Comment Paulette Lenert s’est-elle retrouvée dans ce pétrin ? Sa candidature pour la présidence de l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) a été sèchement retoquée le 11 juin. Huit voix contre quatre. C’est Paul Gries, un cadre discret, mais affable, du Syprolux, qui s’est assuré le poste. La députée socialiste est une victime collatérale du conflit latent entre front syndical OGBL-LCGB et les syndicats du secteur public. Elle a également fait les frais des maladresses tactiques de Patrick Dury. L’histoire de cet accident politique commence le 1er mai à la fête du LCGB à Remich. Autour d’un « Patt », Patrick Dury explique à Paulette Lenert que la présidence de l’ULC sera bientôt vacante. Il lui aurait « nogeluecht » de se porter candidate sur le ticket du LCGB, se rappelle Lenert. (La députée socialiste et le patron syndical se connaissent depuis 2013, lorsqu’ils siégeaient ensemble au CA de Proactiv.) Elle aurait demandé s’il n’y avait pas d’autre candidat. Dury lui aurait assuré que non.
La députée socialiste se dit intéressée. « C’est un de mes grands regrets de n’avoir pas réussi – faute de temps – à faire avancer le ressort de la protection des consommateurs », explique l’ancienne ministre au Land. Elle évoque un sujet « ur-sozialistesch » – « la défense des faibles contre les géants » –, se situant sur un terrain « très juridique » sur lequel l’ancienne magistrate se sent « à l’aise ». Quelques jours après le 1er mai, Lenert donne donc son OK. Le LCGB contacte illico l’OGBL qui donne à son tour le feu vert, y voyant l’occasion de rajeunir l’image de l’ULC. Patrick Dury dit que cette candidature lui semblait « excellente ». Avec son « curriculum vitae » de juriste, Lenert aurait pu incarner « le renouveau et le nouveau départ » que l’ULC promet depuis des années. Il ne se serait pas agi d’un « jeu politique entre syndicats », assure Dury : « Hei ass et eis ëm d’Saach gaangen ». La candidature de Lenert aurait d’ailleurs passé les instances du LCGB « à l’unanimité ». C’est ainsi que l’ex-ministre de la Protection des consommateurs s’est retrouvée en lice pour la présidence de l’Union luxembourgeoise des consommateurs.
Créée en 1961, en plein milieu des Trente glorieuses, l’ULC est devenu un old boys’ club du milieu syndical. Chaque syndicat y délègue ses représentants, pour la plupart des vétérans retraités. Ils se sont presque tous fait reconduire la semaine dernière : Marcel Laschette (71 ans) comme secrétaire général, Alain Back (60) comme trésorier, Nico Wennmacher (78), Camille Weydert (73) et Liliane Cannivy (64) comme vice-présidents. Le reste du conseil d’administration n’est guère plus jeune. Les anciens s’y retrouvent entre eux : Nico Georges (81 ans), Sonja Frisch (67), Roberto Scolati (60) et Carlos Pereira (59). À 57 ans, Paulette Lenert fait presque figure de jeunette. Seul Frédéric Stoffel, représentant des employés communaux, est plus jeune (40 ans). Issu du LCGB, l’ancien président de l’ULC Nico Hoffmann (71 ans) en rejette la faute aux syndicats qui n’auraient qu’à nommer des administrateurs plus jeunes. Le nouveau président Paul Gries avance des raisons logistiques : Il serait difficile d’assurer cette tâche en travaillant à côté. (En compensation, le président touche un jeton d’environ mille euros bruts par mois.)
Avec le LCGB, on se serait donné la parole « fir den Deckel drop ze haalen », dit Paulette Lenert à propos de sa candidature. Elle passera une partie du mois de mai à l’étranger. À son retour, elle dit être « un peu tombée des nues » en apprenant qu’il existait une contre-candidature, portée par le Syprolux : Le fraîchement retraité Paul Gries (60 ans). Il a adhéré au syndicat des cheminots (alors chrétien) en 1988, comme son père avant lui. En bon homme d’appareil, il connaît les rouages et logiques internes de l’ULC, où il siège depuis dix ans, dont deux comme trésorier. Paul Gries dit avoir ouvertement affiché ses ambitions. Au sein de l’ULC, tout le monde aurait su depuis des mois qu’il briguait la présidence. En interne, il apparaissait comme le candidat de la continuité.
