Le roman La Commode aux tiroirs d’Olivia Ruiz vient d’être adapté en bande dessinée. Une histoire de femmes de caractère faite de guerre, d’exil, de labeur et de chagrins mais aussi de passion, de sensualité, de don de soi et d’espoir

Les dix tiroirs d’une vie

d'Lëtzebuerger Land du 26.11.2021

« Je te confie ma médaille de baptême, cariño, elle a été mon seul compagnon « de valeur » du voyage ». Assise par terre, une jeune femme lit une longue lettre qu’elle vient de retrouver de sa grand-mère, Rita. Au milieu de l’appartement, sur le tapis du salon, une vieille commode trône. Un meuble qui vient clairement d’arriver dans sa résidence, qui n’a pas encore trouvé sa place, mais qui fait partie de la vie de la jeune femme depuis bien longtemps. Un meuble ancien, massif, composé de dix tiroirs que la grand-mère nommait ses « renferme-mémoire », dix tiroirs qui cette jeune femme va enfin ouvrir pour découvrir les secrets qu’ils renferment. Des secrets de famille qui feront remonter la jeune parisienne jusque dans les années trente, en Espagne, quand ses arrière-grands-parents luttaient contre les Franquistes. Tiroir après tiroir, elle découvrira, et nous avec elle, différentes périodes de la vie de cette grand-mère pas comme les autres et désormais disparue.

Voilà le récit de La Commode aux tiroirs de couleurs, une histoire signée Olivia Ruiz, artiste pluridisciplinaire que le grand public connaît surtout en tant que chanteuse. Un premier roman, sorti en juin 2020, devenu rapidement un best seller vendu à plus de 300 000 exemplaires qui vient d’être adapté en bande dessinée grâce à un scénario de Véronique Grisseaux et un dessin travaillé à quatre mains par Amélie Causse et Winoc.

Scénariste aguerrie passée spécialiste dans l’adaptation de romans, Véronique Grisseaux a gardé à l’identique les chapitres du roman, l’ordre chronologique du récit et est restée au plus près des dialogues d’Olivia Ruiz pour être la plus fidèle possible au récit. Certes, il a fallu faire des choix, réduire la voilure et résumer les quelques 200 pages de roman en quelques 80 planches de BD. « J’ai eu l’impression d’être Edward aux mains d’argent » avoue l’adaptatrice, mais l’aspect très visuel du travail de l’ancienne concurrente de la Star Academy semblait imposer une version roman-graphique de son histoire. « Comme pour mes chansons, l’inspiration me vient de l’image. C’est probablement ce qui a fait penser à mon agente qu’il était essentiel de prévoir une BD » note-t-elle dans la présentation de l’album.

La vie de Rita a été trépidante, de ses dix ans au moment de la Retirada, quand, sans les parents restés en Espagne, elle et ses sœurs ont traversé à pied des Pyrénées pour chercher refuge en France, jusqu’au jour où elle deviendra grand-mère – et gagnera ainsi le petit nom de Abuela –, en passant par ses expériences bonnes comme mauvaises avec les Français, mais aussi les expatriés espagnols, en passant aussi par ses passions amoureuses et ses relations sans amour, par la naissance de sa fille, la perte de son fils… Une vie passionnante tiraillée par une double identité, Française de raison, mais Espagnole de cœur. Au-delà de l’histoire d’une famille, c’est tout un pan de l’histoire contemporaine de l’Espagne et du continent européen que racontent ces dix tiroirs.

Des tiroirs aux couleurs « chaudes, franches, celles de ces femmes si vivantes si complexes qui composent ton arbre généalogique » précisera Rita à sa petite-fille. Des femmes certes inspirées par les origines espagnoles d’Olivia Ruiz, mais pas nécessairement par ses ancêtres. « Il n’y a rien d’intime dans mon histoire. Il n’y a pas une femme qui ressemble à ma mère, à ma grand-mère ou à ma tante » assure la native de Carcassonne. « Lors de mes cours d’histoire au collège, j’avais été choquée de voir comment cette période de l’histoire espagnole, le franquisme, était passé sous silence. J’ai voulu rendre hommage à ces exilés un peu oubliés, mais aussi aux migrants en général » explique l’autrice.

Intime ou pas, Olivia Ruiz et Véronique Grisseaux proposent avec La Commode aux tiroirs de couleur, un récit simple, plein d’humanité, et de tendresse. Les personnages sont complexes et leurs motivations loin d’être manichéennes. Il y a quelque chose de terriblement méditerranéen dans les décors, mais surtout la psychologie de ces personnages. Leurs réactions sont sanguines, directes, sincères, sans faux-semblants. La musicalité du récit est ici accompagnée par un dessin réalisé au crayon ; Amélie Causse a donné un corps aux personnages tandis que Winoc a travaillé sur les décors. Un dessin qui bascule continuellement entre réalisme et expressionnisme, mais avec toujours une certaine chaleur et une grande tendresse dans les choix des couleurs.

La Commode aux tiroirs de couleur de Véronique Grisseaux, Amélie Causse, Winoc, d’après le roman d’Olivia Ruiz. Grand Angle

Pablo Chimienti
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