Vers un statut pour les livreurs

d'Lëtzebuerger Land du 13.06.2025

Début mai, le Tribunal du travail de Luxembourg a rejeté la demande d’un ancien livreur de repas visant à requalifier sa collaboration avec Wedely en contrat de travail salarié. Comme l’explique l’avocat Guy Castegnaro au Land, le tribunal n’a pas constaté de lien de subordination entre le travailleur et la plateforme. « Différents critères justifient le statut d’indépendant : Les livreurs organisent librement leur emploi du temps, peuvent refuser des missions, travailler pour d’autres plateformes et utiliser leur propre matériel. » L’avocat relève que les arguments retenus sont similaires à ceux de la « jurisprudence Uber », un arrêt de la Cour de cassation française de 2020, qui, dans ce cas, avait toutefois conclu à un statut de salarié. La question du lien de subordination revient fréquemment dans les décisions du Tribunal du travail, notamment pour les administrateurs de société. C’est cependant la première fois qu’elle est appliquée à un travailleur de plateforme, détaille l’avocat.

Ce jugement intervient alors que l’Union européenne s’attèle à mieux encadrer ce type de travail. La directive 2024/2831, adoptée en octobre, introduit une présomption de salariat. Aux plateformes de démontrer, si elles le contestent, qu’il n’existe pas de relation de travail selon le droit national. David Angel de l’OGBL. salue «une réelle avancée avec cette directive très attendue ». Il appelle à une transposition rapide dans le droit luxembourgeois, les États membres ayant jusqu’au 2 décembre 2026 pour le faire.

Fruit d’un compromis, la directive ne dresse pas de liste d’indicateurs de salariat et laisse aux États membres le soin de définir leurs critères. Une certaine latitude est donc offerte au gouvernement luxembourgeois. Devant la Commission du travail en mai 2024, le ministre Georges Mischo (CSV) rappelait que le Luxembourg avait plaidé, lors des négociations européennes, pour un texte « plus ambitieux ». Il souhaite une transposition « équilibrée, conciliant protection des travailleurs et compétitivité économique ». Le ministre a également écarté l’idée d’introduire un troisième statut entre salarié et indépendant.

Pour mieux cerner les enjeux juridiques, sociaux et économiques liés au travail via plateforme, la Commission du travail a sollicité une étude de la Cellule scientifique de la Chambre des députés. Cette note, récemment publiée, est signée par Marie Marty. À la fois complète et pédagogique, elle dresse un panorama structuré de cette forme d’emploi en pleine expansion.

Le travail de plateforme a explosé ces dernières années : On estime que 43 millions de personnes travaillent, au moins de manière ponctuelle, via une plateforme dans l’Union européenne L’autrice souligne les opportunités liées à cette forme de travail : accès facilité au marché du travail pour des publics souvent marginalisés (jeunes, personnes issues de minorités raciales), flexibilité, sécurité des paiements, revenus complémentaires. Parallèlement, elle met aussi en lumière les indices de précarité associés à cette activité : faibles revenus liés à une rémunération à la tâche et à une forte concurrence, charges importantes à la charge des travailleurs (protection sociale, carburant, matériel, assurance), temps non rémunéré (logistique, attentes, tâches administratives), sans oublier des risques accrus pour la sécurité, notamment pour les livreurs.

La question du statut professionnel est au cœur du débat. Un travailleur mal qualifié comme indépendant (un « faux indépendant ») est privé des protections sociales accordées aux salariés. Dans le même temps, une plateforme qui ne respecte pas la qualification correcte de ses collaborateurs pratique une forme de concurrence déloyale, contribuant à un dumping social. Pour les États, ces erreurs de qualification ont un coût : pertes en cotisations sociales et fiscales, risque de travail dissimulé (mineurs, personnes sans papiers), atteinte à la protection des consommateurs, surcharge judiciaire.

Autre préoccupation majeure : L’usage de systèmes de surveillance et de prise de décision automatisés. « L’organisation algorithmique du travail se caractérise par un manque de transparence et d’intelligibilité : fonctionnement opaque des systèmes, collecte et usage des données personnelles, processus décisionnels peu compréhensibles », détaille la note. Ce flou entretient le risque de discrimination, masque le lien de subordination et accroît la pression psychologique sur les travailleurs. L’isolement structurel lié à ce type d’activité (anonymat, absence de lieu de travail commun, exécution des tâches en solitaire) freine la solidarité entre travailleurs, rendant l’échange et l’organisation collective très difficiles.

La directive européenne tente de corriger certains de ces biais. Elle impose une intervention humaine pour toute décision de limitation, suspension ou résiliation de compte et garantit un droit de recours humain en cas de préjudice, ainsi qu’une meilleure protection des données. Elle oblige aussi les plateformes à garantir un canal de communication privé entre travailleurs et avec leurs représentants.

Depuis un an, le sujet n’a plus été abordé, ni par le ministère, ni par la Commission du travail. Après discussion avec les partenaires sociaux, un avant-projet de loi pour la transcription de la directeur devrait être soumis au Conseil de gouvernement « vers la fin de cette année », répond le ministère du Travail à la sollicitation du Land.

France Clarinval
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