ROUMANIE

Réfugiés ukrainiens et technologies roumaines

d'Lëtzebuerger Land vom 11.03.2022

Zoya, 43 ans, et sa fille Anna, 12 ans, viennent de terminer leur soupe les yeux rivés sur la fenêtre qui offre une vue panoramique de Bucarest, la capitale roumaine. Le 28 février elles ont quitté leur petit appartement de Kiev, la capitale de l’Ukraine voisine, pour trouver refuge chez leurs voisins roumains. Marko, le père, est resté à la maison pour défendre une ville qui vit au rythme des menées de l’armée russe et des fantasmes de grandeur que nourrit le président Vladimir Poutine. « Marko nous manque mais les hommes ne peuvent plus sortir de l’Ukraine, affirme Zoya. On a eu la chance d’être prises en charge par la famille Jianu de Bucarest. »

Zoya et Anna font partie des 260 000 réfugiés ukrainiens qui ont fui en Roumanie depuis le 24 février lorsque Vladimir Poutine a décidé de déclarer la guerre à l’Ukraine. Elles n’ont aucun contact en Europe de l’Ouest, ce qui est le cas de 190 000 de leurs compatriotes qui ont traversé la Roumanie en direction de l’Occident. Les 70 000 réfugiés qui sont restés en Roumanie ont été pris en charge par les Roumains qui ont fait preuve d’un élan de solidarité rarement constaté dans cette partie de l’Europe. « Pour nous la Roumanie c’est l’Europe et on se sent protégés ici, dit Zoya. J’espère que la guerre s’arrêtera un jour et que je pourrai revenir chez moi avec ma fille. »

Pays membre de l’OTAN depuis 2004 et de l’Union européenne (UE) depuis 2007, la Roumanie est une des frontières qui séparent l’Alliance atlantique de l’ancien espace soviétique. Depuis les attaques de l’armée russe contre l’Ukraine le flux des réfugiés augmente tous les jours. « Nous sommes prêts à accueillir 500 000 réfugiés, a déclaré Vasile Dincu, le ministre de la Défense. Nous avons mis sur pied un plan qui prévoit des centres d’accueil dans les grandes villes et à proximité des frontières. » Bien qu’elle soit un des pays les plus pauvres de l’UE la Roumanie est devenue une oasis de paix pour les Ukrainiens chassés de leur pays par la guerre.

L’oasis de paix que la Roumanie offre à ses voisins ukrainiens est dû à la présence de l’US Army qui compte six bases militaires dans ce pays situé aux confins orientaux de l’UE. Le joyau de ce dispositif militaire est le bouclier anti-missiles installé à Deveselu, village situé au sud du pays, que Moscou considère comme une menace pour sa sécurité. « En tant que membre de l’OTAN nous bénéficions de garanties de sécurité que la Roumanie n’a jamais eues, a déclaré le général Daniel Petrescu, chef d’état major. Le comportement agressif de la Fédération de Russie a détruit la sécurité dans cette partie du monde. »

Si les calculs militaires du Kremlin sont difficiles à prévoir, une chose est sûre : l’exode des Ukrainiens dans les pays voisins est une certitude. Comment s’organiser pour faire face à cette marée humaine ? La Roumanie s’est tournée vers les nouvelles technologies et compte sur une petite armée de jeunes informaticiens pour régler ce problème. Ils sont la face invisible d’une opération humanitaire basée sur un algorithme mathématique. Code4Romania (Code pour la Roumanie), une association qui rassemble la crème des informaticiens roumains, tend la main aux réfugiés ukrainiens.

Plus de 2 300 jeunes spécialistes dans l’écriture des codes ont décidé d’utiliser les nouvelles technologies digitales dans la gestion de la crise des réfugiés. « Nous avons stoppé toutes nos activités pour nous concentrer sur des solutions digitales qui peuvent diminuer les effets de la guerre, déclare Bogdan Ivanel, le fondateur de Code4Romania âgé de 35 ans. Il s’agit de plusieurs applications informatiques destinées à aider les réfugiés ukrainiens qui arrivent en Roumanie, dont l’application Dopomoha (« aide » en ukrainien) qui met en relations les Ukrainiens qui cherchent de l’aide et les Roumains qui sont prêts à leur en offrir. Nous utilisons nos compétences pour soutenir la société civile ukrainienne. »

À la frontière entre la Roumanie et l’Ukraine, la file d’attente des rescapés de la guerre s’étend sur plusieurs kilomètres. Ils rêvent de franchir une frontière qui s’étend sur 650 kilomètres et sépare leur pays de l’espace euro-atlantique protégé par l’OTAN et l’Union européenne (UE). Les autorités roumaines ont annoncé qu’elles étaient prêtes à accueillir un demi-million de réfugiés ukrainiens, mais la gestion de cette crise humanitaire n’est pas un long fleuve tranquille. Les centres d’accueil aménagés dans les grandes villes et à proximité de la frontière ne parviennent pas à faire face à cette marée humaine.

Les Roumains se sont mobilisés sur l’application « Dopomoha » pour offrir un toit, de la nourriture, des vêtements et des médicaments à leurs voisins ukrainiens. C’est ainsi que Zoya et Anna sont entrées en contact avec la famille Jianu de Bucarest. « Ils nous ont contacté sur l’application et nous sommes allés les chercher en voiture à la frontière », déclare Constantin Jianu. « Tout s’est passé très vite, se souvient Zoya. Après quelques jours passés ici on se sent déjà chez nous. Finalement c’est ça l’Europe. »

Mirel Bran
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