Le Haut-Karabagh vient de voir une nouvelle étape d’un conflit qui dure depuis 1991

Les armes ont parlé

d'Lëtzebuerger Land vom 29.09.2023

Le 19 septembre 2023, l’armée azerbaïdjanaise a lancé une offensive contre la République d’Artsakh, une enclave et un État non-reconnu peuplé par des Arméniens. Cette offensive-éclair a mené en quelques jours à la capitulation des autorités de l’Artsakh. Des négociations ont commencé pour le retour des territoires du Haut-Karabagh sous le contrôle de l’Azerbaïdjan. Le Premier Ministre arménien, Nikol Pachinian, arrivé au pouvoir en 2018 suite à des manifestations, fait face à des critiques sur son rôle dans la défaite de la République d’Artsakh.

Les troubles remontent à loin. Après des premiers conflits au Haut-Karabagh suite à la Révolution d’Octobre, Staline décide en 1923 de rattacher le Haut-Karabakh à la République Soviétique d’Azerbaïdjan, malgré les revendications de la République Soviétique d’Arménie. En tant que natif de la Géorgie et Commissaire aux nationalité de l’URSS, Staline était considéré comme le spécialiste des relations ethniques du gouvernement soviétique. Dans le contexte de la chute de l’Union Soviétique, les Arméniens du Haut-Karabagh proclament leur indépendance avec le soutien de l’Arménie. Lors du conflit, les Arméniens du Haut-Karabagh comptaient parmi leurs leaders militaires Monte Melkonian, un ancien du groupe terroriste marxiste arménien « Asala ».

Ce groupe, créé par des membres de la diaspora arménienne, voulait imposer à l’État turc la reconnaissance du rôle de la Turquie dans le génocide arménien de 1915. Au cours des années 1970 et 1980, plusieurs diplomates turcs ont été assassiné par ce groupe. La proclamation d’indépendance mènera à un premier conflit militaire entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie qui durera jusqu’en 1994.

Cette guerre se termina par un cessez-le-feu signé avec l’appui de la Russie. Le conflit aura causé la mort d’environ 25 000 personnes, l’occupation de vingt pour cent du territoire azerbaïdjanais et la fuite de 700 000 réfugiés azéris vers le reste de l’Azerbaïdjan. Les Arméniens d’Azerbaïdjan, au nombre de 235 000, fuiront vers l’Arménie. Le cessez-le-feu gèle le conflit. Malgré la stabilisation de la ligne de front, des escarmouches ont lieu régulièrement. Les négociations pour une solution pacifique s’enlisent.

Le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, qui a succédé à son père en 2003, utilise les ressources énergétiques et la position stratégique de son pays pour multiplier les alliances. Le gaz azerbaïdjanais est exporté à travers le corridor gazier sud-européen qui traverse la Géorgie et la Turquie jusqu’en Europe. En effet, ce corridor permet de contourner la Russie. Pays turcophone au bord de la mer Caspienne, l’Azerbaïdjan est un pont entre la Turquie et les pays turciques de l’Asie Centrale. Dans le contexte du conflit entre Israël, allié des États-Unis, et l’Iran, la position de l’Azerbaïdjan au nord de l’Iran permet à Aliev de faire de son pays un allié de l’Occident.

En septembre 2020, l’armée azerbaidjanaise lance une offensive contre la République d’Artsakh et les territoires contrôlés par l’armée arménienne. Son arsenal, composé de drones de fabrication israélienne et turque, lui permet de vaincre. Des rapports de presse font état du recrutement de mercenaires syriens pour appuyer l’armée azerbaïdjanaise. L’Azerbaïdjan recouvre ainsi les territoires occupés par l’Arménie et une partie du Haut-Karabagh.

La Fédération du Russie entame des pourparlers qui permettent de faire cesser les combats et de négocier l’ouverture d’un corridor entre l’Arménie et le Haut-Karabagh. Des soldats russes sont chargés de protéger ce corridor. En février 2022, l’invasion de l’Ukraine et l’enlisement de l’armée russe réduisent ses capacités de dissuasion dans la région. La fin des importations d’hydrocarbure russe dans l’Union Européenne permet au président azerbaïdjanais d’accentuer le rôle de son pays comme source alternative d’énergie pour l’Europe.

