Que les banques recherchent la profitabilité, « c’est énoncer l’évidence », balance Mario Pirola. Le patron de la succursale de Pictet au Luxembourg élabore sur le thème choisi par le cabinet Elvinger Hoss Prussen pour la troisième édition de son Regulatory Forum. Mercredi matin au Mudam, les banquiers ont débattu à l’invitation des avocats de banques, Henri Wagner et Pit Reckinger, sur leur régulation face au régulateur, Claude Marx. Pour Françoise Thoma, directrice générale de la Spuerkeess (qui a elle-même débuté sa carrière en tant qu’avocate, a souligné le bâtonnier sortant), sa banque (publique) serait « very heavy on interest revenue ». Elle raconte que ses régulateurs, « the guys from Frankfurt, not the CSSF », lui demandent régulièrement d’expliquer « pourquoi ils seraient encore là dans dix ans », ce qui la contraint à s’interroger sur son business model, ses sources de revenus. Pour Mario Pirola, la profitabilité doit venir de l’innovation sur « le front technologique », notamment face à la dépendance des banques européennes en la matière vis-à-vis de la Chine et des États-Unis. Le patron de la banque suisse au Grand-Duché rappelle que cette dernière a lancé ici en 2016 sa « venture » Pictet Technologies. Selon Pirola, cette société employant 150 personnes à Esch assure 75 pour cent des projets IT du groupe.
Selon Hugo Bänzinger, présenté comme un « seasoned banker » pour avoir émargé quarante ans durant chez Lombard Odier, Deutsche Bank ou Credit suisse, la profitabilité dépend de ce que les clients sont prêts à payer. « Et les Européens ne veulent pas payer davantage », assure le banquier. Les « frais » s’accumulant depuis la crise financière précipitent les clients vers les banques en ligne. « Pourquoi irais-je acheter des parts d’un fonds chez Lombard Odier qui prend 60-70 points de base alors que Fidelity ou BlackRock en demandent dix fois moins ? » L’ancien banquier explique ainsi que pour transférer des fonds vers ses œuvres caritatives aux Philippines, il utilise Paypal.
De quoi réjouir son voisin de panel Norbert Becker, président de Paypal Europe. « Nous sommes très contents de te compter parmi nos clients satisfaits », introduit le Luxembourgeois. L’entrepreneur à succès (Ernst & Young, Atoz, CBP, etc.) raconte que, durant ces vingt dernières années où il siégeait au board du groupe financier américain (fondé par Elon Musk, entre autres), il a régulièrement lutté avec les « Internet guys » du siège californien à San José pour leur faire comprendre « qu’en tant que banque, ils sont régulés et qu’ils doivent suivre les règles ». « I need to explain the cost of regulation (…) and it is extremely difficult to be profitable », relate Norbert Becker (qui avait quelques secondes plus tôt parlé des 400 millions d’euros de profits réalisés l’an passé par Paypal). « Les régulateurs demandent de plus en plus de capital pour protéger les clients. Paypal a dû augmenter ses fonds propres de 600 millions l’an dernier simplement parce que quelqu’un a Bruxelles a changé la manière de calculer un ratio », poursuit-il. Selon Norbert Becker, « le rendement des capitaux propres (ROE) est tiré par le bas et cela dissuade les investisseurs ». Cela nuirait au développement de la technologie. Or, son entreprise, « victime d’un million d’attaques informatiques par jour », doit renforcer ses défenses, s’est plaint Becker avant de demander « une sandbox » où les entreprises peuvent développer des applications dans un périmètre restreint sécurisé.
« I’m sure Claude has his idea on that », a réagi Pit Reckinger, vantant le dialogue entre le secteur financier et son régulateur. Claude Marx a répondu que la (petite) taille du marché luxembourgeois (« inevitably, everything you do is crossborder ») ne permettait pas de créer un régime de sandbox. Le directeur général de la CSSF a en outre replacé les lamentations des banquiers dans un univers chiffré où la rentabilité des banques européennes converge avec les concurrentes américaines. Au Luxembourg, les rentabilités sont supérieures à la moyenne européenne pour les établissements qui ont la masse critique. Le phénomène de consolidation devrait se poursuivre au Grand-Duché où le centre financier a perdu trente banques en dix ans, passant de 148 à 118 unités, relève-t-il. Claude Marx défend bien sûr la régulation, mais ne conteste pas l’existence d’éventuelle mauvaises régulations. « Des fois on agglomère les législations, plutôt que de les abolir et de les remplacer, comme on devrait avoir le courage de faire. » Le directeur demande plus de règles basées sur les principes et de la proportionnalité. « C’est le manque de confiance entre les États membres qui pousse (le législateur européen) à tout vouloir régler dans le moindre détail, et il faut s’en départir ». « I am in favour of simplification and efficiency, not of deregulation », a conclu le directeur general de la CSSF.