Bologna-Prozess

Booster Bologne

d'Lëtzebuerger Land vom 26.05.2005

Enthousiastes. C'est le moins qu'on puisse dire : François Biltgen (CSV), le ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Octavie Modert (CSV), la secrétaire d'État de ce ressort, et Germain Dondelinger, le coordinateur du département Enseignement supérieur du ministère, sont revenus enthousiastes de Bergen, Norvège, où ils ont assisté, les 19 et 20 derniers, à une réunion de leurs homologues européens. À la mi-temps de ce processus informel, la conférence devait faire le point sur l'application du processus de Bologne dans les universités européennes. 

En 1999, ces mêmes ministres ont décidé, à Bologne, d'uniformiser les diplômes universitaires au niveau européen afin de les rendre comparables dans toutes les universités européennes, d'harmoniser les enseignements et d'encourager ainsi la mobilité des étudiants. Selon ce processus, toutes les universités devraient offrir, d'ici 2010, les mêmes enseignements : bachelor (bac +3), master (bac + 5) et PhD (bac +8). Les Français appellent le système LMD, licence, mastère, doctorat. Tous les diplômes devront alors être crédités en ECTS (European Credit Transfer System), unités de valeur dont le calcul se base sur le nombre d'heures de travail d'un étudiant pour obtenir la reconnaissance de cette unité de valeur. Ainsi, un crédit ECTS correspond à entre 25 et 30 heures de travail, l'obtention d'un bachelor demande entre 180 et 240 ECTS.

Les responsables du ministère sont enthousiastes parce qu'il s'avère que pour une fois l'Université du Luxembourg tire un réel avantage de sa naissance tardive. Alors que la loi qui la crée n'a que deux ans, l'Université en tant que structure intégrée (construite avec les morceaux de puzzle qui existaient déjà, comme le Cours universitaire, l'IST ou l'Iserp) peut démarrer avec les nouveaux types d'enseignements sans trop craindre de faire des pots cassés ou de brusquer des enseignants et des structures en place. Alors que dans d'autres pays ayant une longue tradition universitaire, les professeurs et chercheurs craignent une mercantilisation et un nivellement vers le bas du paysage universitaire avec l'introduction du nouveau système de diplômes, couplé à une trop grande autonomie – et donc, à moyen terme, dépendance de moyens financiers privés –, le gouvernement luxembourgeois peut montrer patte blanche : tout reste à créer. Ou presque.

L'Université du Luxembourg démarrera dès la rentrée prochaine avec 18 nouvelles formations de bachelor et une douzaine de masters. Les étudiants de pays tiers n'ont plus que jusqu'au 1er juin pour s'inscrire via le site Internet, les autres pourront le faire jusqu'au 1er septembre prochain. « Le Luxembourg est un bon exemple dans le processus de Bologne, dit la secrétaire d'État Octavie Modert, parce que les étudiants luxembourgeois sont habitués à la mobilité. » La loi de 2003 créant l'Université du Luxembourg a même inscrit une obligation de mobilité dans les cursus universitaires du bachelor, de l'ordre de 30 ECTS, soit un semestre. Ce qui n'est pas sans poser de nombreux problèmes pratiques aux étudiants, et a fortiori aux étudiants non-résidents qui sont déjà « à l'étranger », ainsi qu'à l'Université elle-même. Une des « bonnes pratiques » dont le Luxembourg peut se vanter est son système de portabilité des bourses et autres aides financières, qui est une évidence pour les étudiants autochtones.

Si l'objectif du processus de Bologne est de créer un paysage européen uniformisé dans lequel les échanges et le brain gain entre pays soient la norme, afin de faire de l'Europe intellectuelle une vraie concurrence aux USA par exemple – 45 pays participent désormais au processus, à Bergen, cinq nouveaux comme l'Arménie, l'Azerbaïdjan ou l'Ukraine furent adoptés dans le cercle –, ses conséquences demandent des réformes bien plus profondes que les seules définitions ou dénominations des diplômes. Ainsi, lorsque le ministre François Biltgen constata, lors d'une conférence de presse mardi, que pour beaucoup d'Universités, la mobilité des étudiants est une aubaine quand ils partent, mais un réel problème quand ils arrivent chez eux, cela peut aussi s'appliquer pour le Luxembourg. Il n'est pas sûr que les structures d'accueil et de logement notamment d'étudiants étrangers soient suffisantes. Pour cela, plusieurs projets de construction ou de restauration d'immeubles de logements étudiants sont en cours, mais ne seront prêts que d'ici 2006 ou 2007.

Par ailleurs, il y a, au-delà des études, toujours un réel problème de reconnaissance des nouveaux diplômes. Ainsi, le bachelor n'est pas toujours reconnu comme un premier vrai diplôme final, certifiant d'un cycle complet d'études. François Biltgen, qui est aussi ministre du Travail et de l'Emploi, affiche son souci de garantir « l'employabilité » des bachelors et affirme que l'État luxembourgeois parle désormais en termes de bachelors et de masters dans les nouveaux règlements qu'il élabore. Mais en fait, toute la législation réglant par exemple aussi les carrières de fonctionnaires auprès de l'État devra être revue selon ces nouveaux critères de Bologne : les dénominations bac +2 ou +4 pour ouvrir la voie à certaines carrières sont devenues obsolètes. En parallèle, le Luxembourg doit modifier ses règles pour la validation des diplômes étrangers – les diplômes de fin d'études secondaires type bac seront désormais automatiquement reconnus si la personne dispose d'un diplôme supérieur validé –, mais aussi celle sur l'immigration des étudiants de pays tiers. Il devra être plus facile d'obtenir des visas étudiants, couplés à l'inscription à une université. 

Vient alors l'exercice délicat de l'accès au marché du travail de ces étudiants : le ministre Biltgen est en train d'élaborer un texte qui leur accorde le droit de travailler à côté de leurs études, ne serait-ce que pour les financer. La législation sera toutefois soit assez restrictive pour limiter l'abus et ne pas faire de l'université une porte d'entrée grande ouverte sur un marché du travail européen très convoité de l'autre côté des frontières de l'Union. « La dimension sociale est essentielle dans ce processus, » dit le ministre, et que seules les aides et bourses aux étudiants défavorisés peuvent justifier un système de droits d'inscription à payer par les étudiants. « Et puis, nous devons garantir aux universités un financement durable ! » renchérit-il. Le développement de l'Université du Luxembourg, voire la réussite de cette structure toujours aussi fragile, dépend certainement des moyens que le gouvernement sera prêt à lui allouer dès 2006. Cela se décidera donc dans les prochaines semaines.

 

 

josée hansen
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