La petite avait demandé au Saint Nicolas de ne pas lui apporter de cadeaux. En revanche, elle souhaitait passer une journée de plus chez son père pendant les vacances de Noël. Saint Nicolas ne lui a pas exaucé son voeu. C'était une question de principe, il ne fallait pas que son père obtienne ce privilège après tout ce qu'il avait fait subir à la famille.
«Souvent, ce n'est pas une question de mauvaise volonté de la part des parents, estime Marie Anne Ro-desch, la présidente de l'Ombudscomité pour les droits de l'enfant, les personnes séparées ont du mal à faire le deuil de leur relation et les enfants en portent le fardeau. Ils se sentent impliqués, se retrouvent dans une situation dans laquelle ils doivent choisir leur camp, tiraillés entre le désir de voir le parent absent et le conflit de loyauté envers l'autre. C'est étouffant !»
Il y a des situations extrêmes, où les parents ne communiquent plus que par avocats interposés. Où ils dressent des bilans médicaux avant et après les visites du weekend pour vérifier l'état de la «marchandise». Où ils ne s'adressent plus la parole, déposent la «livraison» à l'autre parent et s'en vont sans saluer. Déchirements, blessures, humiliations.
Un supplice pour tous les concernés qui prend souvent fin lorsque les modalités du divorce sont réglées par le juge. Dans l'intervalle, l'enfant aura été pris en otage, souvent pour obtenir plus de pensions alimentaires. «Il ne faut pas se leurrer, explique l'avocate et députée socialiste Lydie Err, dans la plupart des procès de divorce pour faute, s'il faut déterminer qui est le 'bon' et qui est le 'mauvais', c'est rarement pour n'obtenir qu'une quelconque réparation morale. Quand les conjoints déballent leurs histoires intimes sur la place publique, c'est qu'il y a des intérêts financiers derrière.»
Une faute absolue n'existe pas et les torts apparents ne sont pas toujours aussi évidents qu'ils n'y paraissent. C'est pour cette raison que Lydie Err appuie le projet de loi portant réforme du divorce, qui prévoit de remplacer le divorce pour faute («pour cause d'excès, de sévices ou d'injures graves») par le divorce pour rupture irrémédiable des relations conjugales des époux.
L'Ombudscomité pour les droits de l'enfant vient d'émettre un avis qui suggère par contre de garder le divorce pour faute dans certains cas : il «pourrait être maintenu dans les cas d'extrême gravité telles que violences conjugales, abus sexuels et condamnation criminelle de l'un des époux. La question se pose, en effet, si la société ne doit pas maintenir une certaine forme de divorce-sanction dans les cas extrêmes, permettant de 'punir' pareille rupture grave des liens du mariage et d'accorder des dommages-intérêts à l'époux lésé.» Un argument repris par les Verts et les Libéraux, mais qui ne convainc pas tout à fait Lydie Err, estimant que ces cas de figure sont couverts par les lois prévoyant des sanctions comme celle, récente, sur la violence domestique.
Mais que reste-t-il de l'institution sérieuse du mariage ? Que reste-t-il du contrat qui oblige les conjointsà respecter leurs engagements mutuels comme soutien et fidélité, s'ils ne peuvent plus être sanctionnés lorsqu'ils ne les tiennent pas ? Certains craignent la zizanie : c'est déresponsabiliser les époux ! «Il est probable que beaucoup de justiciables ressentiront comme une injustice le fait qu'une partie puisse violer l'article 212 du Code civil, s'offusque l'Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, qui impose aux époux fidélité, communauté de vie et assistance, puisse se précipiter devant le juge qui en quelque sorte le récompensera en lui accordant sa liberté.» Le projet de loi prévoit que la partie lésée peut toujours demander réparation sur la base de la responsabilité de droit commun, ce qui laisse l'Ordre des avocats présager «une vague incontrôlée» de tels procès.
Rappelons que la réforme devra servir à faciliter les procédures et surtout à éviter les déchirures provoquées par le déballage de méfaits en tous genres, une brûlure trop souvent attisée par des avocats peu soucieux de préserver des relations familiales ou amicales, amenant les proches à poignarder la partie adverse par des témoignages pénibles, blessants et humiliants. D'ailleurs, c'est peut-être la raison pour laquelle le projet de loi prévoit une première rencontre avec le juge sans les avocats, disposition jugée «extrêmement dangereuse» par la corporation des robes noires.
Le sens de la pension alimentaire est aussi changé - le projet de loi préconise une indemnisation plus équitable pour la partie lésée : «Le gouvernement estime que le secours pécuniaire ne doit pas simplement avoir un caractère alimentaire, mais qu'il doit également indemniser dans une certaine mesure la disparité que la rupture du mariage crée dans de nombreuses situations en tenant compte plus particulièrement de la durée du mariage et du temps déjà consacré ou qu'il faudra encore consacrer à l'éducation des enfants».
