Chroniques de la Cour

De la transparence (bon sang)

d'Lëtzebuerger Land du 01.07.2022

Question : la sélection des juges européens doit-elle se faire dans la transparence ? Non, dit le Conseil de l’UE en réponse à une demande d’accès aux documents du Good Lobby Profs, une nouvelle génération d’universitaires réunis en groupe de pression, prêts à en découdre « pour contrer les violations majeures de l’état de droit et les abus de pouvoir au sein et à travers l’Europe » , lit-on sur leur site. Avec son chef de file, Alberto Alemanno, le Good Lobby Profs voulait que le conseil leur communique l’avis du comité 255 sur le rejet du candidat envoyé par le gouvernement polonais, Rafal Wojciechowski, en remplacement du juge actuel à la Cour Marek Safjan, en fin de mandat (d’Land, 11.03.2022 ). Une vieille revendication d’Alemanno, professeur de droit à HEC Paris et à la New York University, ainsi que de l’ONG Access Info Europe. Le Conseil a publié sa réponse au début du mois de juin sur asktheEU.org. Il lui refuse l’avis du comité 255 sur le candidat polonais en rappelant, entre autres éléments, que le comité a décidé lui-même que ses avis étaient destinés exclusivement aux gouvernements ; que la Médiatrice européenne, déjà consultée, avait conclu qu’il n’y avait pas là mauvaise administration ; que la Cour de justice a déjà jugé que les données professionnelles sont qualifiées de données à caractère personnel protégées. Pour le Conseil, il n’appartient pas au public d’évaluer l’aptitude des candidats au poste de juge ou d’avocat général. Pour Alemanno, la confiance du public et la transparence du système judiciaire sont des intérêts publics qui priment. Les citoyens de l’UE ont un intérêt légitime à connaître le fonctionnement de l’Union.

Le comité a été prévu par l’article 255 du Traité de l’Union pour vérifier l’adéquation des candidats à la fonction de juge. Sa composition vient de changer en mars dernier. Adepte d’une opacité à tout crin pour se protéger des pressions extérieures, l’organe pourrait verser dans l’arbitraire. Déjà, le rejet de cinq candidats slovaques coup sur coup a jeté un doute sur son objectivité. Il est généralement admis qu’un des cinq candidats slovaques, compétent, a été écarté pour de mauvaises raisons. Ce comité est aussi un électron libre en ce sens qu’il ne dépend pas du Conseil de l’UE qui lui sert simplement de secrétariat. Ses avis, purement consultatifs, ont toujours été suivis par les gouvernements qui nomment ensuite les juges par un vote à l’unanimité. À noter : les juges sont nommés, non pas par le Conseil de l’UE, mais par les gouvernements réunis en conférence. Cette dernière n’a pas de personnalité juridique, ce qui empêche tous les candidats malheureux de contester les nominations.

Mais alors, comme disait le poète latin Juvenal, « les contrôleurs, eux, qui les contrôle ? (Quis custodiet ipsos custodes?) Qui contrôle le comité dont six membres sur sept sont désignés par le président de la Cour sans consultation publique (le dernier l’est par le Parlement européen) ? Un président élu lui-même par des juges non démocratiquement désignés. Donc, en réalité, personne ne contrôle. D’où la nécessité, disent les partisans de la transparence, de rendre public les avis du comité 255, ces derniers restant un des secrets les mieux gardés de l’UE. Quoique. Au fil des ans, l’on apprend par exemple dans une chronique signée par un candidat slovène éconduit, que la réunion à laquelle il a été convoqué – même le lieu des réunions est tenu secret - s’est tenue dans la salle Anna Lindh d’un des bâtiments du Conseil à Bruxelles, une salle « indécemment surdimensionnée, (..) totalement inappropriée pour de tels événements, (où il a) été accueilli par six visages lugubres des membres du comité (le président de la Cour constitutionnelle allemande était malheureusement absent) »

Sur les avis on sait aussi que, pendant des années, les gouvernements, destinataires exclusifs de ces documents, ont dû se contenter de quelques lignes d’appréciation vague. Les avis se seraient étoffés, mais resteraient tout de même laconiques. On apprend aussi que les lettres de motivation de certains candidats sont des modèles de vanité et que l’audience, non publique, des candidats, est déterminante. Un candidat à l’aise à l’oral ou qui a du bagout augmenterait ses chances de réussite. « Au début de ses travaux, le comité 255 a entendu une candidate avec un CV plus que limite. Elle les a tous bluffés et elle est passée », indique une source. Plus récemment une professeure de droit grecque, docteure en droit, spécialiste du droit administratif comparé a raté son oral. Dans l’avis la concernant, consulté par le Land, il est dit que la candidate « n’a pas démontré lors de son audition, au niveau approprié, les capacités juridiques spécifiques pour exercer les fonctions du juge du Tribunal ». Puis, un rien condescendant, « si ses mérites et ses motivations sont réels », le comité ajoute que « la candidate n’a pas manifesté une maîtrise suffisante en matière de procédure contentieuse et méthode d’analyse juridique mise en œuvre devant et par le Tribunal ». Peut-être. Mais est-ce à dire que les quelques cinquante-quatre juges du Tribunal (il en manque toujours un ou deux), à leur arrivée, maîtrisaient tous la procédure et les méthodes d’analyse du Tribunal ? Impossible à vérifier.

Dominique Seytre
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