Chroniques d’urgence

Pour un bridage en ville

d'Lëtzebuerger Land du 17.12.2021

À moins d’être dotés d’une plaque d’immatriculation et assurés, les vélos électriques sont bridés à 25 km/h. A vrai dire, rien n’empêche les cyclistes en forme d’aller plus vite : ce bridage, qui protège les piétons mais aussi les cyclistes eux-mêmes, consiste à interrompre la propulsion électrique une fois que cette vitesse est atteinte. Le bridage n’est guère contesté. Les bricoleurs rebelles peuvent le neutraliser, mais gare aux contrôles et aux accidents : les trucages sont assez facilement détectés et peuvent coûter très cher.

À l’inverse, alors que les villes sont censées fournir des efforts en phase avec l’urgence climatique pour réduire l’empreinte carbone de ceux qui y vivent et y travaillent, la question du bridage des voitures qui y roulent n’est pratiquement jamais soulevée. Pourtant, cela les rendrait bien moins dangereuses pour les autres usagers de la route tout en réduisant leurs émissions de particules fines, de gaz nocifs – dont le gaz carbonique – et de bruit. Depuis quelques années, pratiquement toutes les voitures mises sur le marché sont équipées d’un limiteur de vitesse ; les technologies qui permettraient une activation automatique de ces limiteurs en zone urbaine en échange du droit d’y circuler sont au point et bon marché. Pourquoi diable n’envisage-t-on même pas cette option ?

Pour un début de réponse, commençons par regarder de l’autre côté de la Moselle. Dès le 15 octobre, le magazine Auto Motor Sport annonçait, sans cacher sa joie devant ce qu’il qualifiait de bonne surprise, que l’instauration d’une limitation de vitesse sur les autoroutes allemandes ne faisait pas partie de l’ébauche d’accord de coalition entre sociaux-démocrates, verts et libéraux. Chez nos voisins, rouler à tombeau ouvert sur l’Autobahn est une vache sacrée que rien ni personne ne semble pouvoir égratigner. Au point que certains soupçonnent que pousser sans entrave sur le champignon est considéré par les automobilistes allemands, soutenus ouvertement en cela par les constructeurs de Wolfsburg, Munich et Stuttgart, comme un droit fondamental pour lequel ils seraient prêts à mourir le volant à la main. Un peu partout, l’excès de vitesse n’est sanctionné que là où les contrôles sont faciles à mettre en place : dans les zones rurales ou péri-urbaines, qui se trouvent être aussi celles où les usagers de la route les plus vulnérables, piétons et cyclistes, sont beaucoup moins au contact des automobilistes.

Le refus persistant de l’adoption d’une limitation sur autoroute en Allemagne relève certes, dans l’absolu, d’une problématique distincte de celle de l’absence de contrôles sérieux des limites de vitesse en ville. Rarissimes en effet sont les villes qui les verbalisent, ce qui fait que les maxima de cinquante, trente ou vingt km/h qu’elles mettent en place restent lettre morte. Mais les deux phénomènes révèlent à quel point nos sociétés restent centrées sur l’automobile, érigée en support à la fois matériel et idéologique de l’individualisme et de notre addiction aux énergies fossiles.

Jean Lasar
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