La semaine politique a commencé mardi à la fraction du LSAP, rue du marché aux herbes. Les socialistes ont convié à une conférence de presse que l’un de ses protagonistes, le député Déi Lénk Marc Baum, a qualifié d’un « peu extraordinaire ». Trois partis de l’opposition s’unissent en effet pour dénoncer la « Zickzack-Politik » du gouvernement au Proche-Orient. Sam Tanson (Déi Gréng) fustige « les mauvaises décisions gouvernementales » face à une situation « tous les jours plus dramatique » dans la bande de Gaza et en Cisjordanie : plus de 54 000 victimes de Tsahal parmi les deux millions de Gazouis qui, entre un mur et la mer, tentent d’éviter les bombes depuis vingt mois. Et Israël qui bloque l’aide humanitaire depuis mars, instillant la famine dans la bande de terre, violant la convention de Genève sur le droit de la guerre ou les avis de la Cour internationale de justice, notamment celui du 26 janvier 2024 qui alerte sur un risque de génocide à Gaza et exige d’Israël de faciliter l’aide humanitaire.
La semaine dernière (jeudi), la réunion de la Commission des Affaires étrangères avec le ministre de tutelle, Xavier Bettel (DP), a douché le peu d’optimisme encore porté par Sam Tanson. Avant de s’envoler pour le Canada et y ouvrir une ambassade, le ministre des Affaires étrangères a soufflé le chaud et le froid. Bettel a dit vouloir « mettre la pression sur Israël » en reconnaissant l’État palestinien lors de la conférence prévue à New York du 17 au 20 juin. Mais il a prévenu qu’un « package » de « critères », comme la déradicalisation de l’éducation en Palestine ou l’exil du Hamas, devaient être validés. Le cas échéant, le Luxembourg appartiendrait à un groupe de quinze pays susceptibles de rejoindre les 146 pays qui reconnaissent déjà la Palestine.
Mardi, Marc Baum constate que Xavier Bettel trouve « toujours plus d’excuses » pour ne pas franchir le pas. L’élu de gauche dénonce « une situation insupportable qui n’est pas dans la ligne politique suivie par le passé ». Yves Cruchten (LSAP) abonde : « Le Luxembourg a perdu son image de pays défenseur des droits de l’Homme ». Sam Tanson a entretemps lu la presse internationale. Vendredi, le Guardian révélait que la France, à l’initiative de la conférence des Nations unies, et le Royaume-Uni n’envisageaient plus de reconnaître la Palestine à New York, mais d’y établir une « feuille de route » basée sur ces critères. La reconnaissance serait repoussée sine die. Les États-Unis et Israël ont fait pression sur les pays occidentaux, rapportent les médias internationaux. Sam Tanson voit en le « rétropédalage » luxembourgeois le signe que le gouvernement a succombé à cette pression. Les 2 et 3 juin, « en vue de la conférence pour la solution à deux États », Luc Frieden a successivement appelé son homologue palestinien, Mohammad Mustafa, et le président israélien, Isaac Herzog. Ce dernier est cité dans l’ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024. « C’est toute une nation qui est responsable. Tous ces beaux discours sur les civils qui ne savaient rien et qui n’étaient pas impliqués. Ça n’existe pas. (…) Nous nous battrons jusqu’à leur briser la colonne vertébrale », avait clamé le président israélien quelques jours après les attentats commis par le Hamas le 7 octobre.
La matinée de ce mardi a également été marquée par la publication d’une tribune signée par plus d’une dizaine de personnalités publiques luxembourgeoises, du monde du cinéma (Vicky Krieps, Sophie Mousel), des universitaires (Luc Heuschling, Benoît Majerus), des retraités de la politique (Jean Asselborn) ou de l’administration publique (Martine Solovieff). « Nous invitons le gouvernement du Luxembourg à écouter les voix qui s’élèvent. Ces voix qui refusent que nos valeurs soient piétinées, que notre humanité soit bafouée à Gaza, par l’inaction complice de ceux qui nous dirigent. Nous lui demandons d’exercer une pression diplomatique et économique (…) pour contribuer à ce qu’Israël cesse la destruction du peuple palestinien, à Gaza et en Cisjordanie », introduit le texte. « Nous ne sommes d’aucun camp, si ce n’est celui de la dignité humaine et de la justice. Tuer et affamer des enfants et infliger aux civils des souffrances incommensurables est mal, quel que soit son système de valeurs », tonnent les signataires, dont des gens proches du DP, comme Guy Daleiden (FilmFund), et du ministre des Affaires étrangères, comme Martine Goergen (CHL) et même sa mère, Anelia Bettel. «Il est temps d’agir, aujourd’hui. Demain il ne restera que souvenirs et regrets », conclut le texte. Ce jeudi midi, plus de 500 personnes se sont jointes à l’initiative coordonnée par l’association Jewish Call for Peace. L’ancienne ministre CSV, Erna Hennicot-Schoepges en est. Le maire CSV de Strassen, Nico Pundel, aussi. Femmes et hommes politiques n’avaient pas été sollicités en amont, mais elles sont dorénavant libres de signer.
