Chroniques de l’urgence

Demain j’arrête

d'Lëtzebuerger Land vom 27.08.2021

Lorsque les pouvoirs publics annoncent vouloir intensifier leurs politiques de décarbonation, que font les propriétaires de gisements et d’infrastructures d’énergies fossiles ? L’économiste allemand Hans-Werner Sinn a prédit en 2008 qu’ils s’efforceraient de mettre les bouchées doubles pour extraire le plus possible de pétrole, de gaz et de charbon tant qu’ils en auraient la possibilité. À moins de viser l’offre en même temps que la demande, et ce à l’échelle globale, les actions gouvernementales d’action climatique risquent donc d’avoir l’effet inverse de celui recherché, en causant à court terme une accélération des opérations d’extraction et un accroissement des émissions. Ce principe, dit du « paradoxe vert » est controversé, ne serait-ce que parce qu’il place la barre si haut qu’il peut être invoqué de manière hypocrite par les défenseurs du statu quo, les « inactivistes ».

L’actualité nous en apporte en tout cas un exemple parlant. À l’approche de la COP26 à Glasgow, le gouvernement britannique fait la roue : le Royaume-Uni a été le premier des pays industrialisés à adopter un objectif zéro-net, et il entend interdire la vente de voitures équipées d’un moteur à explosion non-hybrides dès 2030. Or, en même temps, au nom de la relance économique post-pandémie, il promeut l’exploitation des gisements de pétrole de la mer du Nord, posant les jalons pour en extraire, littéralement, « jusqu’à la dernière goutte ». Selon les médias britanniques, le gouvernement de Boris Johnson s’apprête à approuver un champ pétrolifère, Cambo, situé au large des îles Shetland. Si la première ministre d’Écosse, Nicola Sturgeon, a demandé à Johnson que ce projet soit réexaminé à la lumière de « la sévérité de l’urgence climatique », elle s’est gardée de s’y opposer frontalement. Cambo contient au total 800 millions de barrils et devrait en produire 170 millions par an. La résistance contre ce projet délirant s’organise, notamment en Écosse mais elle n’a donné lieu pour l’instant qu’à quelques manifestations sporadiques.

Quelle meilleure illustration imaginer pour « demain j’arrête », la maxime des junkies et alcooliques ? Inconscience, négligence, hypocrisie, schizophrénie, tout y est. Comme le relève dans le Guardian Greg Muttitt, de l’Institut international de développement durable, Cambo est loin d’être une exception. Grâce à des réductions de l’impôt sur la production de pétrole incluses dans les budgets de 2015 et 2016, celle-ci a renoué avec la croissance au Royaume-Uni, n’étant interrompue que par la pandémie. Mais, rassurons-nous, elle est censée augmenter à nouveau dès l’an prochain. Le gouvernement y met du sien : il a autorisé 113 nouveaux forages d’exploration pétrolière l’an dernier.

Muttitt veut néanmoins y croire : « En tant que pionnier de la révolution industrielle, le Royaume-Uni a contribué à mener le monde vers la consommation massive de combustibles fossiles il y a plus de 200 ans. Aujourd’hui, cette ère doit se terminer, et il doit mener la charge », exhorte-t-il ses compatriotes.

Jean Lasar
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