Le 18 juillet 2022, la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, signe un accord pour doubler les livraisons de gaz azerbaïdjanais vers l’Union Européenne. En septembre de la même année, l’armée azerbaïdjanaise bombarde et pénètre sur plusieurs points la frontière de l’Arménie même. Cette attaque directe contre le territoire arménien signifie une escalade. Dans ce contexte, Pachinian tente de rapprocher son pays de l’Union européenne et des États-Unis. Il fait envoyer de l’aide humanitaire à l’Ukraine et fait un pas vers la ratification du Traité de la Cour Pénale International. Cette institution a notamment lancé un mandat d’arrêt contre le Président russe Vladimir Poutine suite à l’invasion de l’Ukraine.

Lors du sommet à Prague en octobre 2022, l’organisation de la « Communauté Politique Européenne », met en place une mission civile d’observateurs de l’UE aux frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Cette mission est convenue par le président français Emmanuel Macron et le président du Conseil européen Charles Michel. Quelques jours avant l’invasion actuelle du Haut Karabagh, l’armée arménienne avait notamment conduit des exercices avec un peloton de l’armée américaine.

En Septembre 2023, la capitulation de la République d’Artsakh est vue par certains Arméniens comme la dernière étape avant une invasion de l’Arménie par l’Azerbaïdjan. L’exclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan se trouve entre l’Arménie et la Turquie. Cette région est connectée au mainland azerbaïdjanais par le corridor de Zanguesour qui traverse la région arménienne de Syunik. Si ce territoire venait à faire partie de l’Azerbaïdjan. Cela permettrait à l’Azerbaïdjan de faire transporter ses exportations vers la Turquie et l’Europe sans devoir passer par la Géorgie.

La République Populaire de Chine pourrait s’intéresser à ce sillon dans le contexte des Nouvelles Routes de la Soie et des difficultés de transports à travers la Russie suite au conflit en Ukraine. Une intervention azerbaïdjanaise ferait face aux observateurs civils de l’UE. Comment les pays de l’UE réagiraient-ils ? L’Iran reste attentif à la situation au Haut-Karabagh. En effet, les région iraniennes limitrophes de l’Azerbaïdjan sont peuplées d’Azéris. Lors du conflit de 2020, des Azéris d’Iran avaient manifesté leur soutien à l’Azerbaïdjan. La frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Iran est le résultat d’un traité de 1828 entre l’Empire iranien et l’Empire russe. Il est resté dans la mémoire du gouvernement iranien que de 1945 à 1946, la République Soviétique d’Azerbaïdjan avait soutenu des séparatistes azéris au nord de l’Iran.

L’Azerbaïdjan pourrait avoir le rôle de perturbateur de l’alliance entre la Russie et l’Iran. Ce dernier pays fournit des drones aux forces russes et partage son expérience pour contourner les sanctions. La Géorgie reste en retrait. Elle profite de la rente du passage du corridor gazier sud-européen et des importations parallèles vers la Russie. Cependant, la fin de la République d’Artsakh sera méditée par le gouvernement géorgien qui fait face à des séparatistes soutenus par la Russie en Abkhazie et en Ossétie du Sud.

Au Haut Karabagh, les autorités de l’Artsakh négocient avec le gouvernement azerbaïdjanais. Ces négociations porteront sur le statut des Arméniens qui continueront à vivre sur ce territoire. D’autres ont préféré fuir. En 2020, certains Arméniens avaient incendié leurs maisons plutôt que de les laisser à l’Azerbaïdjan. En Arménie, il est probable que le Premier ministre Pachinian restera dans la mémoire comme le leader qui a perdu le Haut-Karabagh si durement gagné. Aux réfugiés azéris qui retournent au Haut-Karabagh, le Président Aliev pourra dire qu’il a accompli en trois ans et deux guerres ce que 29 années de négociations n’ont pu achever. Cela garantira pendant longtemps sa présidence.

Alejandro Marx
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