On les appelle pieux établissements, des églises et leurs dépendances, à Rome et à Lorette, institution héritée des fondations qui remontent au Moyen-Âge, et malgré les soubresauts des siècles passés, toujours sous l’autorité de l’ambassade de France, avec un administrateur comme représentant légal. Pas moins de cinq églises à Rome, dont la Trinité-des-Monts, sur les flancs du Pincio, en haut des escaliers à volée double qui montent de la place d’Espagne, la malnommée, car comme l’église qui date des 15e et 16e siècles, avec ses deux clochers symétriques qui tranchent dans le ciel romain dominé de dômes, eux furent aussi d’origine française, construits entre 1723 et 1725.
Rome, ses églises, les chefs-d’œuvre y sont légion. La Trinité-des-Monts possède ainsi des œuvres du maniériste Da Volterra, peintre et sculpteur du seizième, dont une Déposition de Croix, restaurée il y a une vingtaine d’années. Un patrimoine auquel il faut apporter du soin, une richesse à mettre en valeur. L’administrateur, le frère Renaud Escande, parle de « faire tradition, toujours », et y englobe le refus de se figer, la volonté de s’ouvrir. On dira que c’est dans la tradition, voire les gènes des Dominicains, pour l’époque moderne, il suffit de l’un ou l’autre noms, le père Couturier, la sœur Jacques, et définitivement la silhouette sur carreaux de céramique de saint Dominique à Vence.
Pour la décision d’une intervention d’art contemporain sur le Pincio, d’un chemin de croix, le choix de Pierre Buraglio se fit sans doute sans grand mal. Il y a l’exemple de la chapelle Saint-Symphorien, à Saint-Germain-des-Prés, et celui très proche des Dominicains, du couvent de l’Annonciation, au 222, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris. Voilà pour réfuter une objection possible, de cette commande faite à un artiste qui ne cache pas ses positions philosophique et politique, mais dans son art si fortement ancré dans la tradition justement, et connaît-on artiste plus nourri de l’iconographie chrétienne.
Autre chose dans le travail de Pierre Burgalio a pesé lourd : « L’art du peu, du petit, du pauvre », et le frère Renaud Escande d’insister dans le chemin de croix de la Trinité-des-Monts sur « l’absence-présence de ce corps qui se donne », atteignant de la sorte à l’essence même du religieux. Le père Couturier était allé très loin dans ce sens, voulait que tout art véritable soit sacré. Et Pierre Burgalio atteint en même temps à l’expression, dans la passion du Christ, ou rabbi galiléen Jésus de Nazareth, d’une souffrance universelle. Aux quatorze stations traditionnelles il a ajouté une quinzième, comme en prologue : la figuration de la Palestine contemporaine de Jésus, pour situer l’action, mais c’est évoquer aussi un lieu d’extrême détresse aujourd’hui.
Pierre Buraglio pour les différentes stations, de l’arrestation à la mort, dans les plaques de 30 x 30 cm, a repris la tôle émaillée, des panneaux du métro parisien, des céramiques des Florentins Della Robbia, et sur les fonds blancs, la couleur bleue proche des paquets de Gauloises, des enveloppes administratives dans le temps, pour les images, et les textes en noir. Si la référence aux quatre évangiles est constante, Pierre Buraglio modifie tant soit peu le rythme, les moments, du cheminement, avec bien sûr le consentement, voire l’appui du commanditaire. Commençant par exemple par la trahison, et non la condamnation (Pilate avec le grand prêtre et le roi Hérode étant renvoyés à plus tard), insistant sur les outrages, et en face sur les gestes de solidarité de Simon, de compassion de Véronique, sur les pleurs des femmes de Jérusalem. Mettant ensemble les trois épisodes où Jésus tombe dans la montée au calvaire. Terminant sur une image de piéta, de mater dolorosa, elle provient d’un dessin fait par l’artiste au musée de Catalogne, à Barcelone.
De Padoue, avec Giotto, à qui est empruntée une torche sue la première plaque, à Barcelone, en passant par Fra Angelico, Tintoretto, par Mantegna et un retable, au Louvre, autant de moments aussi dans ce chemin de croix qui appartiennent à l’appropriation de la tradition qui parcourt le travail de Pierre Buraglio : d’après… autour… avec… selon… Confrontation en l’occurrence avec les grands thèmes, avec les grands maîtres, dans une perception et une vision résolument modernes ou contemporaines. Façon, comme le demandait justement le frère Renaud, de faire tradition, et le même de saluer, le jour de l’inauguration, face à l’artiste, une œuvre majeure qui « malgré toi, avec toi et plus loin que toi… est véritablement une œuvre de théologie ».