Films made in Luxembourg

Un désir de s’échapper, voyager et découvrir le monde

d'Lëtzebuerger Land du 25.12.2020

X on a Map est un film étonnant. Dès la première seconde, il surprend avec ce générique en noir et blanc, avec un grain de vieille pellicule abîmée par le temps, cette police désuète et ce crescendo de violoncelle signé André Mergenthaler. On pourrait presque croire à une superproduction de l’âge d’or d’Hollywood !

C’est dans un huis-clos hors du temps que nous entraîne Jeff Desom pour son premier court-métrage professionnel. Dans une gigantesque usine qui fabrique des cartes, la Globo LTD, où travaille Paul. Dans l’ascenseur, où il n’y a que des hommes, tout le monde se ressemble. L’uniformisation semble de mise. Dans le couloir du septième étage, tout un chacun passe une blouse, puis, sans une parole, se dépêche de rejoindre son poste. Ce jour-là pourtant Paul traînasse. Résultat, l’ascenseur repart avant qu’il ait le temps d’en descendre. C’est le grain de sable qui le fera sortir du rang malgré le contremaître qui espionne chacun de ses gestes. En redescendant, Paul fait la rencontre d’Ana qui travaille, elle, au cinquième étage. Il dessine les cartes, elle les plie. Dans cet univers froid et déshumanisé, les deux semblent résignés à une vie d’ennui. Et pourtant…

Cette première rencontre en amènera une deuxième, puis une troisième… toujours dans une cave un peu oubliée du troisième sous-sol de l’usine. Là, ensemble, ils regardent des extraits d’un vieux film : The Life and Death of Christopher Columbus. Pendant ces instants discrets, ils semblent revivre en rêvant de s’échapper, voyager et découvrir le monde. L’Amérique surtout, puisqu’Ana a une tâche derrière l’oreille qui ressemble justement au nouveau monde. Le réalisateur fera alors plusieurs aller-retours entre le récit du duo et celui de Colomb, entre les deux mondes, les deux univers graphiques. « C’était très drôle de tourner la partie sur le bateau, explique Jeff Desom, car le monde dans lequel vivent les personnages est très rigide ; c’était cathartique de tourner des scènes avec plus d’action, avec un aspect série-B » ajoute-t-il. De l’anti-utopie, on passe à l’aventure, et vice-versa.

Le va-et-vient fonctionne à merveille et techniquement l’ensemble est parfaitement maîtrisé malgré l’inexpérience du réalisateur. Il faut dire qu’il était bien entouré : Jean-Louis Schuller (chef op), Christina Schaffer (production design), Amine Jaber (montage), Carlo Thoss (son)... Le film, en anglais, est également magnifiquement interprété par Vicky Krieps, Sean Biggerstaff et Jean-François Wolff. Du coup, on regrette que X on a Map ne dure que treize minutes ; on resterait volontiers un peu plus longtemps dans l’univers « gilliamesque » de Jeff Desom.

Comment est né ce projet X on a Map ?

Jeff Desom : Je venais de sortir de la Arts University Bournemouth et de remporter le Filmpäis avec The Plot Spoiler, un court-métrage amateur. Avec Bernard (Michaux, alors producteur chez Lucil Film, désormais chez Samsa Film, ndlr), on avait envie de travailler ensemble depuis toujours. L’idée était de reprendre l’histoire d’Arthur Schnitzler, avec cette fille et ce garçon amoureux dont l’un a cette tâche de naissance qui ressemble à l’Amérique, mais à ma manière, dans un univers à la Terry Gilliam (le réalisateur de Brazil, The Fisher King, Twelve Monkeys, ndlr…).

Onze ans après, quel regard portez-vous sur ce film ?

Je l’aime bien. Il est arrivé tout au début de ma carrière, mais aussi de celle de Bernard et de celle de Vicky (Krieps). À l’époque on ne savait pas du tout où tout cela nous mènerait ; et quand je vois où est arrivé Bernard et surtout Vicky (Hanna, Colonia, Phantom Thread…), je suis très fier d’avoir été là pour le début de leurs carrières et d’avoir joué un petit rôle là-dedans.

Depuis vous avez tourné plusieurs pubs, des clips et remporté plusieurs prix en ce qui concerne l’art vidéo. Mais X on a Map reste votre dernier film. Fini le cinéma ?

Non, je travaille toujours sur des projets de réalisation classique, mais le cinéma a tellement évolué ces dernières années que j’ai eu envie d’expérimenter différentes choses. Et lors de ces expérimentations, j’ai fait des petits trucs qui m’ont amené sur un chemin que je n’avais pas vraiment prévu, notamment l’art vidéo. Des petits projets pour lesquels j’ai eu d’énormes retours, bien plus immédiats qui plus est que pour un grand projet cinéma sur lequel on travaille pendant des années sans vraiment savoir si ça va aboutir un jour. Ça me permet de garder mon enthousiasme pour le métier. Mon but est toujours de faire un long-métrage.

Pablo Chimienti
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