Le matin du 11 juin, jour de l’assemblée générale de l’ULC, Lenert tente de contacter Gries. « Je me disais que c’était une forme de politesse », dit-elle. Son concurrent juge la prise de contact tardive et ne répond pas au téléphone. « Je lui ai alors écrit quelques mots aimables et fair play », dit la députée. Mais les jeux sont faits, la majorité cadenassée. Paulette Lenert se fend encore d’un discours de candidature. Paul Gries se contente de déclarer qu’il est, lui aussi, candidat. Sans discussion, la candidature de la socialiste est écartée. Les quatre voix du LCGB et de l’OGBL ne font pas le poids. En amont, Gries s’est assuré le soutien de la CGFP, du Syprolux, de l’Aleba et de la FGFC auxquelles se sont ajoutées les voix des quatre administrateurs individuels, cooptés du milieu syndical.
Une nouvelle douche froide pour l’ancienne Spëtzekandidatin. En 2024, elle se disait intéressée par la présidence du LSAP : « Das war kein Angebot das auf offene Ohren oder grösseres Interesse bei der Parteispitze gestoßen ist », constate-t-elle dans le Wort de ce jeudi. Une année plus tard, Lenert échoue à décrocher la présidence de l’UCL. « Ech wäert net motzen », assure-t-elle au Land. Et de promettre qu’elle siégera au conseil de l’ULC, et qu’elle s’y engagera activement. Patrick Dury regrette une « énorme chance manquée » pour créer de nouvelles bases « plus jeunes, plus compétentes ». Carlos Pereira, un vétéran de l’OGBL siégeant à l’ULC, dissèque les raisons de l’échec : La candidature aurait été « un peu soudaine », admet-il. « Ce n’était vraiment pas bien organisé ; et, dans l’agitation, cela a mal tourné. On a pris la candidature un peu trop à la légère... »
Le président du LCGB n’a pas pris la peine de déminer le terrain pour sa candidate. Peut-être estimait-il que Gries, un parfait inconnu du grand public, ne ferait pas le poids contre la politicienne la plus populaire du pays. Patrick Dury s’est contenté d’une lettre recommandée au bureau directeur de l’ULC pour les informer que Lenert siégera au CA pour le LCGB. Le 20 mai, jour où la lettre partait à la poste, Nico Hoffmann en informait ses numéros deux et trois, Paul Gries et Marcel Laschette. Ceux-ci n’auraient pas bronché. Mais l’atmosphère se serait sensiblement refroidie, se souvient-il.
La députée socialiste s’est retrouvée prise entre plusieurs feux. À commencer par le désamour entre Syprolux et LCGB, deux syndicats chrétiens historiquement liés, mais aujourd’hui en instance de divorce. Le syndicat des cheminots préfère tisser « des liens plus étroits » avec la CGFP, explique sa présidente Mylène Bianchy. (Elle avait visé une carrière politique, briguant en 2014 le poste de secrétaire générale du CSV, mais assure n’entretenir « absolument aucune relation avec le CSV », dont elle ne serait plus membre.) Ce délitement a été accéléré par la rhétorique sectaire de Patrick Dury qui se profile comme porte-parole de « ceux du secteur privé » et dénonce régulièrement « l’apartheid social ». Le spectre d’une Eenheetsgewerkschaft hante les autres syndicats, qui craignent être marginalisés par une future hégémonie OGBL-LCGB. Encore impensable il y a une année, l’alliance des deux grands se concrétise à petits pas, du « front syndical » ad hoc à « l’Union des syndicats », une structure dont les statuts sont signés ce vendredi.
