La réforme de l’impôt foncier et l’instauration d’une loi sur la mobilisation des terrains sont sur les rails. Elles accompagnent d’autres nouveautés censées accélérer la production de logements<br/>Impôt foncier, les communes décident

Allez, construisons !

Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 18.07.2025

Il en a fallu du temps… La Chambre a voté des motions en faveur d’une réforme de l’impôt foncier en 2003, 2013 et 2018, mais le caractère quasiment sacré de la propriété privée avait tout bloqué jusqu’en octobre 2022, date à laquelle Taina Bofferding (LSAP), Henri Kox (Déi Gréng) et Yuriko Backes (DP) ont présenté leur réforme. Le système actuel avait été mis en place dans les années 1930, tandis que le mode de calcul de la valeur d’un terrain n’avait pas évolué depuis… 1941.

Un nouveau projet de loi porté par le ministre des Affaires intérieures Léon Gloden (CSV) et le ministre du Logement Claude Meisch (DP) reprend les travaux du gouvernement précédent. Il a été discuté jeudi dernier en commission conjointe (Affaires intérieures et Logement) et présenté à la presse dans la foulée. Pour gagner du temps, il a été scindé en deux. La partie visant à taxer les logements vides, plus complexe à mettre en place, sera remise à plus tard. En préambule, Léon Gloden (CSV) a lancé une diatribe contre sa prédécesseure, Taina Bofferding, expliquant que son ministère avait pratiquement dû reprendre le projet de loi depuis le début. « L’essentiel était pourtant fait », estime Taina Bofferding, contactée par le Land. « La formule pour calculer l’impôt foncier, les valeurs de base… ». Elle juge favorablement les évolutions consécutives aux oppositions formulées par le Conseil d’État, notamment à propos du volet juridique en cas de réclamation.

La formule qui permettra de calculer le nouveau taux de base de l’impôt prendra en compte « des critères objectifs » pour déterminer au plus juste la valeur d’un terrain, assure Léon Gloden. Cette équation inclut en particulier le potentiel constructible (en fonction du PAG), la distance par rapport à la capitale, la superficie ou encore les services présents dans la localité. En 2022, le Liser l’avait déjà testée et était du même avis, la qualifiant dans un rapport de « très robuste […] pour expliquer les différences de prix entre les localités. »

Cet impôt foncier jugé « juste et transparent » par le ministre mosellan porte toutefois en lui un biais massif. Alors que la version Bofferding exigeait des communes qu’elles choissisent un taux d’imposition compris dans une fourchette de neuf à onze pour cent de la valeur de base, le nouveau projet laisse toute latitude aux conseils communaux de choisir le taux qu’ils souhaitent. « Théoriquement, une commune pourrait fixer un taux de zéro pour cent, mais quelle administration communale le ferait ? Elle se priverait de revenus », estime Léon Gloden.

Décharger les bourgmestres de la lourde tâche de fixer le coût de l’impôt, un sujet forcément délicat à manier électoralement, était pourtant l’un des principaux arguments de la modernisation du mode de calcul de l’impôt foncier. Une exemption a été ajoutée pour les agriculteurs et les vignerons professionnels sur les terres qu’ils cultivent, mais pas sur leurs friches.

Impôt de mobilisation, dans dix ans

La création d’un impôt de mobilisation des terrains était tout autant attendue. Ce projet de loi datant de 2022 est perçu comme un outil important, capable d’inciter à développer des logements rapidement sur des terrains disponibles. Leur rétention par les propriétaires dans un but spéculatif est considérée comme un frein majeur à la construction.

Cet impôt sera calculé en fonction de la valeur de base déjà définie pour l’impôt foncier. Il s’appliquera à partir de la cinquième année et augmentera progressivement tous les ans. Son rythme s’accélèrera par paliers, tous les cinq ans, jusqu’à vingt ans où il atteindra son taux maximum.

