Chroniques de l’urgence

À pile ou face

d'Lëtzebuerger Land du 21.01.2022

« Désamorcer l’urgence climatique suppose que nous désamorcions les menaces qui pèsent sur la démocratie américaine », a résumé dans le Guardian le journaliste Mark Hertsgaard, directeur de l’organisation Covering Climate Now.

La démocratie américaine n’a jamais été parfaite, ce n’est d’ailleurs pas ce qu’on demande aux démocraties. Mais elle a entamé ces dernières années une mue périlleuse qui risque de faire basculer les États-Unis dans l’autocratie. Ceux qui ont cru qu’il suffirait que l’amateur de coups d’État à la petite semaine qui a occupé la Maison Blanche pendant quatre ans se retrouve en villégiature en Floride pour que ce risque soit écarté et que soit rétabli l’imparfait équilibre bipartisan qui préside depuis des lustres aux destinées de la première puissance mondiale ont dû déchanter.

Car, loin de se détourner de l’imprécateur, enfermé dans ses mensonges et ses rancœurs, et de mettre un terme à sa propre dérive hallucinante vers l’ultra-droite, l’establishment républicain lui a renouvelé son allégeance. Depuis la plupart des États qu’il contrôle, il a lancé une attaque en règle contre le suffrage universel, espérant décourager pour de bon ceux qui votent habituellement pour leurs adversaires démocrates de se rendre aux urnes. Au Capitole, il a jusqu’ici pu habilement jouer des archaïsmes des institutions créées par les dirigeants esclavagistes du XVIIIe siècle pour freiner voire bloquer, sur certains points essentiels, les timides efforts de l’administration Biden en matière climatique. En matière sociétale, il a surenchéri, espérant ainsi faire revenir en arrière la société américaine sur le droit à l’avortement. En ligne de mire, les élections de mi-mandat à la fin de l’année, à l’occasion desquelles qu’il espère reprendre au moins en partie la majorité au Congrès et poursuivre plus efficacement son œuvre de sabotage.

Une telle perspective n’est pas juste angoissante pour les Américains, elle l’est pour le monde entier. « Certes, les États-Unis ne sont pas le seul pays où des tendances anti-démocratiques empêchent les progrès en matière climatique. La plupart des traînards lors de la COP26, le sommet climatique du mois de novembre, étaient des pays où l’autoritarisme est soit durablement établi ou en essor : la Chine, la Russie, l’Arabie Saoudite, le Brésil, l’Inde, les États-Unis. Mais l’effondrement de la démocratie américaine aurait des conséquences climatiques particulièrement graves. Diviser par deux les émissions d’ici 2030 (...) serait impossible si la plus grande économie mondiale et le plus gros émetteur historique de carbone refuse d’aider », prévient Mark Hertsgaard. Il recommande aux Démocrates et au Président en exercice de s’engager davantage – ce que celui-ci semble désormais envisager en acceptant l’idée de mettre fin à la pratique du flibuster au Sénat –, aux activistes pro-démocratie de se démener pour défendre à tous les échelons institutionnels l’accès au vote et aux médias de reconnaître enfin que c’est une véritable guerre contre la démocratie qui est engagée et qu’elle est le grand enjeu de 2022.

Jean Lasar
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