En ce samedi 15 mars au soir, la grande salle de la Kulturfabrik est bondée. La chanteuse et compositrice hongroise Saya Noé vient de terminer son set de première partie. Sa musique ambient et alt pop a fait forte impression. Les lumières s’éteignent et le temps se suspend. Un semblant de mélodie saturée résonne tandis que montent énergiquement sur scène le batteur Riccardo Tomasini, puis le guitariste Patrick Miranda. Enfin, Thomas Faber, alias Maz, casquette vissée sur le crâne, fait son apparition et s’empare du micro installé face à l’audience. Le spectacle peut commencer. Maz, ou plus exactement Maz Univerze, vient présenter au public luxembourgeois son second album Little Prince, qui vient de paraître chez Beast Records. Maz, c’est un peu l’enfant prodige de la nouvelle vague musicale du pays. Découvert en 2017 lors du Screaming Fields Song Contest, l’auteur-compositeur-interprète né en 1999 a connu une ascension fulgurante. Alors que tout lui souriait, du moins au niveau artistique, il a effectué à l’orée des années 2020 un virage à 180 degrés aussi déroutant que salvateur. De jeune rookie du rap autochtone, il est devenu l’un des artistes luxembourgeois (hors jazz) les plus exportés à l’étranger et dont chaque concert fait sensation.
En mars 2020, à quelques jours du confinement qui allait bouleverser nos quotidiens, l’auteur de ces lignes rencontrait Maz pour faire le point sur sa jeune carrière. À ce moment-là, il venait d’enchaîner une quarantaine de dates entre le Grand-Duché, la France, la Belgique, la Finlande et l’Estonie. Son premier album, Immortalisation, avait rencontré un certain succès d’estime. Surtout, un immense portrait en graffiti à son effigie, signé Raphaël Gindt, surplombait la route nationale 56 à l’entrée de la ville. Des milliers de frontaliers, passant chaque jour devant les anciens abattoirs d’Hollerich, se voyaient ainsi épiés par le rappeur à la tignasse blonde. Cinq ans plus tard, la fresque a été recouverte par d’autres graffitis, seuls quelques vestiges subsistent encore. Mais c’est peut-être mieux ainsi, car cette œuvre ne reflète plus vraiment son modèle.
Constatant un début d’alopécie, le jeune homme s’est rasé le crâne et a affirmé son apparence, assumant une esthétique emo, entre vernis à ongles et eyeliner. Passé le choc, son entourage et son public ont accepté relativement facilement ces changements. Maz reconnaît en revanche avoir perdu une partie de son public à cette époque. Outre l’aspect esthétique, qui s’est aussi propagé dans ses visuels, les rendant plus gothiques et un tantinet trash, c’est surtout sa musique qui a évolué. Alors que les morceaux qui ont fait sa renommée mélangeaient déjà le rap et le rock pour un rendu alternatif dans l’air du temps, sa musique a pris de l’ampleur. Pour autant, il ne renie pas son premier album, même s’il lui semble daté. « J’arrive à le réécouter. C’est un projet qui immortalise ce à quoi je ressemblais à cette époque. C’est un projet pur et qui me tient à cœur ».
Ses deux EPs Upside Down (2022) et Emo Season (2023) ont annoncé la couleur et pavé la voie à son album Little Prince, dans les bacs depuis le 7 mars. Ce onze titres, fruit de deux ans de travail, est un disque collaboratif. Maz cite volontiers toutes les personnes qui y ont contribué, notamment Sacha Hanlet qui l’a accompagné tout au long de l’élaboration du disque, Joe Stypp qui l’a mixé ou encore Tun Tonnar alias Turnup Tun qui a produit plusieurs morceaux. La cover, très réussie, est signée Rari Matei. Développant une esthétique dark fantasy granuleuse et brute de décoffrage, elle dépeint l’artiste, une couronne ressemblant à des bois de cerf sur la tête, tenant entre ses mains une sphère blanche, elle-même couronnée.
De quoi parle sa musique ? De masculinité toxique, de sentiments contraires, d’acceptation, de radicalité religieuse ou encore de santé mentale. Autant de thématiques fortes qui, en ces temps contrariés, résonnent particulièrement chez les adolescents et jeunes adultes. « Je reçois régulièrement des messages magnifiques de personnes qui me disent que ma musique exprime ce qu’ils n’osent pas dire ou même penser. Certains m’ont confié qu’elle les aide au quotidien, les motive et leur permet d’avancer. Ça me touche beaucoup et je ne vais jamais m’y habituer ». Sur scène, lorsque Maz entame Heroes, où il met en musique la santé mentale, un « nouvel ennemi invisible », le public, jusque-là si expressif, retient son souffle. Cette tension atteint son apogée avec Pass Me The Crown, une chanson sur la filiation et le deuil que son auteur considère, probablement à raison, comme son meilleur texte. En introduction, Maz évoque la situation des jeunes de sa génération qui commencent à voir partir leurs « grands-parents, les parents d’amis et amis de leurs parents ». Le morceau est justement dédié à son père et à sa mère, tous deux présents dans la salle, pour un moment fort et pudique.
Les singles Baby Vampire et Little Prince, de véritables tubes en puissance, côtoient des propositions plus radicales comme Tooth Fairy et l’excellent Sings, taillés pour la scène. Car après avoir évoqué tout cela – le style vestimentaire et musical, la direction artistique jusqu’au-boutiste, une ambition inclusive et des messages finalement positifs – ce qu’il faut surtout retenir, c’est que Maz est une bête de scène comme on en voit rarement. Les programmateurs internationaux ne s’y trompent d’ailleurs pas. Depuis sa date à la Kulturfabrik, Maz a enchaîné des concerts en Autriche, en Hongrie et en Slovaquie dans le cadre d’une tournée promotionnelle. On jauge aussi la qualité d’un artiste sur scène à la manière dont il gère les incidents. À la Kulturfabrik, en plein milieu du show, son ordinateur a dû être redémarré, un moment qui aurait pu être gênant mais qui s’est transformé en instant de partage. « Je crois que le public aime les imprévus. Ils voient ainsi que les artistes sont comme eux. »
Inarrêtable lorsqu’on l’interroge sur ses plus gros couacs en live, il retient notamment une panne de courant dans un club en Estonie, où le concert s’est terminé a cappella, ou encore un set devant un public clairsemé, durant lequel il a dû intervenir pour séparer une rixe survenue au pied de la scène. Fort de plus de 125 concerts, Maz est depuis trois ans le curateur du Messtival, un festival de musique inclusif organisé dans la commune de son enfance, Reckange-sur-Mess. Chargé de la programmation et principal ambassadeur, il puise dans un carnet d’adresses qui s’est enrichi au fil des années. Une manière pour lui de rendre ce qu’on lui a donné. Il y a néanmoins une chose qu’il ne semble pas prêt à transmettre, sa couronne.
Little Prince de Maz Univerze est disponible sur toutes les plateformes de streaming.
La quatrième édition du Messtival aura lieu le 9 mai à Reckange-sur-Mess