Matériaux ferroïques

Moins d’énergie pour plus de froid

d'Lëtzebuerger Land vom 20.11.2020

Une publication dans le prestigieux magazine Science est le Graal pour la plupart des chercheurs. En page 125 de l’édition parue le 2 octobre 2020, l’article Giant temperature span in electrocaloric regenerator est signé de huit noms, dont six travaillent au Luxembourg Institute of Science and Technology (List). Un succès extrêmement rare qui ne doit rien au hasard comme nous le raconte Emmanuel Defay, un des signataires de l’article, qui dirige le groupe de recherches Ferroic materials for transducers.

Avant d’arriver au List en 2014, Emmanuel Defay a passé quinze ans au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Grenoble où il travaillait sur les matériaux piézoélectriques, puis à l’Université de Cambridge où il a effectué des recherches sur l’effet électrocalorique pour le refroidissement à l’état solide. « Le groupe de recherche au sein du List est une suite logique de mes travaux précédents. Le Luxembourg m’offrait l’opportunité de travailler à plus long terme dans ce domaine », détaille-t-il. D’une manière générale, le groupe de recherche s’intéresse au développement de matériaux présentant un couplage énergétique. C’est le cas des isolants
piézoélectriques qui se polarisent électriquement sous l’action d’une contrainte mécanique et réciproquement, se déformer lorsqu’on leur applique un champ électrique. Ce sont d’ailleurs les applications de ces matériaux dans le domaine des microphones, et donc de la musique, qui ont été le point de départ des recherches de celui qui est aussi bassiste.

Une partie des recherches menées par Emmanuel Defay et ses collègues – celle qui leur a valu cette publication dans Science – est consacrée à l’effet électrocalorique qui se produit dans les céramiques et les polymères et qui permet de déclencher une variation de température. « Cet effet est connu depuis les années 1930, mais les variations de températures étaient trop faibles pour être considérées », précise le chercheur. Les travaux menés au List ont permis d’atteindre dans un prototype d’échangeur thermique, des différences de température de l’ordre de treize degrés, un nouveau record en la matière qui dépasse des chercheurs américains qui ne sont arrivés qu’à neuf degrés. « Toute la partie prototypage a été effectuée au Luxembourg, avec un matériau fabriqué par l’entreprise japonaise Murata Manufacturing », se réjouit Emmanuel Defay. « Nous avons développé un régénérateur électrocalorique actif à modules multicouches au tantalate de plomb et de scandium. La conception structurelle et l’isolation ont été améliorées grâce à de la modélisation numérique par éléments finis. »

Les applications concrètes dans l’industrie - réfrigérateurs, climatiseurs - sont prometteuses, comme témoignent les contacts noués et renforcés depuis la publication scientifique. « L’énergie utilisée à des fins de réfrigération représente vingt pour cent de la consommation mondiale d’énergie et on connaît les problèmes de gaz à effet de serre utilisés dans les système à compression. Les matériaux électrocaloriques sont des candidats prometteurs pour les applications de refroidissement moins gourmandes en énergie, moins polluantes et moins bruyantes. » En somme, la recherche luxembourgeoise vient peut-être de développer un composant essentiel des frigos du futur.

« La recherche de pointe a besoin de deux choses : du temps et de l’argent. Luxembourg offre les deux et, à condition de mettre en place une stratégie claire et de définir un sujet original et prometteur, rien n’empêche d’aller plus loin et de se placer dans le concert mondial », souligne Emmanuel Defay qui rappelle que ces travaux ont été financés par plusieurs projets qui ont bénéficié du soutien du Fonds National de la Recherche du Luxembourg dans le cadre de programmes de financement Pearl, Pride et Core.

Si ces travaux suscitent l’intérêt de la communauté scientifique et de l’industrie, de nombreuses phases de recherche et d’évolution sont encore à développer pour rivaliser avec les systèmes de refroidissement actuels. Améliorer les propriétés du matériau développé, trouver un substitut au plomb qui entre aujourd’hui dans sa composition, progresser dans l’apport d’énergie et l’isolation et s’intéresser au conditionnement pour arriver à des applications industrielles… telles sont les pistes de recherche et de développement qui attendent encore Emmanuel Defay et ses chercheurs..

France Clarinval
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