Entretien avec le paysagiste Michel Desvigne

Le jardin présent

d'Lëtzebuerger Land du 18.10.2001

d'Lëtzebuerger Land : Vous avez remporté le concours des aménagements paysagers autour du Mudam. Votre approche est de l'ordre de la géographie. Comment travaillez-vous ?

Michel Desvigne : La géographie du lieu est quelque chose d'une extrême importance, car le site des Trois Glands est une sorte d'éperon rocheux qui est quasiment en jetée vers la Vieille Ville. C'est assez extraordinaire : il y a le Plateau de Kirchberg et puis cette jetée vers la Vieille Ville. C'est donc un lieu d'observation de la ville fantastique et en ce sens, la géographie est extrêmement précieuse. Par ailleurs, c'est un site très chargé d'histoire avec ses fortifications, ses musées et des bâtiments institutionnels. 

C'est, en définitive, un site extrêmement complexe, dans une situation géographiquement puissante par rapport à la Vielle Ville et notre travail « géographique » consiste en une mise en cohérence de tous ces éléments-là. Avec comme objectif majeur de respecter le plus possible la qualité de paysage.

 

Tout en construisant quand même quelque chose.

Pour aborder la question du « construit », je dois dire d'abord que le plan du site est, en deux dimensions - le plan étant un de nos outils de travail - quelque chose d'indescriptible ! Mais dans l'espace, c'est beaucoup plus simple qu'il n'y paraît.

 

Comment ça ?

Le plan des Trois Glands, qui a l'air d'un dispositif très sophistiqué,  correspond à une réalité physique assez simple : c'est quelques constructions et une longue perspective. On peut donc dire que cet éperon rocheux, qui est difficile à appréhender sur le papier, est beaucoup plus simple en vrai : il y a une ligne haute, les falaises tout autour et puis les fortifications. . . qui ont à nouveau des dessins en plan extrêmement difficiles à comprendre! Mais dans l'espace, encore une fois, c'est beaucoup plus simple : ce sont des constructions militaires, qui relevaient essentiellement de la perspective puisque destinées à la « vue ». Ces formes étoilées extrêmement complexes que le plan laisse imaginer sont en fait des lignes d'horizon.

 

Il est donc impératif de rester simple ?

Il faut rester très simple. Les constructions du site sont hétérogènes, puisqu'elles s'échelonnent sur une très longue période et le paysage doit être une sorte de socle unificateur. Notre souhait est qu'il n'y ait donc presque pas de complexité en ce qui concerne notre paysage : il est à peine dessiné, ce qui peut paraître paradoxal dans une réalité remplie de choses. Mais arriver au non-dessin de notre travail, à l'effacement apparent de notre projet, est un travail. C'est un choix esthétique, c'est trouver le ton juste pour que ce socle soit lisible et ne pas ajouter de confusion à la complexité apparente.

 

Il y a quand même nécessairement un travail ne serait-ce que séquentiel. . .

Il y a effectivement des séquences liées à la position des bâtiments. Le bâtiment le plus important étant le Mudam, auquel il s'agit d'accéder. Et nous proposons une longue rampe qui va de la Place de l'Europe vers le musée. Mais cette première séquence se présente sous la forme de ce que l'on pourrait appeler un « parvis jardiné ». C'est l'antithèse de la Place de l'Europe, qui est minérale, majestueuse, urbaine. Le parvis d'accès du musée sera beaucoup plus discret, car planté de très grands arbres. Ce sera d'ailleurs un jardin praticable beaucoup plus qu'une descente en escalier. Puis, quand on aura contourné le musée, on arrivera à une autre séquence que nous appelons le belvédère.

 

L'esplanade devant le Musée de la forteresse ?

C'est ça. Tout le monde naturellement se souvient à Luxembourg de cette esplanade romantique où la vue passait depuis le petit fort des Trois Glands jusqu'à la Vieille Ville. . . C'était une chose très belle mais pour autant, on peut voir du sens aujourd'hui, dans la reconstruction de cet endroit fortifié. En tout cas, après un long dialogue avec les autorités compétentes, notre idée a été de créer une sorte d'esplanade qui sera presque horizontale - le site, lui, étant en pente - de telle sorte que la vue, lorsque l'on arrivera sur cette esplanade, aille jusqu'à la Vieille Ville et échappe aux fortifications. Ce n'est que lorsque l'on arrivera à un escalier qui descend, que l'on découvrira qu'entre la Vieille Ville et cette esplanade, il y a des fortifications. . .

