Je ne veux pas travailler

d'Lëtzebuerger Land vom 19.08.2022

C’est l’été, il fait chaud, trop chaud et l’envie de reprendre le chemin du travail semble aussi grande que celle d’entrer dans l’automne et l’hiver. Qu’on se le dise, je ne veux pas travailler ! Et je ne suis pas seule visiblement. Il y a dans l’air, depuis quelque temps et tout particulièrement en cette fin d’été, comme un parfum d’envie de rien. Ou plutôt d’envie de ne rien faire et de se prélasser au bord de la piscine, un cocktail à la main, pour admirer le spectacle de la fin du monde qui s’annonce doucement, mais sûrement.

Alors que nous pensions vivre un rebond après toutes les galères que le monde a traversées et traverse encore, il semblerait que cette tendance ne se situe pas au niveau professionnel, mais bel et bien dans une oisiveté assumée. Perte de sens, perte de goût (pour certains jamais retrouvé), fin du télétravail, galère des transports, du logement, salaires qui ne suivent pas le coût de la vie ou simplement envie de passer plus de temps avec soi… Il n’y a jamais eu autant d’emplois sur le marché qui ne trouvent pas preneurs. La « grande démission » (great resignation, un phénomène apparu aux USA en 2021) menace le Grand-Duché bien plus que le reste de l’Europe. Selon l’étude menée sur le sujet par PwC en mars 2022, 25 pour cent des salariés interrogés au Luxembourg jugent élevée à très élevée la probabilité de changer d’emploi dans les douze prochains mois, contre vingt pour cent au niveau mondial. On croyait au départ à un phénomène marginal et éphémère liée du premier confinement, lorsque certains ont rêvé de devenir boulanger pour enfin faire quelque chose qui a du sens. On ne sait pas si les boulangers en herbe ont finalement trouvé une nouvelle occupation professionnelle, mais la tendance au changement est là pour s’installer.

Le secteur de l’hôtellerie et de la restauration a été l’un des premiers à évoquer le manque cruel du personnel. Serveurs et cuisiniers ont fait le choix de changer de vie durant les fermetures imposées des établissements et refusent tout simplement de recommencer à exercer leur métier dans les conditions difficiles, inhérentes au secteur. Il semble plus simple aujourd’hui de devenir millionnaire grâce aux Bitcoin ou de se lancer dans la production de CBD ou de marijuana. En tout cas d’avoir des occupations qui ne demandent pas de travailler en coupure. Ce secteur, bien que très visible, n’est pas le seul à effectuer sa traversée du désert des vocations. Le secteur informatique et même le secteur public en pâtissent aussi. Après une période de remise en question, de doute et d’enfermement que le Covid-19 a initié, suivie de très près par l’angoisse de la guerre que mène la Russie en Ukraine, le tout accompagné par une catastrophe écologique bien plus rapide que ce que nous pensions, il n’est plus question uniquement de salaire. Les gens veulent plus de qualité de vie dans cette période morose, de la reconnaissance, de la flânerie, de la déconnexion, de prendre le temps de ne rien faire, de penser et panser.

La société est à bout de souffle et n’a plus envie de rien. La question du temps de travail s’est retrouvée au cœur du débat ces derniers mois. Tout d’abord avec une proposition de réduction de la semaine à quatre jours de travail au lieu de cinq, qui finalement ne ferait qu’imposer des journées plus longues. Dans la même lignée, une autre pétition à succès propose, quant à elle, de réfléchir sur une réduction du temps de travail hebdomadaire, passant de quarante à 35 heures par semaine, faisant craindre aux employés une réduction salariale et un manque de main d’œuvre exponentiel aux patrons. Le problème n’est pourtant pas là puisque le phénomène touche tout autant les pays au temps de travail réduit (France, Danemark, par exemple). Non, finalement on « préfèrerait ne pas », à l’instar de Bartleby d’Hermann Melville. On préférerait ne pas travailler, ne pas passer trois heures dans les bouchons, ne pas accepter des tâches qui ne font aucun sens, ne pas accepter de fonctionner en coupure ou revenir à plein temps au bureau, ne pas s’intéresser à l’actualité, ne pas penser à demain, ni aux mois prochains. Par contre, à choisir, on préfèrerait troquer les biscuits au gingembre contre un cocktail au bord de l’eau pour contempler la fin d’un monde..

Mylène Carrière
© 2023 d’Lëtzebuerger Land