Les Francofolies d’Esch-sur-Alzette sont devenues incontournables, malgré quelques couacs

Des Francos presque parfaites

d'Lëtzebuerger Land du 13.06.2025

Il ne nous aura fallu qu’une soirée pour constater la réussite du festival, mais aussi quelques petits bémols, qui n’enlèvent rien au caractère incontournable que revêt dorénavant cette grande fête « francophone » eschoise. 33 000 personnes ont assisté aux Francofolies d’Esch ce week-end. C’est moins que l’année passée (40 000 festivaliers), mais cette édition affichait moins de « très gros noms » comme David Guette ou Shaka Ponk (en tournée d’adieu) et une météo incertaine.

Le Parc Gaalgebierg s’est mué en chaudron où un bouillon d’humains s’est fait mijoter par une programmation aussi éclectique qu’à l’accoutumée. Cette diversité reste la marque de fabrique des Francofolies, de La Rochelle à Montréal, en passant par Sofia, Spa, La Réunion, la Nouvelle-Calédonie et, donc, Esch-sur-Alzette (depuis 2022 et sa première véritable édition à pleine échelle).

On parlera plus loin de la programmation musicale qui ne déçoit pas vraiment, mais se conçoit à la faveur de réseaux internationaux d’une industrie bien huilée, dans une forme de « facilité ». Le problème central d’un tel événement réside dans l’accueil des festivaliers, notamment pour le volet de la restauration : Nous sommes restés sur notre faim. Sur le bout de terrain baptisé « Resto’folies » l’offre parait pléthorique. Elle est en réalité restreinte à un max de fritures, entendez junkfood, pour un max de queues. Une évidente déception quand on sait la promesse de ce genre d’événement de s’attacher au « bien manger ». Ce même week-end à côté de Paris, au festival We love Green, des chefs inspirés (et parfois étoilés) cuisinaient des menus végétariens à partir de 10 euros.

Avant de se sustenter, il faut alimenter son bracelet « cashless ». Car dans l’antre du « tout payant », l’argent est numérique, logé dans le QR code qu’on a menotté au poignet. Le système devient courant dans les événements du genre mais on a du mal à se faire à l’idée de « payer pour payer », la machine ponctionnant 1,50 euros lors du chargement, sans avertissement clair et limpide. On sent vite que cette soirée va nous saigner. Les Francofolies est un festival qui coûte, c’est indéniable, tout est ici hors de prix. On se croirait à Coachella, le soleil californien (et Lady Gaga) en moins.

Mais pour rester positif, on s’amuse bien aux Franco. Le cadre est purement idyllique, et même cette scène biscornue sur un terrain en pente, a un charme certain. On passe d’un monde à l’autre en franchissant les parterres des trois scènes et entre deux, les mini-discothèques, la silent disco, ou la chill zone nous permettent un ailleurs qui fait office d’agréable tampon, et c’est assez intelligent quand on vit une programmation aussi éclectique.

Le line-up du vendredi 6 juin a largement conquis notre humeur pourtant mise à rude épreuve. Alors que Tali donnait de la voix pour ouvrir la scène de la clairière, Dori sur la scène du jardin (un espace à taille humaine que l’on adore) encanaillait quelques badauds. L’ouverture de la grande scène par l’enfant prodige du Vapor Dub français pouvait commencer. L’artiste Gabriel Piotrowski, ou « Biga*Ranx », connait une constance dans son projet musical. Et sur scène, même s’il rate ses départs de tracks, sa virtuosité nonchalante l’emporte toujours. De son hommage touchant à son ami feu l’immense Naâman, à son titre Petite Marie, la prestation n’est pas parfaite, mais sincère. Entre deux stars, les producteurs normands de Jersey et la chanteuse mélodique Mathilda sont restés très pros, chauffant les « petites » scènes pour les suivants, avant que Big Flo et Oli n’arrivent. Car oui, l’attente du soir était là, dans le show des deux frangins toulousains. Un spectacle qui s’intéresse moins à la musique qu’au spectaculaire justement, allant jusqu’à reprendre du Daft Punk pour le chanter au micro avec une voix de castra. Une prestation calibrée qui déconcerte entre un professionnalisme abusé, et un certain manque de la spontanéité qui fait le concert live.

Ensuite, si le quintet 15 15, à la musique étrange a su nous convaincre, le franco-américain Marc Rebillet nous a clairement mis la gifle de la soirée, voire de l’année. D’une énergie rare, son live a attiré une foule compacte et largement réceptive à sa musique venue d’une autre constellation. Ses titres sont composés et joués pour et par le peuple remuant devant lui, quitte à faire monter sur scène un civil pour lui prendre sa punch-line « I love your energy guys » et en faire un hit qu’on réécouterait volontiers. Pour finir, Timmy Trumpet (qui n’a de « franco » que son arrogance) a porté son nom sur la grande scène à gros coups de beat électro « infrabassés », sans que ça nous en bouche un coin.

Alors, la façade est proprette, édulcorée et façonnée sur un modèle de rentabilité. Les Franco sont une machine dionysiaque, modelées pour contenter un public pluriel, avec une programmation plurielle, dans un parc aux espaces pluriels, pour des émotions plurielles. Clairement on est loin du naufrage, d’année en année le festival se dirige vers un « perfect ». Reste à ajuster les détails, qui n’en sont jamais vraiment.

Godefroy Gordet
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