragé à la rigueur les pays dont le solde des transactions courantes était déjà très négatif, c’est pourquoi leurs déficits se sont creusés : ils devraient désormais s’efforcer de « réduire leurs déséquilibres budgétaires à moyen terme et entreprendre des réformes visant à accroître leur compétitivité, notamment dans les politiques d’éducation et d’innovation ».

Mais le Fonds estime aussi que les pays excédentaires comme l’Allemagne, nommément citée, doivent se garder d’accumuler les surplus. Chez ceux qui disposent encore d’un « espace budgétaire » suffisant, les politiques économiques devraient soutenir la croissance à moyen terme, notamment en augmentant les investissements publics. Une « poussée synchronisée » des dépenses de santé à l’échelle mondiale pour mettre fin à la pandémie, et des investissements pour alimenter la reprise, pourraient avoir des effets considérables sur la croissance mondiale, sans pour autant augmenter les soldes mondiaux. Mais pour Kaufman et Leigh les États devraient aussi s’attaquer à la réduction des tensions commerciales et technologiques, et à la modernisation de la fiscalité internationale : l’élimination progressive des barrières tarifaires et non tarifaires, surtout pour les produits médicaux, devrait être une première priorité.

Excédent luxembourgeois

La balance courante (ou balance des paiements courants) retrace les flux monétaires liés aux échanges internationaux d’un pays. Elle est composée de la balance commerciale (échanges de biens), de la balance des services et de la balance des revenus. Les différences de structures des économies donnent des poids relatifs variés à ces différentes composantes et certains pays ont tendance à être « naturellement » débiteurs (France) ou créditeurs (Luxembourg). Avoir un solde de balance courante positif permet à un pays d’accroître sa détention d’avoirs étrangers, de rembourser sa dette plus rapidement et de renforcer sa capacité à prêter à d’autres pays. Inversement un solde négatif doit être compensé par des emprunts auprès d’agents économiques extérieurs.

Au Grand-Duché en 2020, le solde du compte des transactions courantes a été positif de 2 753 millions d’euros, à peine moins qu’en 2019. Il est supérieur à 2 000 millions chaque année depuis 2005. La balance commerciale a été excédentaire de 2 419 millions (elle était déficitaire jusqu’en 2011), mais très loin du surplus de la balance des services, qui était de 21 223 millions, soit au même niveau qu’en 2019, grâce notamment aux services financiers.

En revanche le pays employant un très grand nombre de travailleurs résidant à l’étranger, la balance des rémunérations des salariés est lourdement déficitaire (-10 419 millions). De même, les revenus tirés des investissements extérieurs ne compensent pas les versements faits à l’étranger (déficit de 9 504 millions). Au total, en comptant les « revenus secondaires » (aide internationale et transferts d’argent des résidents de ou vers l’étranger), la balance des revenus accuse un déficit de 20 889 millions qui grignote en grande partie le surplus dégagé par les échanges de biens et de services.

Georges Canto
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