Le mini-soulèvement du 11 juin est l’expression de cette nervosité : Le petit Syprolux l’emportant sur le grand LCGB. Nico Hoffmann dit ne pas s’être attendu à une telle logique « bloc contre bloc ». Les signes étaient pourtant là. Une semaine avant le vote chez l’ULC, les sous-organisations de la CGFP poussaient leur confédération à se désolidariser de la manifestation du front syndical. Le paysage syndical est désormais divisé, entre les fonctionnaires et assimilés, qui monteront leur piquet « symbolique » le 25 juin, et les syndicats des salariés (et du paraétatique) qui mobilisent pour le 28 juin. L’ULC se déclare « solidaire » des deux manifs, mais sans y « participer officiellement ». Interrogé par le Land, Paul Gries précise qu’à titre individuel, il ne se rendra qu’à celle du 25 juin.
Paul Gries est membre du CSV, pour lequel il était candidat, en 1993, aux communales à Grevenmacher. Le numéro deux de l’ULC, Marcel Laschette, figurait sur la liste des Pirates aux communales 2023. Nico Hoffmann se présentait aux mêmes élections sous les couleurs de Fokus ; « Ech sinn do spontan ragerutscht », regrette-t-il aujourd’hui. Mais Gries tire une ligne. « À mes yeux, ce n’est pas compatible, sorry », dit-il à propos de la candidature d’une députée active. Il renvoie aux statuts qui définissent l’ULC comme organisation « politiquement indépendante ». « Comment Paulette Lenert aurait-elle été reçue au ministère ? », s’interroge le nouveau président, ce lundi face au Land. « Et si elle n’y avait pas eu satisfaction, aurait-elle rédigé une question parlementaire ? » Paul Gries répète la même ligne d’argumentation mardi sur RTL-Radio : La candidature de la députée socialiste aurait été ressentie comme « e bëssi grenzwäerteg, soe mir et sou. » Une sortie que Paulette Lenert n’a pas apprécié. Les députés ne seraient pas « ofgekapselt », dit-elle au Land. Leur engagement bénévole rendrait « la politique plus humaine » et pourrait « créer de la confiance et réduire la distance », quitte à devoir gérer d’éventuels conflits d’intérêts.
Le psychodrame révèle une organisation sclérosée qui n’arrive plus à se renouveler. Paul Gries admet que l’ULC devrait se défaire de son « Al-Hären-Image ». Or, il n’avance pas de pistes concrètes. Il évoque De Konsument imprimé sur papier : « Ons eeler Stammclientèle wëllt dat esou ». Quand il parle de la « Jugend », c’est comme s’il évoquait une autre espèce. Le nombre de membres s’érode. En dix ans, il est tombé de 43 500 à 40 300. (La cotisation annuelle est de 80 euros.) Sur le papier, l’ULC dispose pourtant d’une réelle force de frappe. Son budget annuel dépasse les quatre millions d’euros, dont un cinquième provient d’un subside étatique. L’organisation emploie 27 salariés, la majorité dans le service contentieux, qui a traité 4 650 dossiers en 2024, pour la plupart liés à la construction et au logement.
Mais l’ULC manque de punch politique. Elle s’est fourvoyée dans des combats d’arrière-garde, que ce soit contre la fermeture d’agences bancaires ou pour la défense de l’argent liquide. Sur les cryptomonnaies et les plateformes digitales par contre, l’ULC n’est pas en première ligne. Tout comme elle a manqué de se profiler comme le défenseur des locataires. Mais c’est sur la question climatique que l’ULC fait vraiment son âge et se révèle comme une organisation de boomers. Elle ressasse sans cesse son aversion contre la taxe CO2 qu’il ne faudrait surtout pas augmenter. En mai 2021 encore, l’ULC décrétait que « dans un avenir prévisible, il n’y a certainement aucun moyen de contourner les voitures à technologie de combustion ». Et de proclamer « l’absence manifeste d’alternatives viables ».