Mardi matin, 100,7 et RTL, ont timidement fait écho à l’initiative. Le Wort préfère lui une publication locale, photos du CGDIS à l’appui : Un camion rempli de pastèques s’est renversé sur l’autoroute A1. Le fruit, symbole de la cause palestinienne, n’arrivera pas à destination. Un avant-goût de l’après-midi à la Chambre. La session publique s’est ouverte avec une heure d’actualité, programmée de longue date, pour discuter d’une motion LSAP pour la reconnaissance de la Palestine. Yves Cruchten la demande « elo, haut », comme une véritable précondition à une paix durable en Palestine et en Israël. Un tel acte fait partie des leviers qu’un pays européen peut actionner pour faire pression sur Israël. Le socialiste envisage également la suspension de l’accord d’association UE-Israël ou le contrôle renforcé sur les entreprises luxembourgeoises soupçonnée de servir la guerre menée par Israël à Gaza. Yves Cruchten relève en outre que l’Union européenne a mis en œuvre 17 paquets de sanctions contre la Russie depuis février 2022 : « Pas une sanction ne vise un membre du gouvernement israélien », reproche-t-il.
Laurent Mosar, qui quelques secondes plus tôt scrollait tranquillement son téléphone les jambes croisées pendant que Cruchten listait les atrocités commises par Israël à Gaza, juge que les conditions imposées à l’Autorité palestinienne et aux pays arabes et musulmans (reconnaître Israël pour ceux qui ne l’ont pas fait et reconstruire Gaza) font « absolument du sens » : « Ce n’est pas un non définitif (à la reconnaissance, ndlr), mais pas un oui aveugle non plus ». Gusty Graas (DP) ressasse des poncifs devenus obscènes : « Nous avions de la compréhension pour la réaction d’Israël, mais on peut dorénavant se demander si elle n’est pas disproportionnée. » Pour le libéral, président de la commission des Affaires étrangères, « les pays arabes et musulmans doivent assumer leurs responsabilités ». Une position soutenue par Fred Keup et l’ADR. Sven Clement, avant de voter contre la motion, note toutefois que les Palestiniens de Gaza ne sauraient être tenus responsables de l’élection du Hamas. « La moitié des gens sont mineurs. Une majeure partie de la population n’a pas voté (pour l’organisation terroriste) en 2006 ».
L’opposition attend une clarification de la position gouvernementale par le Premier ministre, présent au Krautmaart ce mardi. Luc Frieden se tient à distance du dossier depuis les élections du 8 octobre 2023. Le 16 mai et après vingt mois de conflit, il a cosigné une missive condamnant à mots couverts le gouvernement Netanyahu : « Nous n’allons pas rester muets devant cette catastrophe humanitaire causée par l’homme et qui se déroule sous nos yeux à Gaza » introduit le texte signé avec ses homologues islandais, irlandais, maltais, norvégien, slovène et espagnol.
À la Chambre mardi, le chef du gouvernement commence par rappeler « l’élément déclencheur, l’attaque d’un groupe terroriste sur des jeunes qui faisaient la fête » et sur des familles qui se réveillaient. « Le Hamas a aussi risqué la vie des Palestiniens. Il ne faut pas l’oublier », remémore encore Luc Frieden prenant à son compte la rhétorique du bouclier humain utilisée par le gouvernement Netanyahu. Il faudrait néanmoins rétablir l’aide humanitaire « indépendamment de ce qui se passe les prochains jours ». Luc Frieden voit la conférence sur la solution à deux États comme une « étape » vers un État palestinien. Taisant le fait que son homologue israélien et ses alliés ultranationalistes luttent ouvertement contre cette éventualité. Mardi sur la BBC, l’ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee, a même laissé entendre que l’administration Trump était favorable à l’installation des Palestiniens en dehors des frontières d’Israël : « Les pays musulmans détiennent 644 fois plus de terres qu’Israël ».
Mardi encore, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Norvège et le Canada (où se trouve précisément Xavier Bettel) ont prononcé des sanctions à l’encontre de deux ministres extrémistes du gouvernement israélien. Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich se voient interdits d’entrée sur ces territoires et leurs avoirs peuvent y être gelés. Haaretz relate ce mercredi que la Suède tente de faire converger l’UE vers les mêmes sanctions. Interrogés par email sur l’éventuel soutien du Luxembourg à une telle initiative, les services du Premier ministre répondent : « Il est important pour le gouvernement de coordonner des mesures de cette nature au niveau européen. »
Netanyahu prévoit l’installation de 22 colonies supplémentaires en Cisjordanie, soit la plus grande expansion depuis des années dans les Territoires occupés. À plusieurs reprises ces derniers jours, l’armée israélienne a tiré sur les Gazaouis qui cherchaient à se nourrir à un des rares points de distribution d’aide. Vendredi, la rédaction du Financial Times alerte sur l’annexion de la bande de Gaza et de la Cisjordanie par le gouvernement Netanyahu. Le quotidien britannique, difficilement soupçonnable d’islamo-gauchisme, demande aux États européens de faire en sorte que « les actions d’Israël aient des conséquences » : « Il leur faut interdire le commerce avec les colonies (...). Ils devraient cesser de vendre des armes offensives à Israël et sanctionner les ultranationalistes du gouvernement qui alimentent la violence. Finalement, ils devraient formellement reconnaître l’État palestinien avant qu’il ne reste plus rien à reconnaître. Ce serait une démarche symbolique, mais cela montrerait l’engagement de l’Europe en faveur du seul futur possible. Cela enverrait aussi le message à Israël que les concepts de droit international et de justice ont toujours un sens ». Une feuille de route qui n’est pas celle choisie par Luc Frieden et Xavier Bettel.