« Sidd dir nach chaud ? »

Marc Baum et Serge Urbany scrutent les résulats
Foto: FC
d'Lëtzebuerger Land vom 13.10.2023

Lors de la soirée électorale de dimanche, les candidats et les sympathisants de Déi Lénk ont eu le temps de méditer sur le sens de l’expression française qui peut qualifier leur résultat : mi-figue mi-raisin. Certes le parti de gauche a maintenu ses deux sièges à la Chambre, mais voit son score s’éroder de 5,48 pour cent en 2018 à 3,93 pour cent cette année.

Il a fallu attendre la toute fin de soirée, juste avant 23 heures, pour confirmer le maintien du siège Déi Lénk dans le Centre. Devant l’écran installé au restaurant Chiche, Carole Thoma lève le poing quand les derniers résultats s’affichent : « On a le siège », s’exclame la porte-parole. Quelques minutes avant, sur le même écran, l’image de la tête de liste ADR triomphant avait suscité sifflets et quolibets dans le public. De la même façon, l’ascenseur émotionnel a fait des yoyo tout au long de la soirée au cours de laquelle la centaine de sympathisants alternaient entre colère et soulagement.

Au fur et à mesure que tombent les résultats partiels, le siège du Sud semble assuré. Mais les points marqués par l’ADR choquent tout le monde. « C’est inquiétant de voir que les Luxembourgeois se replient sur des valeurs conservatrices », commente David Wagner tout en constatant que le phénomène touche toute l’Europe. Le trouble vient aussi des mauvais résultats des Verts. « Ce n’est pas notre parti, mais Déi Gréng ne méritent pas ça », lance un candidat. « Où sont passées les voix des Verts ? », interroge un autre. Autour de 20 heures, Serge Tonnar, maître de cérémonie de la soirée, rameute l’assemblée : « Déi Lénk, sidd dir nach do ? Déi Lénk, sidd dir nach chaud ? », tonne-t-il au micro comme s’il attisait une salle de concert. Il annonce fièrement que le siège du Sud est bien maintenu. Avec 4,35 pour cent (5,96 en 2018), c’est la circonscription la mieux lotie pour Déi Lénk. Marc Baum, conseiller communal à Esch et ancien député, retrouvera le Marché-aux-Herbes. Au final, il totalise 8 664 voix, nettement devant Gary Diederich (5 312) qui lui succédera à mi-mandat comment le veut le principe de rotation du parti.

En attendant que les autres bureaux soient dépouillés, Serge Tonnar lance « le combat continue » et invite les sympathisants à pousser la chansonnette. Pour patienter dans une ambiance décontractée, Ana Correia da Veiga a organisé un karaoké. Les choix des titres sont symboliques : Gimme hope (Jo’anna) par Eddy Grant, Ma liberté de penser de Florent Pagny, Il conformista de Giorgio Gaber et l’incontournable I will Survive de Gloria Gaynor qui fait figure d’hymne de la soirée. « Certains prient, nous on chante », sourit le musicien.

Dans une autre salle, les plus concentrés rafraîchissent sans cesse la page du site officiel des élections, écoutent RTL avec une oreillette et font des calculs savants quant à l’attribution des Reschtsëtz. Les commentaires, analyses et petites phrases s’essoufflent au fur et à mesure que le buffet se vide et que le bar devient payant. Quand le siège du centre est confirmé, beaucoup ont déjà déserté les lieux. « Nous ne sommes pas heureux de ce qui se passe actuellement dans ce pays. Mais nous pouvons être satisfaits de notre résultat », note David Wagner. Il est élu avec 6 747 voix, suivi par l’ancienne conseillère communale de la capitale Ana Correia da Veiga avec 4 360 voix. À mi-mandat, elle deviendra la première députée afrodescendante du Parlement luxembourgeois. L’élu considère que le parti a fait mieux que sauver les meubles : « Après les pertes aux élections communales (en particulier un siège en Ville et un à Esch, ndlr), nous avons donné un grand coup en étant plus présent, en utilisant des slogans plus clairs et en mobilisant de nouvelles personnes.. » En scrutant en détail cependant, on notera que dans presque toutes les communes du Centre, les résultats sont en-dessous de ceux de 2013 et de 2018. Avec 4,64 pour cent des suffrages à Luxembourg-Ville, le score est même inférieur à celui des élections communales de juin dernier (5,74 pour cent).

Ce mercredi, David Wagner confiait au Land : « Déi Lénk doit maintenant réussir à intégrer et faire grandir les nouveaux arrivés, en particulier les jeunes très mobilisés et très motivés. » Il regarde les résultats et les négociations de coalition de manière circonspecte. « Nous allons vers des années difficiles avec une politique économique libérale qui fera du mal à beaucoup de monde. Mais cela nous donne des opportunités de résistance et de régénération de la gauche, notamment avec les syndicats. » De là à imaginer une Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) à la luxembourgeoise, il y a un pas de géant que l’élu ne franchit pas. « On peut discuter de tout, envisager des collaborations avec les socialistes, avec les Verts. Mais il y a des principes de base qui sont inconciliables: nous disons non à une politique sociale-libérale ». Pour Déi Lénk, la difficulté sera de se faire entendre dans une opposition menée par le LSAP. En 2004, le parti perdait son siège après cinq années où les socialistes étaient dans l’opposition. La question de la mise en place d’un groupe technique avec Déi Gréng ne se poserait pas vraiment dans la mesure où les nouvelles règles de fonctionnement de la Chambre des députés pénaliseraient plutôt une telle formation qui devrait partager son temps de parole et n’aurait pas de financement supplémentaire.

France Clarinval
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