Cédric Mayen, Roberto Ricci et Laura Iorio signent, avec L’arc-en-Cieliste, un voyage initiatique fantastique entre la science et la magie. Un album coloré, beau et original

Entre science et superstitions

d'Lëtzebuerger Land vom 30.06.2023

Il y a un côté The Dark Side of the Moon de Pink Floyd dans la couverture de L’Arc-en-Cieliste, le nouvel album du scénariste français Cédric Mayen (Element R, Erwann, Sac à diable, Witch Club…) et du duo de dessinateurs italiens Roberto Ricci et Laura Iorio (June Christy, Le Cœur de l’ombre…). Au centre de l’image, on trouve un prisme à travers lequel la lumière du soleil se décompose en un magnifique arc-en-ciel. Pourtant cet Arc-en-Cieliste, n’a pas grand-chose à voir avec le groupe de Londres, sa musique du groupe rock-psychédélique ou encore avec la scène musicale des années 70.

Cédric Mayen, Roberto Ricci et Laura Iorio entrainent bien les lecteurs en Grande-Bretagne, mais ils remontent bien plus loin dans le temps, au printemps 1666 pour l’exactitude. La peste sévit dans la capitale britannique. À quelques centaines de lieues de là, Hayden Springworth s’ennuie en regardant la pluie qui tombe régulièrement dans ces contrées. Il n’est pas à plaindre ; certes le garçon est le seul enfant dans les parages, certes son père est parti depuis des lustres, certes sa mère est une femme froide qui le regarde grandir de loin et certes sa nourrice est une vieille dame acariâtre, mais le garçon vit tout de même dans un beau château. Sa famille n’a pas de grandes richesses, bien au contraire le jeune homme a depuis longtemps toutes ses chaussettes trouées, mais tout de même un joli titre de lord. « Un Springworth doit toujours être conscient de sa valeur », lui répète d’ailleurs régulièrement sa génitrice, bien heureuse de ses privilèges.

Des choses qui pour l’heure échappent complètement au jeune lord. Lui, ce qu’il aime, c’est l’aventure, se promener dans la nature environnante, surtout les jours de pluie. « Il faut savoir rester à l’affut lors des journées pluvieuses », explique le jeune adolescent fasciné par les arcs-en-ciel, phénomène météorologique certes assez courant mais alors toujours inexpliqué.

Ces arcs-en-ciel, qui figurent d’ailleurs dans le blason familial depuis plusieurs générations l’ont d’abord terrifié, car selon sa nounou et ses croyances gaéliques, ils cachent des leprechaun monstrueux prêts à vous sauter dessus. Une peur dont l’alors enfant n’a pu guérir que grâce à son père. Après tout, ne dit-on pas qu’un magnifique trésor se cache aux pieds de arcs-en-ciel ? Il ne faudra pas plus pour que le jeune Hayden en soit fasciné pour toujours. Il deviendra alors « arc-en-cieliste ». Amateur d’abord, spécialisé ensuite.

Ses vagabondages autour de sa maisonnée lui feront rencontrer l’encore jeune Isaac Newton, qui vient de percer le mystère la décomposition de la lumière en plaçant un quartz devant un rayon lumineux. Les couleurs que l’on observe sont bien celles de l’arc-en-ciel. C’est clair il doit il y avoir un lien. Reste à Newton de découvrir lequel et de comprendre la mécanique du phénomène. Le scientifique prendra le jeune Hayden pour l’aider dans ses recherches.

Mais le temps passant le Lord finira par être envoyé dans le Béarn par missive royale, en remplacement de son père récemment blessé et rentré enfin chez lui. Hayden va devenir hôte captif à la cour d’un puissant duc. Là, il va devoir devenir maître-frappeur de monnaie, comme son père avant lui et tenter de jouer de sa malice pour aider son roi dans ses batailles de pouvoir. Malgré son travail délicat, Hayden est bien décidé à continuer ses recherches pour découvrir le secret des arcs-en-ciel. Mais sa rencontre avec une étrange jeune fille qui semble avoir le pouvoir de faire tomber la pluie va bousculer ses certitudes, sa mission et sa vie.

Voilà un récit bien entamé. C’est frais – le dessin et les couleurs omniprésentes et étonnantes de l’album y sont pour beaucoup –, dynamique et rythmé… La narration mélange grande et petite histoire, science et superstitions, sérieux et dérision… Le tout avec un soupçon de vielles histoires de famille, d’espionnage, de guerres de religion, d’une situation socio-politique et sanitaire complexe, etc. Certes, plus de 350 années nous séparent de ce récit, mais il n’est pas difficile de faire quelques parallèles avec des événements actuels.

Divisé en sept chapitres – plus un épilogue – telles les couleurs de l’arc-en-ciel, cet Arc-en-Cieliste se savoure page après page, avec délectation et facilité, malgré les 96 pages – l’équivalent de deux albums – qui le composent. Les dessins, changeants selon l’ambiance de la scène, sont insolites et déroutants, tout en restant agréables à l’œil. Entre réel et fantastique, entre conte et récit historique, entre quête initiatique, folklore et science… les auteurs trouvent un juste équilibre, tels des peintres expressionnistes à la fin de leurs tableaux. C’est beau, original et surprenant. Un album jeunesse qui devrait plaire à tous les amateurs du neuvième art.

L’Arc-en-Cieliste, de Cédric Mayen,
Roberto Ricci et Laura Iorio. Dargaud

Pablo Chimienti
© 2023 d’Lëtzebuerger Land