Quand Thibeau Salvi était encore adolescent, la mode, c’était le skate. Et, à l’époque déjà, le Luxembourgeois voulait que son style sorte du lot. Après une scolarité au Lycée Schuman et un diplôme de fin d’études en sciences économiques, celui qui veut devenir event manager poursuit avec un Bachelor à l’ICN Business School de Nancy. En octobre 2019, Thibeau et son grand-frère Gautier, alors étudiant en arts plastiques, il lancent leur propre marque de vêtements streetwear : Gauto & Bro.
Leurs premiers modèles s’inspirent des dessins que Gautier a réalisés en classe mais, devant le manque d’intérêt du public, les deux frères se tournent vers des designs plus accessibles. Utilisant la technique du bitmap, une image formée de rangées de pixels, Gautier retravaille les illustrations qu’il trouve sur Internet. De son côté, Thibeau gère les collaborations avec quelques artistes et le développement commercial. « On glané des projets à droite à gauche : en France, au Luxembourg, en Belgique, en Suisse et un peu aux États-Unis pour trouver des vendeurs », se remémore le jeune homme. Mais, sur plus de 200 boutiques contactées, les frères Salvi ne reçoivent que trois réponses positives. Chez celles qui leur ont fait confiance, comme La Consigne Store à Strasbourg, leurs produits sont ceux qui se vendent le mieux. « Je me suis alors dit qu’il y avait un réel décalage entre la créativité des petites marques et leur manque de visibilité auprès des grandes enseignes », témoigne le jeune entrepreneur.
En janvier 2024, alors qu’il suit un master à Paris, sa décision est prise. Plutôt que de courir constamment après les grandes enseignes, Thibeau Salvi va ouvrir sa propre boutique, avec son propre concept. Cela s’appelle Émergence puisqu’il veut promouvoir des créateurs émergents. Durant trois mois, ses professeurs l’accompagnent sur la partie administrative et le business plan. Thibeau est particulièrement reconnaissant envers celui qui l’a questionné sur sa phase de test… à laquelle il n’avait pas pensé. « Au début, on veut tout faire trop vite mais ce professeur m’a appris à me limiter, à mettre mes grandes ambitions sur pause », s’amuse-t-il. En plus de son frère et de ses enseignants, le Luxembourgeois a aussi pu compter sur l’aide de sa copine pour la communication et sur le soutien de ses parents. En avril 2024, tous sont présents dans le dixième arrondissement de Paris pour l’ouverture de la première boutique éphémère. Les défilés, les showcases et les shootings s’enchaînent et Émergence met d’abord vingt puis quarante marques en avant. Mais les loyers sont chers et Thibeau n’envisage pas de rester à Paris. Il ferme et cherche une deuxième destination: Ce sera à Belval, l’hiver dernier.
Enfin, la troisième vague d’Émergence a trouvé sa place dans un des pop-up du centre-ville de Luxembourg. Sur le modèle de la première expérience, les événements ne manquent pas et Émergence, grâce à Instagram et aux médias parisiens qui l’avaient repéré, a déjà attiré plus d’une vingtaine de labels indépendants. Si la plupart sont français, Thibeau compte bien s’exporter dans le reste de l’Europe. Avec enthousiasme, il révèle les histoires à l’origine de chaque marque : Softhéra, dont le nom combine la puissance de la déesse Héra à la douceur et propose des vêtements réversibles ; Amber & Key, un collectif de onze créateurs passionnés de cinéma dont chaque collection est imaginée autour d’un film comme Eyes Wide Shut, Fight Club ou Taxi Driver ; Wave of Art, avec des pièces conçues autour des cinq sens, ou encore La patte de l’ours brun (LPOB), renvoyant à la carrure de son créateur qui avait des difficultés à trouver des vêtements à sa taille, avec une offre de vêtements au-delà des mesures standards, fabriqués à partir de chutes de tissus de maisons de luxe.
Avec des prix allant de trente à 400 euros, Thibeau reçoit autant des lycéens qui cherchent à se démarquer – et avec un certain budget ! – que des cadres quadragénaires en quête de streetwear plus pointu que les collections Nike. D’après le gérant d’Émergence, la mode urbaine se standardise et devient ennuyeuse. « Au Luxembourg on est un peu en retard sur la mode mais à Paris je vois que les gens essaient de se différencier avec des marques indépendantes », se réjouit-t-il néanmoins. Le samedi 7 juin, pour fêter les quatre premiers mois d’Émergence à Luxembourg-Ville, plusieurs défilés et showcases sont attendus. Thibeau Salvi, qui a su trouver un juste équilibre entre ses deux domaines de prédilection, la mode et le business, tient à préciser que cinq euros de réduction seront accordés en échange de Pringles saveur crème et oignons, ses préférés. Ou l’art de faire des affaires.