Adieu la France, bonjour les États-Unis ! C’est ainsi que la Roumanie pourrait résumer sa nouvelle stratégie en matière d’achats militaires

Un grand appétit pour les armes «  made in USA  »

d'Lëtzebuerger Land du 25.08.2023

Le 8 août, le gouvernement roumain a annulé l’achat de quatre corvettes Gowind 2 500 à la société française Naval Group. Cela marque la fin d’une saga débutée en 2018, lorsque la Roumanie a lancé un appel d’offres pour l’acquisition de corvettes destinées aux Forces Navales Roumaines (FNR). En 2019, Naval Group a remporté une victoire surprenante face au groupe néerlandais Damen, obtenant un contrat de 1,2 milliard d’euros pour l’achat des quatre corvettes Gowind 2 500, équipées par la multinationale européenne MBDA.

L’achat des corvettes françaises visait à équilibrer les investissements militaires en Roumanie entre la France et les États-Unis, ces derniers proposant des contrats alléchants. Cependant, les relations entre la Roumanie et Naval Group ont été tumultueuses. Le groupe néerlandais Damen a contesté le choix de la Roumanie devant les tribunaux. Une fois les recours judiciaires épuisés, les négociations avec Naval Group ont stagné, en raison de désaccords entre le groupe français et son partenaire roumain sur les responsabilités à partager dans le contrat. En juin 2022, une lettre d’intention signée par la France a apporté un regain d’espoir, mais le ministre roumain de la Défense, Angel Tilvar, a mis fin à toute négociation le 8 août.

Malgré les pressions de Damen, qui espérait récupérer le contrat, le gouvernement roumain a tranché rapidement. « Le programme de corvettes multifonctions sera annulé faute de fonds pour déclarer le second opérateur vainqueur », a précisé le ministère de la Défense. Damen, lui aussi, quitte la scène. La Roumanie se tournera-t-elle de nouveau vers les États-Unis pour son équipement militaire ? Depuis 2021, l’administration américaine a autorisé la Roumanie de signer des contrats militaires sans avance financière.

La guerre en Ukraine voisine, déclenchée par la Russie, a poussé la Roumanie à moderniser rapidement son armée sous-équipée. La flotte navale en mer Noire, vulnérable avec des équipements obsolètes, est une priorité pour Bucarest. À quelques centaines de kilomètres d’une zone de conflit, la Roumanie multiplie les acquisitions et renforce son industrie militaire. « Nous faisons face à une guerre de longue durée, a déclaré Mircea Geoana, ancien ministre roumain des Affaires étrangères et secrétaire adjoint de l’Otan depuis 2019. C’est un conflit d’usure et nous manquons de capacités de production à l’échelle de l’Alliance atlantique. Nos bases industrielles ne sont pas prêtes pour un conflit de longue durée, nécessitant chaque jour une grande quantité de munitions. Nous devons augmenter notre production industrielle pour soutenir l’Ukraine. »

Les États-Unis ont entendu l’appel de Bucarest et les investissements américains dans l’industrie militaire roumaine sont en plein essor. En mai dernier, l’usine mécanique de Dragasani, une petite ville du sud de la Roumanie, a reçu un investissement de cent millions d’euros pour produire des poudres à usage militaire. En septembre 2022, la société américaine Lockheed Martin, fabriquant les systèmes d’artillerie Himars, a signé un partenariat avec l’Université technique de Cluj, réputée pour être la Silicon Valley de l’Europe de l’Est. La Roumanie investit également dans les systèmes de défense aérienne Patriot de l’US Army pour 3,7 milliards d’euros et dans l’achat de 54 chars M1A2 Abrams pour un milliard d’euros. Enfin, le 11 août le gouvernement de Bucarest a demandé au parlement le feu vert pour l’achat de 32 avions de chasse américains F-35 pour un montant de six milliards d’euros.

L’influence des États-Unis ne se limite pas aux équipements militaires, elle touche également le secteur énergétique. La Roumanie compte devenir à terme un exportateur d’énergie dans l’Union européenne (UE), d’autant que son partenariat avec les États-Unis lui a permis de localiser des gisements de gaz dans la mer Noire. En 2021, un contrat a été signé pour déployer la technologie des petits réacteurs modulaires (PRM) de la société américaine NuScale dans l’Union européenne. Cette innovation révolutionnaire dans le secteur de l’énergie nucléaire est déjà en test en Roumanie et devrait être déployée dans l’UE d’ici 2028.

Avec la signature de cet accord la Roumanie espère devenir un centre de diffusion des nouvelles technologies PRM dans l’UE et un centre de formation du personnel. « Ce projet permettra de former une nouvelle génération d’ingénieurs qui bénéficieront de l’innovation révolutionnaire de la technologie PRM de NuScale », a déclaré Cosmin Ghita, PDG de la société roumaine Nuclearelectrica. En prime, Washington investit trois milliards de dollars dans la construction de deux nouvelles centrales nucléaires à Cernavoda, ville du sud-est de la Roumanie. L’Oncle Sam renforce son empreinte militaire et énergétique dans un pays où le penchant pro-américain dicte la politique d’approvisionnement militaire.

Mirel Bran
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