Chroniques de la Cour

Y’a pas match

d'Lëtzebuerger Land du 26.03.2021

Par idéal ou pur opportunisme, les postes de juges européens sont très convoités. Les États membres de l’UE en proposent chacun quatre à leurs concitoyens. Trois à Luxembourg auprès de la Cour de justice européenne et un à Strasbourg, à la Cour européenne des droits de l’homme. Des juridictions souvent confondues. Les magistrats de la CEDH se sont longtemps senti les parents pauvres de l’Europe. L’image d’un juge ne bénéficiant d’aucune couverture sociale et qui, par ailleurs, arpentait les rues de Strasbourg à vélo pour se rendre à son travail, a longtemps prévalu. Tout pays qui veut entrer dans l’UE doit être membre du Conseil de l’Europe dont dépend la CEDH. Il envoie le cas échéant un juge à Strasbourg, lequel côtoiera 26 pairs des autres pays de l’UE plus vingt autres originaires de Russie, d’Azerbaïdjan, d’Arménie ou de Macédoine du Nord pour ne citer que ces pays signataires. Une fois dans l’UE, l’État en question proposera aussi à Luxembourg un juge à la Cour de justice et deux au Tribunal européen.

Tous les candidats, à Strasbourg comme à Luxembourg, doivent réunir les conditions requises « pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ». À défaut, ils peuvent être « des jurisconsultes » possédant « une compétence notoire ». Une disposition fourre- tout. Mais la procédure de nomination est beaucoup plus complexe à Strasbourg. Panel, commission parlementaire, vote à l’assemblée parlementaire, ces instances permettent de choisir parmi un des trois candidats présentés par un pays. Pour le juge de Luxembourg, le seul « barrage » est un comité européen de juges et d’anciens juges aux critères de sélection assez vagues, ce qui lui est reproché. À Strasbourg, le mandat d’un juge est de neuf ans, non renouvelable, gage d’indépendance, précise-t-on. À Luxembourg, il est de six ans, renouvelable. Jusqu’en 2009, les juges de Strasbourg recevaient une somme globale et payaient eux-mêmes leurs cotisations sociales et leur retraite. Il était difficile de ne pas aligner leur statut sur celui des juges de l’UE. Qu’en est-il vraiment ?

À Strasbourg, un juge reçoit une rémunération égale à celle du fonctionnaire du Conseil de l’Europe le plus gradé soit 16 255,92 euros avec une prime dite de dépaysement correspondant à 12,5 pour cent de cette somme. Même système à Luxembourg, mais plus favorable. Le fonctionnaire européen le mieux payé dans l’UE touche 20 768,57 euros. Et les juges de la cour perçoivent 112,5 pour cent de cette somme, ceux du tribunal, 104 pour cent… et le président 138 pour cent. S’ajoute à ce montant la « prime de résidence », ex-prime de dépaysement, qui est de quinze pour cent de leur traitement de base. À Strasbourg, comme à Luxembourg les juges cotisent à la sécurité sociale de leur institution mais le régime de retraite est différent. A Strasbourg ils peuvent choisir : cotiser à la caisse du Conseil de l’Europe ou rester dans leur régime national. Les juges de Luxembourg bénéficient d’un plan de retraite généreux de l’UE, sans cotiser. Cadeau du contribuable. Côté indemnités, le président de la CEDH a droit à une prime annuelle de 13 885 euros, les vice-présidents et les présidents des sections, à la moitié. À Luxembourg, la prime de représentation, mensuelle, est de 607 euros pour les juges, et plus du double pour le président. Les président de chambres perçoivent une indemnité mensuelle de fonction de 810,74 euros à la Cour et de 730,47 euros au Tribunal.

Les juges de Luxembourg payent l’impôt (communautaire), les juges de Strasbourg n’en paient pas. À Luxembourg, ils perçoivent des allocations familiales, ce dont sont privés les juges de Strasbourg. Petit plus : tous les juges à Luxembourg, à la Cour et au Tribunal, reçoivent une « berline de fonction et de représentation ». Et à la Cour seulement, un chauffeur particulier. Les juges à Strasbourg s’achètent leur voiture, hors tva. Tous reçoivent des cartes de carburant détaxé, mais à Strasbourg, elles ne sont valables qu’en France. Un juge de la Cour de Luxembourg peut rester six ans et être aussitôt remplacé s’il déplait, ou, pour certains, trente ans s’il trouve grâce auprès des gouvernement successifs de son pays. Lorsqu’il quitte la cour, il reçoit à Luxembourg une indemnité de transition. De quarante à 65 pour cent de son traitement selon le temps passé à la Cour et cela pendant deux ans. Un changement de régime a eu lieu en 2015 lorsque le Conseil de l’UE s’est aperçu (à temps) que, à la suite de la réforme du Tribunal, un juge qui devait partir après quatre mois seulement en fonction, allait recevoir 65 pour cent de son dernier traitement pendant trois ans ! Point de disposition similaire à Strasbourg où l’on souligne que certains juges, une fois partis, n’ont aucune chance de retrouver du travail dans leur pays d’origine. À Strasbourg en cas de décès d’un juge, le remboursement des frais de transport du corps est prévu. Disposition apparemment inconnue à Luxembourg où le conjoint perçoit le traitement mensuel du défunt, primes comprises, pendant encore trois mois. Puis viendra la pension de survie, pour le conjoint à Strasbourg, étendue aux enfants à Luxembourg. De toute façon, on le savait, il fait bon vivre au Grand-Duché.

Dominique Seytre
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