Film made in Luxembourg

Un documentaire pour riverains

d'Lëtzebuerger Land vom 03.12.2021

Voilà près de quinze ans qu’Andy Bausch a commencé à raconter le Luxembourg à travers des documentaires, tantôt thématiques (Entrée d’artistes, Scheckela Knätschgummi a brong Puppelcher, Streik), tantôt concentrés sur une période historique (D’Belle Époque, D’Fifties, Sixty8, Lost in the 80s). D’autres réalisateurs, de manière plus sporadique ont raconté la vie du premier noir Luxembourgeois, la scène hip hop grand-ducale, des projets culturels, écoresponsables ou solidaires, l’émancipation des femmes luxembourgeoises, les jardins ouvriers du pays et plein d’autres sujets en lien avec la réalité grand-ducale. Mais, explique Joy Hoffmann, 71 ans, ancien responsable du Département film au Centre National de l’Audiovisuel – et à ce titre producteur d’une trentaine de documentaires sur l’histoire du Luxembourg –, « à ma connaissance, aucun documentaire historique n’avait été réalisé ni sur le quartier du Limpertsberg, ni sur la Ville de Luxembourg ».

L’enfant du Limpertsberg rend donc hommage à son quartier à travers un étonnant projet audiovisuel : De Lampertsbierg, une série documentaire de six épisodes réunis en un long film, de près de 3h30, projeté en deux parties au cinéma. Joy Hoffmann est non seulement né au Limpertsberg. Il a aussi gardé toute sa vie très des liens très étroits avec son quartier : il y a fait toute sa scolarité, y a été enfant de chœur, y a fréquenté les scouts, y a animé le Ciné Club 80, y a cofondé le ciné Utopia… Celui que les téléspectateurs connaissent en tant que critique ciné pour RTL s’est lancé dès 2016, dans ce projet, en tant que réalisateur. Après tout, l’homme maîtrise son sujet et peut témoigner à la première personne de toute une partie de l’histoire récente. Il ne va d’ailleurs pas s’en priver tout au long de cette série coréalisée avec Misch Bervard. Mais en spécialiste des archives filmiques, Joy Hoffmann a tenu à proposer également une présentation factuelle de son quartier avec tout ce qu’il faut de plans anciens, images d’époque et témoignages.

Le film remonte alors jusqu’au Traité de Londres en 1867 et au démantèlement de la forteresse. À travers ses six épisodes : « L’urbanisation du quartier 1867-1940 », « La Seconde guerre mondiale », « Des artistes, des commerces et des entreprises », « La vie au Limpertsberg dans les années 60 », « Divertissement et culture » et « Des étudiants, des immigrés et une nouvelle forteresse », De Lampertsbierg raconte l’évolution de cet ancien quartier périphérique fait, jadis, de champs, puis de roseraies, puis place forte des ordres religieux… devenu, aujourd’hui, le quartier le plus cher de la capitale.

Chacun devrait trouver dans ces 208 minutes de nombreuses informations méconnues ou oubliées – ses anciens plans urbanistiques, les ponts censés le désenclaver mais qui n’ont jamais vu le jour… – ainsi que quelques anecdotes croustillantes – la ferme des laissés pour compte tout au nord du quartier, la « Guerre des boutons » des enfants contre les bandes des quartiers voisins ou encore le château d’eau. Ceux qui ont vécu, étudié ou fréquenté la vie culturelle ou nocturne du quartier devraient également voir ressurgir un grand nombre de souvenirs émouvants. Mais, à l’exception notable de la Seconde guerre mondiale, avec son lot de déportés et de collabos, qui a droit à un épisode entier, tous les autres sujets sont survolés, sans qu’aucun soit vraiment creusé.

Que ce soit l’importance pour l’économie nationale de halle d’exposition, le rôle joué par le Veräinshaus, l’inquiétude ressentie près de l’orphelinat du « Kannerland », le rôle de la discothèque le Blow Up dans l’histoire du groupe Queen ou encore la présence dans ce quartier huppé du foyer pour réfugiés Don Bosco, un sujet pousse rapidement l’autre sans que les transitions soient toujours évidentes.

Certains sujets, comme la séparation sociale entre le haut et le bas de la rue Ermesinde ou la disparition des petits commerces et restaurants de quartier reviennent à plusieurs reprises, ce qui finit par être redondant dans cette version cinéma aux épisodes regroupés. Un problème qui s’ajoute à un va-et-vient constant entre documentaire subjectif et reportage factuel qui dérange un peu le propos, à quelques interviews où le réalisateur est tutoyé et directement cité par les intervenants ou encore à un cadre tremblant même sur des plans fixes d’un immeuble ou d’une stèle commémorative…

Autant de petits défauts qui donnent à ce Lampertsbierg une impression de fourre-tout, certes pas inintéressant, mais pas tout à fait maîtrisé. Un film qui laisse planer l’idée que « c’était mieux avant ». Un film où une population parmi la plus riche du pays s’indigne presque autant des conditions d’accueil du foyer Don Bosco que de la surreprésentation de lycéens dans les parages, où elle semble regretter la disparition de nombreux lieux de vie : bars, music-halls, etc. tout en se plaignant du bruit en provenance de la Schuberfouer, où elle déplore que les enfants ne puissent plus jouer dans la rue tout en regrettant un certain enfermement du quartier dû au parking du Glacis et la muraille de banques qu’est devenue l’allée Scheffer. Bref, un documentaire de voisinage !

Pablo Chimienti
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