Un abattement fiscal sera consenti pour chaque enfant jusqu’à son 35e anniversaire. Le précédent gouvernement le limitait au 25e. Les jardins qui entourent les maisons ne sont pas concernés par cet impôt. Enfin, les agriculteurs et les viticulteurs professionnels seront exemptés, sauf si leurs terres se trouvent dans les « zones prioritaires » du Plan sectoriel « Logement » (Luxembourg et sa couronne, Minett, Nordstadt et autres pôles de développement). « Nous voulons favoriser l’urbanisation dans ces secteurs, en suivant les recommandations du Plan directeur d’aménagement du territoire », relève le ministre du Logement Claude Meisch.

De manière surprenante, l’impact budgétaire de l’impôt de mobilisation reste inconnu. Le projet de loi ne contient pas de fiche financière évaluant les rentrées fiscales. Le ministère confirme au Land ne pas avoir estimé les recettes. Il faudra de toute façon être patient. Le gouvernement prévoit une procédure législative qui s’étirera jusqu’en 2028. Une phase test sera alors mise en place jusqu’en 2030, qui devrait être le premier exercice d’imposition. Au plus tôt, les propriétaires de terrains non occupés paieront l’impôt de mobilisation pour la première fois dans dix ans, en 2035.

PPP, des boites noires ?

Avec le développement des deux grandes friches à Dudelange (Neischmelz) et Wiltz (Wunne mat der Wooltz), le Fonds du Logement arrivera à doubler voire tripler le nombre de logements qu’il produira annuellement mais il atteindra ses limites et, à moins d’accroître ses effectifs, n’aura pas les moyens de bâtir beaucoup plus. Quant à la SNHBM, si elle a de quoi faire aujourd’hui avec plusieurs gros projets (Elmen, Itzigerknupp...), ses réserves foncières arrivent en bout de course.

Plutôt que de renforcer les deux organismes publics (ou de créer une grande Société nationale de construction comme le préconise Déi Lénk), Claude Meisch a suivi l’inspiration de la Chambre des métiers, qui conseillait dès 2020 de faire participer les promoteurs privés à la construction abordable.

« Tout ce qui peut permettra d’augmenter le nombre de logements abordables est bon à prendre », assure diplomatiquement Jacques Vandivinit, directeur du Fonds de Logement. Il fait remarquer que, n’ayant « ni grues ni ouvriers », son mode de fonctionnement ressemble déjà un peu à un partenariat public-privé (PPP), « puisque c’est le secteur privé qui construit ce que nous gérons ensuite. » Certes, mais il y a une grande différence, l’ensemble des habitations construites par le Fonds du logement restent dans sa main de manière pérenne.

Le 6 juin, Claude Meisch a donc proposé aux promoteurs de réaliser des projets-pilotes pour tester le concept. Ils sont appelés à développer des programmes sur des terrains leur appartenant, l’État assurant un revenu fixe à hauteur de 80 pour cent de celui du marché pour tous les logements pendant vingt ans. À charge au Fonds du logement d’assurer la gestion locative.

En temps normal, les promoteurs auraient préféré construire et vendre du logement non abordable. C’est-à-dire cher. Le ministre compte sur la mollesse actuelle de l’activité pour les convaincre. Pour la première fois depuis bien longtemps, les développeurs accepteront peut-être des marges plus faibles. Après tout, ces chantiers auront le mérite de faire tourner la boutique et puisque l’État garantit les revenus, les risques sont faibles. À défaut de grives, on mange des merles.

Sandra Huber, CEO d’Iko Real Estate, avoue bien aimer ces PPP qui « permettent de concilier l’intérêt général avec l’agilité du privé. Ce qui compte pour moi, c’est que chacun – public comme privé – reste aligné sur le sens du projet. » Entre les lignes, on comprend que ces PPP ne devraient pas servir de bouée de secours à destination de promoteurs en difficulté.

