Roumanie

L’art digital à la rescousse des ours et des forêts

d'Lëtzebuerger Land vom 22.07.2022

L’aventure commence par des petits dessins digitaux qui représentent des ours et des arbres. Ces illustrations sont ensuite exportées sur les réseaux de la web.3, le dernier cri en matière d’innovation sur la toile. C’est ce qu’on appelle des NFT. Les jeunes Roumains en profitent pour sauver les ours et les forêts de leur pays. NFT est l’abréviation de Non Fungible Token, ce qui signifie « jeton non fongible ». Un objet non fongible est un objet unique non interchangeable. Par exemple, le portrait de Mona Lisa peint par Léonard de Vinci et exposé au Louvre est « non fongible », ce qui veut dire qu’il est unique. Les experts évaluent sa valeur à des centaines de millions d’euros. Certes, on peut faire des milliers de photos de ce tableau, mais personne n’offrira des centaines de millions d’euros pour une photo de ce tableau. Les photos ne valent que quelques euros parce qu’elles sont fongibles, c’est-à-dire qu’elles peuvent être reproduites à l’infini pour un prix modique.

Ce qui fait la valeur du tableau original c’est qu’il est unique. Cette unicité, qui garantit sa valeur, est aujourd’hui assurée par la technologie de la blockchain. Un tableau digital peut être enregistré en tant qu’exemplaire unique sur un réseau de la blockchain, et c’est ainsi qu’il devient un NFT. Le caractère unique de cette œuvre est garanti par un algorithme mathématique. Elle peut être vendue sur Internet et celui qui l’achète peut la revendre plus cher si un autre acheteur est prêt à payer le prix. C’est ainsi qu’en l’espace d’un an les collections de NFT ont créé un marché de plusieurs milliards d’euros.

Cette forme d’art digital est la nouvelle religion d’une jeunesse née avec un téléphone mobile dans une main et une tablette dans l’autre. Les Pokémons, c’est de la préhistoire. Aujourd’hui, les NFT et les métavers se multiplient comme des champignons dans l’espace digital. C’est là que les jeunes Roumains sont allés chercher une solution pour sauver les 6 700 ours bruns de leur pays et les forêts des Carpates. « Nous allons créer 6 700 NFT, c’est-à-dire 6 700 images digitales qui représenteront chacune un ours réel, explique Andrei Badita, 32 ans, co-fondateur de ce projet. La plupart des fonds que l’on va recueillir seront distribués automatiquement à un orphelinat d’ours aménagé dans les Carpates. Le transfert de l’argent sera automatique grâce au contrat intelligent que nous mettrons sur la blockchain. Ce projet permettra d’adopter un ours en passant par l’univers digital. »

Le projet « Mos Martin » (le Vieux Martin), appellation populaire des ours en Roumanie, émergera des entrailles de l’espace digital au mois d’août. Il sera accompagné d’un autre projet issu de la même veine, à savoir la plantation d’arbres dans les Carpates, projet que ces jeunes sont en train de mettre an place avec la fondation, « La forêt de demain ». On pourra bientôt acheter un arbre NFT dans l’univers digital, et l’argent sera transféré automatiquement à la fondation qui plantera un arbre dans le monde réel.

Les NFT dont les jeunes Roumains se servent pour changer la donne écologique de leur pays sont le produit de la rencontre entre leur intelligence et celle du robot. Irina Raicu, 31 ans, est l’artiste qui gère leur fabrication. « Aujourd’hui nous sommes capables d’utiliser des réseaux neuronaux artificiels pour créer de l’art, explique cette artiste qui est passée par la Sorbonne pour soutenir une thèse sur l’intelligence artificielle. J‘utilise un code mathématique que j’alimente avec des textes, ce qui lui permet de créer des œuvres artistiques. L’art qui en résulte est la rencontre entre l’humain et l’intelligence artificielle. Le résultat est aussi beau qu’imprévisible. »

L’aventure de ces jeunes Roumains passionnés par les nouvelles technologies se déroule dans un espace créé pour stimuler leur créativité. Mis en place en novembre 2021 dans le centre de Bucarest, le hub V7 est devenu un lieu mythique des start-up qui veulent connecter la Roumanie au futur technologique. Miriam Constantin, 36 ans, la fondatrice de cet espace réservé à l’innovation, a quitté le milieu des grandes entreprises pour travailler dans cet incubateur qui accueille aujourd’hui quinze start-up. « J’avais besoin de donner un sens à ma vie, affirme-t-elle. Je veux me lancer dans cette aventure qui vise à sauver les ours et les forêts de mon pays, et nous utilisons les technologies digitales pour créer un impact dans le monde réel. C’est ça l’astuce des nouvelles technologies : elles créent un pont entre l’imaginaire et le réel et nous permettent d’augmenter la valeur de nos projets de manière exponentielle. »

Ces projets destinés à connecter la Roumanie au futur seront accessibles sur la blockchain Elrond créée en 2018 par Beniamin et Lucian Mincu, deux jeunes frères de la ville de Sibiu, située au centre de la Roumanie. En l’espace de quatre ans Elrond a atteint une valorisation d’un milliard d’euros. « Ce n’est que le début, assure Andrei Badita. Mais plus que l’argent c’est l’idée de bâtir un monde meilleur qui nous anime. »

Mirel Bran
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