L'intention est bonne : il faut protéger les femmes qui n'ont pas exercé de profession pendant une certaine période pour s'occuper des enfants et qui sont forcées de reprendre un travail peu après le divorce. Néanmoins, la question se pose si en pratique ce point ne réintroduit pas la faute et si cette disposition ne maintiendra pas l'ancienne épouse dans une situation de dépendance personnelle vis-à-vis de son ex-mari. Un point qui va à l'encontre de l'évolution préconisée par les Verts, par exemple, qui auraient souhaité qu'on se dirige enfin dans la direction de l'individualisation des droits sociaux. L'Ordre des avocats craint lui aussi que «par le maintien de la notion de faute au niveau de la pension alimentaire, les débats risquent de s'envenimer considérablement».
La faculté donnée au juge d'attribuer le bail du logement familial au parent qui obtiendra la garde des enfants jusqu'à ce qu'ils soient majeurs soulève une large opposition. Dans la majorité des cas, une mère pourrait donc obtenir le droit de rester dans la maison de son ex-mari jusqu'à ce que le dernier des enfants ait 18 ans. D'abord, cette disposition viole le droit à la propriété et ensuite les enfants risquent de faire les frais de cette nouvelle disposition - ce qui risque de vider la réforme de son contenu.
L'Ombudscomité s'alarme. Parce qu'il «est clair que le parent propriétaire de l'immeuble propre va tout faire pour obtenir l'autorité parentale exclusive de ses enfants afin d'être certain de ne pas devoir être obligé de donner à bail sa propriété à l'autre époux et ceci peut-être au détriment du véritable intérêt des enfants. Et même dans l'hypothèse d'une décision de justice accordant à l'autre parent l'autorité parentale exclusive des enfants et le bail de l'immeuble propre, ne va-t-il pas être tenté d'influencer les enfants contre le parent gardien, de multiplier les procédures après divorce en vue d'une modification de l'autorité parentale auprès du juge de la jeunesse et ceci toujours et encore au détriment de l'intérêt et la paix des enfants ?»
L'évolution des dernières décennies a marqué un changement de responsabilité envers les enfants. Même si le droit de garde est en pratique confié à la mère, de plus en plus de pères vivent mal la perte de leur autorité parentale. C'est une discrimination intolérable selon le député CSV Laurent Mosar, qu'il souhaite redresser par l'introduction d'une proposition de loi relative à l'exercice conjoint de l'autorité des parents. Dans ce texte, il ne fait pas de distinction entre parents mariés, divorcés, en union libre ou en concubinage. Le principe est clair : un enfant a deux parents, qui doivent se sentir responsables autant l'un que l'autre, même si le droit d'hébergement n'est confié qu'à l'un d'entre eux. Ils doivent pouvoir s'exprimer tous les deux sur des questions de principe comme la scolarisation, la religion ou encore le traitement médical dans des cas exceptionnels comme une intervention chirurgicale par exemple. Laurent Mosar compte aussi éliminer une fois pour toutes un résidu poussiéreux du Code civil : la distinction anachronique et discriminatoire entre enfants légitimes et naturels.
Le projet de loi sur la réforme du divorce n'accorde pas en revanche de manière franche l'autorité parentale conjointe, sauf en cas de divorce par consentement mutuel. S'il est clair que dans certains cas, l'autorité parentale peut être retirée à un parent par le juge parce qu'il est manifeste que ce n'est pas dans l'intérêt de l'enfant, ce principe devrait être évident.
Le service Treffpunkt de Dudelange par exemple, oeuvre depuis des années dans l'optique que l'enfant a le droit de voir ses deux parents et qu'ils devraient décider ensemble des grandes orientations et des principes de son éducation. Ce service intervient pour des causes apparemment perdues, où les parents se sont tellement entredéchirés qu'ils ne s'adressent plus la parole. Le juge peut leur proposer de faire appel à ce service pour que l'enfant puisse rencontrer l'autre parent sur un terrain neutre, avec l'accompagnement d'une équipe de professionnels. Ils peuvent aussi prendre eux-mêmes l'initiative de demanderde l'aide. Le taux de réussite est modeste.
Le problème se pose surtout lorsque le parent qui a l'enfant à charge ne le laisse pas partir émotionnellement. Un chantage affectif qui ne permet pas une rencontre sans mauvaise conscience, sans sentiment de trahison. C'est la raison pour laquelle certains professionnels sont d'avis qu'un enfant ne peut décider par lui-même s'il souhaite revoir l'autre parent, parce qu'il n'est pas libre de prendre une décision, parce qu'il est manipulé, même s'il n'en prend pas conscience. Mais il ne lui restera toujours que ces deux personnes comme parents et l'absence de l'un d'entre eux provoquera soit une idéalisation, soit le contraire dans son esprit. Les parents devraient s'en rendre compte et se poser la question s'ils sont vraiment crédibles lorsqu'ils déclarent que leur seul souci est le bien-être de leurs chers petits.