Les débats autour de la restitution des biens culturels aux pays africains étaient au programme d’une conférence à la Bibliothèque nationale du Luxembourg

La restitution pose question

d'Lëtzebuerger Land vom 28.04.2023

En Occident, l’Afrique est sujette de tous les fantasmes et de toutes les destructions aussi. Une dialectique singulière. Si souvent l’objet de mépris également, appréhendée de haut, captive d’un point de vue surplombant. Comme lorsque Nicolas Sarkozy déclare en 2007 dans son tristement célèbre discours de Dakar que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire »… Dix ans plus tard, au terme du quinquennat de François Hollande, le Bénin adressait à l’État français une demande de restitution d’œuvres pillées à la fin du 19e siècle dans le royaume du Dahomey, au sud du pays. Cette proposition avait été aussitôt écartée par Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre, au motif que le patrimoine des musées français était « inaliénable ». C’est finalement Emmanuel Macron qui s’est montré le plus audacieux sur le sujet. D’une part, il a clairement reconnu que la colonisation était un « crime contre l’humanité », des propos tenus au cours d’un séjour en Algérie qui ont eu une résonance particulière dans ce pays. D’autre part, il prenait tout le monde de court en annonçant l’ouverture d’un chantier alors inédit : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », affirmait-il en novembre 2017 à l’université de Ouagadougou. Dans la foulée, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy ont été chargés de rédiger un rapport remis au Président en novembre 2018 (Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle). Trois ans plus tard, la France est devenue le premier pays à avoir engagé ce travail de réparation morale auprès de la république du Bénin, suivie de l’Allemagne envers le Nigéria. La bataille pour le leadership des restitutions était lancée.

La question de la reconstitution du patrimoine africain s’est invitée la semaine dernière à la Bibliothèque nationale de Luxembourg, où étaient conviés Bénédicte Savoy et Régis Moes pour un débat portant sur « Le long combat de l’Afrique pour son art. Histoire d’une défaite post-coloniale ? », un intitulé emprunté au dernier ouvrage de l’historienne de l’art (Le Long Combat de l’Afrique pour son art, éditions du Seuil, 2023). Mais avant de se projeter aussi loin, Bénédicte Savoy a préféré introduire son propos en commençant par le pays où se tenait la conférence et qui aurait joué, selon ses propres termes, un « rôle central » dans ses travaux. En effet, le Luxembourg lui-même a été privé d’une partie de son patrimoine lors de son annexion à la France en 1797 par Napoléon. Preuve en est la présence, à la Bibliothèque nationale de France, d’un ouvrage manuscrit, connu comme étant les Évangiles d’Echternach, provenant de l’abbaye qui autrefois l’abritait. C’est un ancien moine devenu commissaire de la Révolution, Jean-Baptiste Maugérard, qui s’était spécialisé dans le commerce des pillages des édifices religieux qui aura fait transférer l’évangéliaire d’Echternach à Paris. Selon l’idéologie révolutionnaire de l’époque, Paris devait être « l’école de l’univers, la métropole de la science humaine et exercer sur le reste du monde cet empire irrésistible de l’instruction et du savoir. » Pour exercer cet empire, Paris allait accumuler un patrimoine mondial issu de ses conquêtes en Italie, Pologne, Autriche…

Les demandes de restitution ne datent pas d’aujourd’hui, comme le relate la spécialiste des spoliations napoléoniennes. C’est d’ailleurs l’une des découvertes réalisées avec Felwine Sarr au début de leurs recherches. Dès 1815, une fois Napoléon chassé d’Europe, commence un grand débat qui rassemble des diplomates, des militaires, des lettrés tels que Goethe, Stendhal ou le naturaliste Alexander von Humboldt. Au vingtième siècle, dès le lendemain des déclarations d’indépendance, de nombreux intellectuels africains se mobilisent pour sensibiliser l’opinion au problème des pillages et de nécessaire retour au pays des biens culturels. En 1965, le journal Bingo publie un édito retentissant de Paulin Joachim (Rendez-nous l’art nègre), jusqu’au Times qui fait sa « une » en 1974 sur un sujet similaire après le refus de l’Angleterre de restituer des œuvres au Ghana. Un rapport a même été publié au début des années 1980 par un ancien président du Louvre, Pierre Quoniam, passé inaperçu, oublié, comme les autres voix qui se sont exprimées. Aucune initiative politique n’a été prise en ce sens ; les déséquilibres demeurent criants entre pays du Sud et pays du Nord, où est conservée la plupart des pièces africaines. À l’heure où l’image de la France s’est considérablement dégradée en Afrique, l’acte de restitution, reconnait Bénédicte Savoy, s’inscrit dans une stratégie de soft diplomatie. Mais il serait réducteur de voir les restitutions que sous ce seul prisme : « Le patrimoine et ses restitutions, c’est la mise en œuvre de débats collectifs qui circulent de génération en génération », précise-t-elle. Des débats qui contribuent à libérer la parole et à exhumer la mémoire des peuples. Et à produire des réactions visibles et concrètes sur le continent africain, de la construction de musées (comme celui des civilisations à Dakar par exemple), à la constitution de fonds d’art contemporain nationaux.

Devant un auditoire composé d’une centaine de personnes, Régis Moes, conservateur au Musée national d’histoire et d’art et commissaire de l’exposition sur le passé colonial du Luxembourg (2022), a notamment évoqué le caractère problématique des pièces provenant de la donation d’Albert Spring, issues pour la plupart d’artefacts pillés en Tanzanie. Après avoir présenté les moyens juridiques prévus au Grand-Duché pour contourner le principe d’inaliénabilité des œuvres, Régis Moes a interrogé l’accès aux œuvres pillées : des conditions qui distinguent le Luxembourg (vis-à-vis de l’évangéliaire d’Echternach) de la situation africaine, éloignée des sources abritées par les pays occidentaux. Inversement, Bénédicte Savoy cite le cas récent d’étudiants qui n’ont pu bénéficier en Allemagne d’un visa pour poursuivre leurs recherches au Cameroun. Sur la voie des restitutions, du chemin reste encore à parcourir.

Loïc Millot
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