La galerie Modulab à Metz expose les gravures inspirées de textiles d’Irma Kalt

L’étoffe de l’artiste

Photo: Loïc Millot
d'Lëtzebuerger Land du 30.05.2025

Ça commence par la fin. Sur la paroi reliant les deux salles de la galerie Modulab sont exposés des rebuts provenant de l’atelier de l’artiste Irma Kalt (née en 1987). Présente dès 2018 à la Luxembourg Art Week, l’artiste, formée à l’école des Beaux-Arts de Nantes, a tôt bourlingué à travers le monde (France, États-Unis, Chine, Thaïlande). Elle a conservé à chaque fois un fragment de ses productions antérieures, qu’elle a ensuite soigneusement rassemblé dans une boite. Sont alors dévoilés sous forme d’installation toutes sortes de matériaux collectés depuis l’adolescence qui consignent la mémoire de l’artiste : carnets de dessins, chutes de tissus, essais chromatiques ou maquettes de drapeaux, comme celui qu’Irma Kalt a réalisé pour le Frac Bretagne et qui fait partie depuis de sa collection permanente. Toute recouverte de rebuts, la cimaise donne à voir un jardin de formes et de couleurs en même temps qu’elle révèle une part d’intimité créatrice. Ainsi la fin trouve un nouveau recommencement, dans un geste de recyclage où la mise en visibilité ne se limite pas au produit final. C’est par ailleurs un geste familier de la part de la galerie Modulab, dont le précédent artiste invité avait fait le choix d’exposer des sculptures composées d’éléments résiduels.

De part et d’autre de cet atelier que l’on entrevoit par les chutes, d’élégantes gravures sur bois attirent le regard. Majestueuses et minimales, toutes déclinent des motifs au bord de l’abstraction, mais dont les rayures trahissent un même modèle textile. On devine ce motif notamment grâce aux contorsions et plis que l’artiste décline au moyen de techniques renouvelées (pochoir, linogravures, gravure sur bois, papier peint, sérigraphie), produisant ainsi divers effets optiques et de textures à partir d’un même objet. Il y a la règle (la règle de mesure, mais aussi la méthodologie) qui prévaut au choix du motif, et il y a l’exception, le froissement, l’irrégularité, qui insufflent vie et mouvement à ses compositions géométriques. On songe, par extension, aux toiles d’Ode Bertrand, au côté de laquelle Irma Kalt a exposé dans ce même lieu son œuvre Piscine (2013), où l’ondulation de l’eau fait vaciller la régularité du carrelage. Une structure en quadrillage que reprend Kalt pour la transposer, ailleurs dans l’exposition, sur deux gants qu’elle aura elle-même cousus en laine (Main dans la main, 2020). On pourrait y déceler une influence forgée au contact de la culture asiatique et des collectifs qu’elle aura fréquentés là-bas, comme en témoigne la ressemblance formelle avec la calligraphie. Irma Kalt ne parle-t-elle pas de ses œuvres à la fois comme d’« un geste et une forme d’écriture » ? Ce serait oublier enfin que le père d’Irma, Charles Kalt, est lui-même artiste et a signé certaines œuvres avec sa fille. Mais c’est davantage du côté de la mère, costumière à l’opéra du Rhin qui lui rapportait des morceaux d’étoffe, qu’il nous faut reconnaître la filiation la plus sûre. De là vient le goût d’Irma Kalt pour les couleurs, les matières textiles. « Dans notre famille, l’art est un langage commun », confirme l’artiste.

On admire le travail minutieux, obstiné où de grandes rayures s’élancent et se répondent par contraste sur des bois encrés. De fines rayures qui apparaissent par retranchement et servent, d’après l’artiste, « à marquer l’espace et à montrer le geste du tissu », tel qu’on le perçoit à travers deux sublimes pièces de la série Étreinte (2025) notamment. Sur les bois, l’artiste applique des couleurs unies qui ont la profondeur des épices, comme le bleu de Prusse, dont les tons oscillent entre le vert, le bleu et le noir, selon les variations de la lumière, ou encore, plus exceptionnellement, ce vibrant violet de Solferino dans lequel plonge le regard du spectateur (Ruban, 2021). Outre le plaisir sensuel qu’ils procurent, ces aplats de couleurs viennent rehausser les nervures du bois et opposer aux compositions rigoureusement géométriques de l’artiste leur propre figuration, libre et aléatoire. « J’aime l’idée de faire apparaître le dessin du bois, que je ne peux pas choisir et qu’on ne peut pas voir avant de l’encrer », confie Irma. Une façon d’intégrer l’aléa et de le révéler au sein du processus de création. Ajoutons que le bois offre au spectateur une qualité de présence que ne permet pas le papier, celui-ci étant habituellement recouvert d’un verre de protection.

Le parcours est ponctué de pièces de différents formats, où le motif textile demeure incontournable. Notons cependant la présence de deux pièces faisant place à l’écrit ; ce sont deux eaux fortes qui interpellent la place du spectateur : « Où es-tu », « Que fais-tu ? », y lit-on. Chacune de ces inscriptions donne l’impression d’avoir été fabriquée en tissus. Rappelons enfin que la galerie Modulab s’est engagée depuis dix ans dans l’édition d’art et qu’elle possède aujourd’hui une belle collection d’estampes. En témoigne le triptyque spécialement réalisé par Irma Kalt pour l’exposition, et qui en reprend le titre : Oui, non, peut-être (2025). Soit trois linogravures sur papier, tirées à 22 exemplaires et constituant une ultime variation à partir de la transcription de la matière textile. p

Loïc Millot
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