Le hic, c’est que Claude Meisch a expliqué que les projets seront soumis individuellement et traités au cas par cas, sans contrat-cadre type. « Ce flou est quand même problématique… », dit David Wagner. Le député Déi Lénk, qui reconnait ne pas aimer les PPP quels qu’ils soient, est pour le moins circonspect. « Pour ceux qui profitent du système, c’est toujours la carotte, jamais le bâton. » Le député vert Meris Sehovic se demande ce qu’il se passera vingt ans après la livraison de l’immeuble, la durée du contrat prévue par le ministère. « L’État ayant un droit de préemption au prix du marché au moment de la cession, s’il le rachète, il va le payer deux fois : une première avec les loyers versés au promoteur pendant deux décennies, et une deuxième pour l’acquisition. C’est une logique vraiment très libérale. »

Globalement, l’utilisation de PPP pour construire des logements abordables reste bien mystérieuse, les modalités n’étant pas claires. Le timing, aussi, laisse perplexe : l’appel à projets-pilotes a été lancé avant même que la loi ne soit votée.

Pacte logement 2.0, petit lifting

Le bilan du premier Pacte logement (2008-2020) avait déçu. Sa deuxième mouture emballe davantage, notamment grâce à l’ajout du fameux article 29 bis. Cette disposition prise en 2021 à l’initiative du ministre Henri Kox (Déi Gréng) impose à tous les PAP nouveaux quartiers de compter au moins quinze pour cent de logements abordables, un ratio qui monte à vingt pour cent sur les terrains nouvellement classés en zone constructible et même trente pour cent dans les zones prioritaires du Plan sectoriel « Logement ».

Une nouvelle loi vient simplifier le concept, « tous les projets situés dans les nouveaux quartiers doivent désormais comporter au moins vingt pour cent de logements abordables », explique Claude Meisch. Le seuil minimum de trente pour cent dans les zones prioritaires est maintenu.

Esch, par exemple, ne s’en prive pas. La commune va acheter trois résidences (321 logements) dans le nouveau quartier Rout Lëns (une résidence de logements, une résidence pour étudiants et une résidence pour séniors). Les livraisons débuteront en 2027. « Grâce à ces acquisitions, la commune gèrera près de 800 logements abordables, nous allons doubler notre parc », se félicite le premier échevin eschois Meris Sehovic. « Sans le Pacte logement 2.0, qui subventionne ces achats jusqu’à 75 pour cent, nous n’aurions jamais pu y parvenir. »

Bientôt 800 logements abordables à Esch, 618 aujourd’hui à Luxembourg. Lors d’une conférence de presse donnée au pied des tours du nouveau quartier ultra bétonné de la Cloche d’or, les Stater Sozialisten rappelaient mardi le peu d’entrain déployé par le conseil échevinal DP/CSV à développer son parc de logements abordables. « À Vienne, Berlin ou Stockholm, les logements publics ou à usage social représentent entre vingt et quarante pour cent du parc immobilier. À Luxembourg, nous en sommes à moins de 2,5. Pour une ville qui dispose de 1,3 milliard d’euros de réserve, c’est inacceptable. Il s’agit d’un échec politique majeur aux conséquences durables pour les générations actuelles et futures », juge la conseillère socialiste Maxime Miltgen.

Le président des Stater Sozialisten (et urbaniste de formation) Olivier Bichel fait, lui, remarquer que huit pour cent des logements en Ville étaient inoccupés. Or depuis 2018, une disposition du Pacte Logement autorise les communes à instaurer une taxe sur les logements vacants depuis plus de 18 ans. « En attendant la loi sur l’impôt sur la non-occupation de logements, la Ville a toute latitude pour agir. » Dans les faits, faute de registre (il est en cours d’élaboration au niveau national), la taxation des logements vides est toutefois très compliquée à mettre en place. Jeudi dernier, Claude Meisch et Léon Gloden ont promis de s’y atteler bientôt. 

Erwan Nonet
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