Prestations familiales

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d'Lëtzebuerger Land du 14.02.2008

Tous les enfants sont égaux devant l’impôt – cette idée n’est pas nouvelle, puisqu’en 1974 déjà fut déposé le projet de loi créant un crédit fiscal pour charges d’enfants. Le gouvernement Werner/ Schaus (CSV-DP) préconisait à l’époque une allocation spéciale du même type que le boni pour enfants dont certains bénéficiaires non avertis doivent penser aujourd’hui qu’il s’agit d’un don du ciel. Il y a trente ans déjà, le gouvernement s’était rendu compte de l’iné­galité de traitement des enfants. L’ex­posé des motifs précisa que « l’aide totale de l’État pour une même charge de deux enfants varie, selon l’importance du revenu des parents, dans une relation allant de 1 à 2,73. Cet important écart est dû surtout au fait que pour les revenus les plus faibles une réduction d’impôt d’un montant quelque peu appréciable ne peut entrer en ligne de compte puisque l’impôt qui serait dû en l’absence de charges d’enfants serait soit nul soit relativement faible. La politique du Gouvernement tend à réduire, sinon totalement, du moins dans une certaine mesure l’éventail de l’aide globale qu’il accorde aux familles. » 

Le projet de loi était ensuite tombé dans l’oubli. Plus de trente ans plus tard, les membres de la Tripartite firent resurgir cette idée de leur chapeau qui fut intégrée dans un paquet de mesures fiscales, en vigueur depuis le 1er janvier 2008.

Cependant, le bénéficiaire du boni de 922,5 euros par enfant n’est pas forcément la personne qui paie l’impôt. La Caisse nationale des prestations familiales (CNPF) se voit confrontée à des situations où un parent rentre bredouille alors qu’il avait bénéficié jusqu’ici de la modération d’impôts pour la charge d’enfants sans être le bénéficiaire des allocations familiales. C’est surtout le cas de couples divorcés ou séparés qui s’étaient entendus sur le partage des deux mesures : l’un profitant de l’abattement fiscal, l’autre des allocations. Le boni pour enfants est au­jourd’hui versé uniquement au bénéficiaire des allocations alors qu’en principe, il a un caractère double : prestation familiale et mesure fiscale. Or, en 1974 déjà, le gouvernement avait défendu la thèse que « si le complément d’avantage était considéré comme majoration d’allocations familiales, il finirait par se confondre avec ces dernières alors qu’effectivement il représente une mesure purement fiscale, sous forme de diminution d’impôt, constituant un premier pas dans la voie de l’uniformisation des modérations fiscales pour charges d’enfants. Cette caractéristique ne doit en aucun cas disparaître. »

Ces subtilités théoriques n’intéressent sans doute guère le grand public. Et le boni, prestation qui sera versée mensuellement dès l’année prochaine, aura plus l’aspect d’une augmentation pure et simple d’une allocation familiale, versée en deux étapes sous différentes appellations. Toutefois, la politique familiale du gouvernement s’en trouve aussi remaniée. D’abord, les changements fiscaux qui vont en direction de l’imposition individuelle font pester les partisans de l’institution du mariage et de la famille traditionnelle car en pratique, l’imposition des couples mariés avec enfants ne varie plus guère de celle des parents célibataires. Au contraire, dans certains cas, la balance tend même en direction des couples non mariés.

Ensuite, la redistribution horizontale classique, propre à la politique familiale (visant à éviter le déclassement d’un couple avec enfants par rapport à un couple sans enfants à revenus égaux), va vers une accentuation des transferts verticaux (le prélèvement fiscal des revenus élevés est redistribué aux personnes à faible revenu), caractérisant la politique sociale. Une tendance d’ailleurs présente dans la majorité des pays européens. Les pays scandinaves, l’Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ne tiennent pas compte des enfants à charge pour le calcul de l’impôt. Dans ces pays, l’accent est mis sur les aides directes.  

Cette mesure-ci est une aide financière de l’État dont peuvent disposer librement les bénéficiaires – les contestataires d’un versement unique redoutent d’ailleurs que cette somme d’argent s’évapore dans des dépenses qui sont en fin de compte sans relation avec les besoins réels de l’enfant. Une autre approche est celle de proposer des services comme des crèches publiques gratuites par exemple. « Nous devons arriver à créer l’équilibre entre les deux formules, » estime Michel Neyens, le président de la Caisse nationale des prestations familiales et conseiller de direction au ministère de la Famille. Le transfert réalisé par le boni sert essentiellement à endiguer le risque de pauvreté des enfants plutôt que de suivre une logique d’incitant démographique. 

« Même si cet argument est souvent avancé dans des discours politiques, je n’y crois pas, ajoute Michel Neyens, selon une étude réalisée en France, le taux de natalité n’a augmenté que de un ou deux pour cent, tous incitatifs confondus. Ces mesures-ci servent plutôt à établir la justice sociale, il s’agit d’investissements dans le capital humain que sont les enfants. Il y va de la viabilité de la société. »

Le même argument sert à faire taire ceux qui réclament une différence de traitement des allocataires non-résidents. Quarante pour cent du budget des allocations familiales part à l’étranger, c’est un fait. La CNPF traite entre 25 000 et 35 000 dossiers de complément différentiel (la différence entre la somme de l’allocation française et le montant luxembourgeois) versé dans 64 départements en France. « Jusqu’à présent, nous n’avons pas contribué à leur capital humain, ajoute le président, alors que le Grand-Duché en profite pleinement, il ne faut pas l’oublier. » 

Cette mesure sert les intérêts de l’enfant qui est placé au centre des préoccupations alors que traditionnellement, c’était la famille. Or, parallèlement, les membres de la Tripartite avaient décidé la désindexation des allocations familiales. Une attitude contradictoire dont la valeur symbolique n’a échappé à personne. L’ar­gument avancé selon lequel cet argent servirait à financer des services publics comme les maison-relais ne tient pas la route à cause du principe de la « non-affectabilité » de l’impôt. « Dans cette décision-ci, l’ancienne philosophie était sans doute prépondérante, ironise Michel Neyens, si à ce moment-là, l’enfant avait réellement été au centre des préoccupations, il est certain que les parte­naires sociaux n’auraient jamais eu l’audace de toucher aux allocations familiales. Car finalement, on lui a enlevé quelque chose à laquelle il aurait eu droit. »

 

anne heniqui
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