Le duo Salva Rubio et Danide rend hommage aux zazous, mouvement de jeunesse qui a « résisté » aux nazis en dansant le swing dans les caves parisiennes à travers All too soon, premier tome d’une trilogie qui vient de paraître

Une résistance qui swingue

d'Lëtzebuerger Land du 15.10.2021

Un zazou est « adolescent manifestant une passion immodérée pour la musique de jazz américaine et qui se faisait remarquer par une tenue vestimentaire excentrique », nous apprend le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales. Leur nom provient de la chanson de Johnny Hess Je suis swing – dont le refrain faisait : « je suis swing, je suis swing, zazou, zazou, zazou zazou dé » –, tirée, elle-même du morceau de jazz Zah Zuh Zaz de Cab Calloway. À n’importe quelle autre époque du vingtième siècle, cette mode aurait été perçue comme une simple contre-culture, une rébellion générationnelle. Mais dans la France des années quarante, sous l’occupation, cette mode est considérée comme une sorte de rébellion et de résistance.

Voilà le décor des Zazous, nouvelle trilogie signée du duo espagnol Salva Rubio et Danide. Ce dernier a dessiné Potlatch (2017), Phagocytose (2018) et Maculas (2020) ; le premier, scénariste ciné et BD, a publié Monet, nomade de la lumière (2017), Le Photographe de Mauthausen (2017), Miles et Juliette (2019), Django Main de feu (2020) et Degas, la danse de la solitude (2021). On sent dans cette bibliographie une passion pour les artistes et pour les arts : peinture, photographie mais surtout musique. Pas étonnant donc de retrouver Salva Rubio sur le projet Les Zazous.

Un projet dont le récit de ce premier tome, All too soon, débute le 14 juin 1940, dans la capitale française. L’armée allemande défile sur l’avenue des Champs-Élysées et le drapeau à la croix gammée flotte sous l’Arc de Triomphe. Les Français ne peuvent que les observer, défaits, les larmes aux yeux. Au loin un homme observe la scène depuis un toit. C’est Fred. Il n’est plus tout à fait un enfant, mais pas encore tout à fait un adulte. Il se dit impassible : « Vraiment ?/ Vous n’avez rien vu venir ?/ À aucun moment vous nous ne vous êtes doutés du danger ?/ Vous étiez pourtant censés nous protéger, non ? Vous tous, hommes politiques, diplomates, policiers, généraux…/ Les adultes, quoi./ Nous vous faisions confiance./Nous avions placé en vous tous nos espoirs./ Et vous les avez déçus./ Vous êtes aussi stupides qu’inutiles./ Que ce soit bien clair : ne comptez pas sur moi pour vous tirer de là. »

Dès la première page, les choses sont limpides. Fred compte bien faire profil bas et, occupation ou pas, s’intéresser uniquement à sa propre subsistance. Enfin presque, car ce petit roublard qui vit de petits larcins, a une petite sœur avec qui il partage une chambre de bonne à la porte murée au dernier étage d’un immeuble. Pour y accéder, il doit passer par la fenêtre. Pas ultra-pratique, mais si ça peut éviter une descente de l’armée allemande ou de la police vichyste, pourquoi pas ! La police, justement, ne va pas tarder à lui mettre la main dessus. S’il ne veut pas finir en prison, sans procès mais avec la recommandation de recevoir « tous les traitements de faveur, et bien profond », il va devoir jouer les indics. Sa mission ? Surveiller la fille du commissaire qui « ces derniers temps a… de mauvaises fréquentations ».

Ces fréquentation sont les zazous. Des jeunes de bonne famille qui s’affrontent à coup de pas de danse, de swing, de coiffures gominées et de fringues ultra-colorées. Une bande apolitique, volontairement insouciante ; des « je m’en foutistes » pour certains, des « esprits libres » pour d’autres. Des jeunes en tout cas haïs par Vichy, les nazis et les collaborateurs en tout genre, mais que, Fred, bien que piètre danseur, va rapidement apprécier. « Ils me plaisent bien ces doux dingues » pense-t-il lors de sa première soirée avec eux. Le voilà donc tiraillé entre une police qui lui demande, violemment si nécessaire, des comptes et des jeunes qui l’ont, rapidement et sans trop poser de question, accueilli comme un des leurs.

Agréable à lire, proposant même une playlist en dernière page pour accompagner le récit, les 56 pages de ce premier tome se tournent avec plaisir. Intense, le récit demeure aisé, malgré quelques scènes plutôt sombres et difficiles – l’occupation, on a beau vouloir l’oublier, elle est bien présente dans la vie des personnages. Les couleurs vives des zazous, leur folle envie de danser, d’écouter de la musique américaine, de s’amuser, de choquer aussi… transpirent tout au long de cette histoire où chacun à sa part d’ombre et de lumière : Français comme Allemands, étudiants comme policiers, commerçants comme voleurs…

Les réflexions de Fred apportent une vision intéressante, apolitique mais sans tabou, de son époque et de ses gens, tandis que le dessin et le découpage donnent énergie et rythme à ce premier de la série. L’ensemble fait de ces Zazous, un récit aussi dramatique que virevoltant !

Les Zazous, Tome 1, All too soon de Salva Rubio et Danide. Glénat. EAN : 9782344041772.

Pablo Chimienti
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