Le métier de facteur attire toujours. Le Land a suivi Mike da Silva, actuellement en formation. Et a pu se rendre compte de l’aspect social de la profession

Comme une lettre à la poste ?

d'Lëtzebuerger Land vom 28.04.2023

La journée commence à six heures par le tri du courrier. Une machine s’est déjà chargée d’une partie des lettres mais les plus grandes enveloppes doivent être triées à la main, les colis et les recommandés aussi. Mike da Silva, onze ans de livraison derrière lui, est actuellement en formation chez Post : « Je ne m’attendais pas à ça, qu’il y ait autant de préparation, c’est ce qu’on ne voit pas quand on croise le facteur. Il se passe beaucoup de choses avant de pouvoir distribuer le courrier. » Comme les 49 autres apprentis facteurs en 2021-2022, le jeune homme de 31 ans a d’abord passé quelques jours d’observation au centre de distribution et poursuivi avec deux semaines de formation théorique. Il en est actuellement aux deux semaines de pratique, conduites par le facteur formateur Jeff Keipes. Marvin Divo, membre de Post depuis plus de trente ans, assure la théorie. Selon ce dernier, la grande différence entre un débutant et un facteur expérimenté est que l’expérimenté « sait exactement ce qu’il fait » : « Il arrive, il prend ses lettres, il commence à trier à son tempo. Un jeune il va courir, il va là, puis là-bas, et perd beaucoup de temps. » Mike témoigne : « Je suis dans ma bulle, je reste concentré, alors que les autres, les expérimentés, arrivent à discuter en même temps. »

La maîtrise du temps et la méthodologie sont les maîtres mots du métier. Une fois le tri fini, qui dure de une à deux heures selon la quantité, les facteurs partent pour leur tournée qu’ils terminent vers treize heures. La dernière heure est consacrée aux papiers à remplir et à la garde du courrier en cas d’absence. Les membres qui débutent n’ont pas le temps de discuter avec les gens mais, peu à peu, ils parviennent à gérer la durée de leur tournée et s’autorisent des échanges qui font partie de la richesse de la profession. Sacha Petulowa, facteur à Bettembourg et membre du comité de l’Asbl Bréifdréieschgewerkschaft (BG) en fonction de trésorier, atteste de cette proximité gagnée au fil des distributions : « On peut aider, on est témoins des changements ; un bébé qui naît, le parent ou le partenaire qui décède… Tu entends les misères, tu entends le bonheur », résume t-il. Engagé chez Post depuis 17 ans, Sacha note une baisse de la qualité du service en 2011, due à un trop grand nombre de ménages à gérer par facteur. À cette même période, la société décide d’engager des personnes qui ne parlent pas luxembourgeois et les frontaliers viennent soutenir les effectifs. Selon les enquêtes, les clients sont aujourd’hui satisfaits. Le nombre de ménages par facteur continue d’augmenter mais cela s’explique par la diminution du courrier par habitant. En 2005, les facteurs faisaient des tournées comprenant 500 ménages, ils en ont aujourd’hui environ 900 et jusqu’à 1 200 pour ceux chargés des villes et de ses immeubles. Aujourd’hui, les ressources humaines emploient surtout des facteurs venant des pays voisins qui ont au moins trois ans d’expérience. Comme les procédures divergent, ils doivent suivre huit jours de formation théorique et sept jours de pratique, contre dix et quinze jours pour les « non expérimentés ». « J’en suis à ma troisième tournée, là ça y est, j’apprends au fur et à mesure », assure Mike. Sacha Petulowa estime à six mois environ le temps qu’il faut pour être à l’aise avec la plupart des tâches à fournir et les formateurs se doivent d’être « au top des nouveautés » pour pouvoir répondre à toutes les questions sur les différents produits. 