 

C'est un travail classique de traitement « surprise » du paysage, non ?

Tout l'art des jardins classiques, et de Le Nôtre en particulier, consistait souvent en effet à donner une vue très simple et lointaine d'abord et ensuite à ménager des surprises. À Vaux-le-Vicomte, on suit un grand axe et tout à coup, on se rend compte qu'on ne peut pas continuer parce qu'il y a un canal en travers. C'est pareil à Versailles et dans de nombreux autres jardins classiques. Je dirais donc que nous faisons un clin d'oeil à cet art des jardins. Nous donnons l'illusion, dans cette clairière, d'une vue ouverte sur la Vieille Ville et au dernier moment, on se rend compte qu'il y a des constructions. . . 

 

J'aimerais bien que vous parliez de ce que j'appellerais l'« art du jardin présent » et des arbres anciens du site. De la forêt qui n'est pas, elle, un paysage construit. . .

Ce que vous appelez le « jardin présent », c'est d'abord une attitude contemporaine dans l'absence de dessin. Bien sûr, on peut dire que mettre en cohérence tous ces éléments et ne pas ajouter de géométrie, relève de l'évidence. Mais pas seulement. C'est aussi un choix permanent de ne pas ajouter de composition. On aura donc presque partout des grandes graminées et des pelouses - enfin des prairies - sur lesquelles on pourra marcher. Nous évitons le dessin d'allées ; on ne sera pas dans un petit parc du XIXe siècle où on chemine sagement en suivant un dessin d'allées balisées. 

On marchera partout et les graminées constitueront également un élément de mise en cohérence. Ne mystifions d'ailleurs pas le mot ! Ce sont des grandes herbes. L'ensemble des fortifications sera planté de graminées, les douves du Mudam seront plantées de graminées, comme c'était d'ailleurs le cas au temps des fortifications. On imagine bien que ces gens ne tondaient pas !

 

Ce n'est donc pas un jardin à entretenir. . .

Non. On fauchera une fois par an et le végétal « mènera sa vie », il sera sec à l'automne. . .

 

Ce qui est aussi une attitude contemporaine du paysagisme.

Oui. Cela correspond à un usage plus tactile du matériau. Il n'y a pas de petites fleurs. C'est à l'échelle du site. En ce qui concerne les arbres, la forêt est présente sur le site et nous allons juste un peu la retailler pour ménager la lisibilité de la clairière, pour que la grande ligne de vue du belvédère soit bien cadrée vers la ville. À l'arrière en revanche, je fais un aller-retour sur la séquence que nous évoquions en entrée - soit à l'avant du Mudam, côté Place de l'Europe - il y aura une forte plantation de grands arbres, identiques à ceux de la forêt. Ce sont principalement des pins, qui donneront l'impression que le musée est immergé dans un jardin.

 

On aura un double jeu entre la descente monumentale et des arbres de forêt ?

Ce sera un parvis sous la forêt. Ieoh Ming Pei est d'accord que son musée, minéral, ne soit pas posé sur une esplanade minérale. Son musée sera immergé dans la nature. Mais ce sera une nature très sophistiquée, puisque le sol de la rampe, s'il est construit, aura une matière qui sera beaucoup plus libre et naturelle. Il faut avoir à l'esprit, pour imaginer cela, que ce site incroyable est actuellement un incroyable chantier ! Entre des institutions en mutation, une place qui va être transformée, un musée qui se construit, un ancien fort que l'on restaure, des fortifications que l'on remonte, une forêt plus ou moins en bon état. . . 

 

Alors comment résumeriez-vous votre intervention ?

Je dirais que c'est une sorte de précipité. Que la grande difficulté, quand nous avons commencé à travailler sur ce site, c'était de comprendre ce qu'il était, quelles étaient ses capacités. À la fin, notre travail apparaîtra comme une modeste restauration, avec un immense concentré d'histoire.

 

 

 

 

 

Marianne Brausch
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