Violence domestique

Darwinisme conjugal

d'Lëtzebuerger Land vom 24.10.2002

Le gouvernement l'a compris: le combat contre la violence domestique figure sur sa liste des priorités, le projet de loi respectif jouira donc enfin de la précellence qui lui est due. Il a été présenté en mars et vient d'être amendé par la commission parlementaire de l'Égalité des chances entre femmes et hommes et de la Promotion féminine. Reste à savoir si le Conseil d'État lui accordera le même degré d'urgence, maintenant que l'on attend son deuxième avis. 

L'aboutissement de cette loi ne sera en fait qu'une formalité, car elle jouit d'un large consensus au sein de tous les partis politiques. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles le gouvernement lui accorde la préférence, car il n'y aura sans doute pas de frictions entre majorité et opposition et la nouvelle loi fera bonne impression lorsqu'il s'agira de dresser le bilan des réalisations en fin de période législative.

Sur le terrain, en tout cas, il y a urgence, les structures d'accueil doivent refuser des demandes pratiquement tous les jours. La semaine dernière, un nouveau foyer pour femmes en détresse a ouvert ses portes au nord du pays, à Eschweiler près de Wiltz. Un moyen pour fuir l'enfer domestique, car la situation semble être particulière dans l'Oesling, où les villages sont éloignés et les moyens de transport public sont rares. La priorité est donc réservée aux femmes du nord, «suite à une série de situations tristes, surtout dans le secteur agraire,» comme l'indique le Wort du 12 octobre. 

Cette semaine encore, un homme est passé à la barre parce qu'il avait blessé sa femme d'un coup de couteau. Celle-ci l'avait repoussé du lit conjugal et voulait se séparer de lui. Selon l'expert psychiatre «l'angoisse face à une perspective de divorce, la rancoeur se sont transformées en contrainte morale pour une personne affectivement fragilisée». L'avocat de l'agresseur va même jusqu'à mettre en cause le statut de la victime qui, cruelle, «avait fermé boutique» et avait repoussé son mari (Quotidien du 22 octobre).

Provocation, punition méritée ? Car nous en sommes toujours à ce stade-là, où la victime a intérêt à prouver qu'elle a été agressée et maltraitée «injustement». 

L'ouverture du nouveau foyer «Edith Stein» le démontre aussi : c'est toujours à la victime de plier bagage et de fuir le domicile conjugal, souvent en emmenant les enfants, arrachés à leur environnement habituel, obligés de traverser une nouvelle phase difficile. 

Cette situation devrait changer avec l'application de la nouvelle loi. Celle-ci prévoit l'expulsion de l'agresseur pendant deux semaines, qu'il ait commis un acte ou qu'il n'ait que l'intention de passer à l'acte : «les personnes contre lesquelles il existe des indices qu'elles se préparent à commettre à l'égard d'une personne proche avec laquelle elles cohabitent une infraction contre la vie ou l'intégrité physique». 

La commission parlementaire a aussi insisté sur la protection de leur entourage : les ascendants et descendants mineurs ou handicapés de la victime sont inclus dans le cercle des personnes protégées par la mesure d'exclusion parce qu'ils sont en pratique souvent eux-mêmes victimes de violence domestique. Sur ce point-là, les députés n'ont pas suivi le premier avis du Conseil d'État. Celui-ci avait craint qu'une extension des personnes protégées deviendrait trop compliquée. 

Par contre, ils ont abandonné l'introduction du concept d'une zone de sécurité, selon laquelle un agresseur aurait été obligé de garder une certaine distance du domicile conjugal. L'abandon de cette distance à respecter a d'ailleurs été une des raisons pour laquelle la députée des Verts, Renée Wagener, s'est abstenue lors du vote des amendements. Pour les associations travaillant sur le terrain, cette zone de sécurité aurait pourtant été indispensable pour assurer une protection efficace de la victime et de ses proches. «Nous avons voulu faciliter la tâche de la police, se justifie la présidente Ferny Nicklaus-Faber (PCS), vu le manque d'agents, le contrôle de cette mesure n'aurait pas pu être assuré correctement. C'est pour cette raison que nous avons prévu que la police recevrait la clé du domicile et des dépendances et que toute intrusion ou tentative d'intrusion seront punies. D'ailleurs, l'interdiction de prendre contact avec la victime est prévue dans d'autres articles.»

Parallèlement à la mesure d'expulsion, l'alerte d'un service d'assistance aux victimes de violence domestique est prévue. La police devra informer les responsables de ce service agréé par l'État de l'expulsion, de l'adresse et de l'identité de la personne protégée. Cette disposition entraînera un surplus de besogne pour ces services et la nécessité d'augmenter leur budget. «Un devoir d'information d'autant plus important que les victimes ne savent souvent pas que de telles structures existent, précise Ferny Nicklaus-Faber, ou qu'elles n'ont pas le courage d'aller chercher de l'aide. Ces femmes sont en état de choc, ont un manque de confiance en elles et arrivent mal à gérer cette situation de crise.» Les services d'assistance peuvent donc prendre des initiatives qu'ils jugent être en faveur de la victime, ils peuvent même se constituer partie civile devant la justice.