« On apprend en continu, il y a toujours quelque chose que je n’avais encore jamais vu », affirme le trésorier de la BG. Le métier est en perpétuel changement. Moins de courrier ordinaire donc, mais plus de petits colis et de publicités adressées. Un travail au bureau devenu plus important aussi, les grandes listes regroupant les distributions de magazines ayant été remplacées par un papier propre à chaque client par exemple. Sacha se souvient également avoir payé le chômage à ceux qui n’avaient pas de compte bancaire jusqu’en 2006. La digitalisation a bien-sûr également marqué la profession, les facteurs n’utilisant plus de signatures papier depuis plus de dix ans maintenant. « Dans un ou deux ans, d’autres choses seront sûrement encore digitalisées mais le tri et la distribution se feront toujours à la main, je ne vois pas une machine ou un drone faire le travail à notre place », estime le syndicaliste. Aussi, nombreuses sont les choses apprises durant la formation par les futurs collaborateurs qui deviendront obsolètes dans quelques années. La loi du 1er janvier 2024 qui stipulera que les résidents devront communiquer leur volonté de recevoir des publicités – et non le système inverse comme c’était le cas jusqu’à présent – modifiera déjà les tournées. Face à tous ces changements et aux erreurs qui en découlent, la BG aimerait mettre en place un meilleur suivi des nouveaux arrivants, avec notamment des formations supplémentaires, des refresh au cours de la première année. « L’objectif est d’accompagner les facteurs nouvellement recrutés plus souvent et sur une plus longue période, à intervalles réguliers, lors des tournées, afin d’attirer l’attention sur d’éventuelles erreurs et d’améliorer encore la qualité du travail », peut-on lire parmi leurs revendications.

S’il arrive que certains facteurs, notamment dans les zones rurales, amènent du pain ou du lait aux personnes âgées ou entrent dans la maison pour voir si la personne va bien, la mise en place d’un « facteur social » – soit un système payant de services à la personne comme existant en France – n’est encore qu’un projet. Néanmoins, comme le rappelle Marvin, le facteur est social : « Le facteur est très bien vu au Luxembourg, les gens sont généralement accueillants. Au bout d’un moment, ils te connaissent, ils ont confiance en toi, et là il y a des liens qui se créent. » Un des membres de Post est ainsi resté 32 ans sur la même tournée et a connu la famille sur quatre générations. « Alors on l’attend, on l’invite à prendre le café… » Mike da Silva a encore eu peu de contacts avec les clients, seulement des « Ah vous êtes nouveau ? », mais a déjà reçu une boîte de chocolats, comme il précise avec un sourire. Le confinement a encore amélioré l’image du facteur. « Le facteur était ‘normal’, on le voyait mais on ne le remarquait pas, mais ça a changé durant le lockdown », juge le syndicaliste. Les gens, avides de contact humain, ouvraient les fenêtres quand le facteur passait et des remerciements ont été apposés sur les boîtes aux lettres. Petulowa cite une cliente qui lui a apporté une boîte de Merci : un merci d’être toujours là pour lui apporter le courrier. « La pandémie aura remis le facteur en valeur, on est sur une bonne vague depuis trois ans… en espérant que ça dure ! », conclut le membre de la BG.

Tout n’est pas rose non plus. Déjà, c’est un emploi où il n’est évidemment pas possible de faire du télétravail ou des demi-journées – au contraire de ce que recherchent de plus en plus de jeunes –, la tournée doit être faite. Il y a des journées plus chargées que d’autres et on ne peut pas les prévoir. Les facteurs qui font leur tournée en voiture sont contraints par les embouteillages et ceux qui sont à pied, comme Jeff, doivent supporter des conditions météorologiques parfois difficiles. Les membres de Post ont cependant un regard très positif sur leur métier : le contact avec les gens donc est l’aspect le plus mis en avant, mais aussi la liberté de prendre le temps qu’on veut pour faire sa tournée, sans pression commerciale et sans patron dans le dos. « C’est un métier qui redonne beaucoup », assure Sacha. D’autres avantages sont cités comme la sécurité d’être employé dans la deuxième plus grosse société du pays ou encore les horaires – le fait de terminer à quatorze heures permettant de faire d’autres activités et de concilier travail et vie de famille. En outre, à ces heures-là, l’aller comme le retour se font sans encombres. « Avant, je commençais à neuf heures et je partais une heure quinze avant ; maintenant, pour être à l’heure ici, je pars vingt minutes avant, je gagne beaucoup de temps », se satisfait le nouveau venu. Enfin, Post offre aussi la possibilité de changer en interne. Après un minimum de trois ans en fonction de facteur, ceux-ci peuvent se réorienter vers le guichet, la télécommunication ou le garage regroupant les voitures de l’entreprise. Des cours de luxembourgeois sont également proposés depuis peu et Mike attend la prochaine formation, la précédente ayant été rapidement remplie : « En tournée, les gens sont toujours contents de parler luxembourgeois ! » Jeff, qui voit dans le facteur « l’ambassadeur de la poste », en est sûr : « Dans dix ans, le facteur sera encore là, mais avec quels produits autour, ça c’est à voir… »

Yolène Le Bras
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