Une autre disposition de la loi, jugée très importante, est la création d'un comité de coopération entre les professionnels dans le domaine de la lutte contre la violence. Pour qui s'y connaît en matière de services et d'organisations oeuvrant dans le domaine social, une coopération semble souvent impossible. Les double emplois ne sont pas rares, les situations de concurrence entre les organismes enveniment souvent toute relation et paralysent les échanges d'information, au dépens de la victime. Le texte amendé prévoit donc que ce comité soit «composé de représentants de services d'assistance aux victimes de violence domestique agréés, chargé de centraliser et d'étudier les statistiques (…), d'examiner la mise en oeuvre et les éventuels problèmes d'application pratique (…) de la loi (…) et de soumettre au gouvernement les propositions qu'il juge utile». Les statistiques rigoureuses et régulières font - comme pour beaucoup d'autres domaines - défaut au Grand-Duché. L'année dernière, 800 femmes ont trouvé refuge dans les foyers d'accueil, trois femmes ont été tuées par leur mari ou leur concubin. Selon des études internationales, entre 17 et 38 pour cent des femmes sont victimes de violence domestique, quelle que soit leur situation sociale, une cause de décès plus importante que ne le sont la maladie du cancer et les accidents de la route cumulés. Ce type de violence touche 95 pour cent de femmes et cinq pour cent d'hommes. 

Même si les députés de la commission parlementaire ont consacré le travail des services et organisations sur le terrain, ils ont par contre désavoué la médiation entre victime et agresseur. «La médiation n'est efficace qu'entre partenaires égaux, explique la présidente, ce qui n'est pas le cas dans un contexte de violence conjugale. C'est pour cette raison que nous préférons mettre l'accent sur la thérapie psychologique. D'un côté pour la victime, de l'autre pour l'agresseur - à condition qu'elle soit volontaire. Le juge pourra encourager  celui-ci à suivre un tel traitement. Parce qu'un homme violent trouvera bien un jour ou l'autre une nouvelle compagne qu'il risque de maltraiter à son tour. Il faut donc arrêter cette spirale.» Reste à savoir si cette thérapie se déroule vraiment sur une base volontaire si elle est «suggérée» par un juge, tout en sachant qu'il fera preuve de clémence si son conseil est suivi.

Même si ce projet de loi se veut être un des plus modernes en Europe - il est inspiré des législations autrichienne, belge et française - une attitude étrange s'est fait jour lors des discussions autour du texte : une certaine compassion avec l'agresseur. Le droit au domicile et à la propriété figurent parmi les vaches sacrées au Grand-Duché, c'est sans doute une des raisons pour laquelle l'expulsion du propriétaire de son domicile est perçue comme une aberration par certains. Mais même au sein de la commission parlementaire, les députés se sont posé la question de ce qu'il adviendra des «pauvres expulsés» (les agresseurs), ne pouvant bénéficier d'aucune structure d'accueil pareille aux foyers pour femmes en détresse (les victimes). 

Les agresseurs victimes ? Même s'ils ont par le passé été réellement des victimes (la spirale de la violence commence - on le sait - dès l'enfance, les agresseurs ont souvent eux-mêmes été élevés dans un contexte de violence conjugale), il n'en reste pas moins qu'ils sont responsables de leurs actes une fois adultes. 

Lorsqu'elle sera votée, cette loi aura force de symbole, c'est en tout cas ce que souhaite la ministre de la Famille et de la Promotion féminine, Marie-Josée Jacobs. Encore faudra-t-il que l'imbroglio victime-agresseur-provocation-correction-responsabilité soit clarifié dans les têtes, surtout au niveau de la justice.

Le titre est inspiré de l'expression utilisée par Léon Zeches dans l'éditorial du Wort du 23 février 2002, servant à désigner les rapports de force dans un couple.

Trois témoignages de femmes en détresse ont été recueillis dans un récent documentaire sur la violence conjugale au Luxembourg. Des copies à dix euros sont disponibles en luxembourgeois A gudde wéi a schlechten Zäiten et en français Pour le meilleur et pour le pire aux adresses suivantes : au centre de rencontres Kopplabunz ; 46, rue Michel Rodange à Luxembourg ; tél : 22 67 14, à la librairie Bücherkasten, rue Notre Dame à Luxembourg et à la librairie Diederich à Esch/Alzette

anne heniqui
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