Victime de moqueries et d’un manque d’intérêt, le football féminin luxembourgeois a connu des débuts difficiles et commence à peine à être vraiment pris au sérieux. Tessy Troes, réalisatrice du documentaire Um Ball, et Amy Thompson, meilleure buteuse de l’équipe nationale, témoignent

Femmes de foot

La footballeuse Amy Thompson
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 06.01.2023

Quand, du haut de ses huit ans, Tessy Troes apprend qu’elle ne peut pas jouer au foot, un monde s’effondre. Elle trouve la situation incompréhensible : dans sa famille, on ne passe pas un week-end sans regarder ce sport sacré. Deux ou trois ans après ce choc, elle trouvera finalement sa place au sein du FC Mertzig et du FC Ell. Tessy jouera jusqu’à ses vingt ans et étudiera la musicologie avant de travailler pour la Radio 100,7. En 2022, elle s’investit dans de nouveaux projets liés au storytelling, à la recherche et au cinéma. Il en sortira le documentaire Um Ball, qui retrace l’histoire du football féminin au Luxembourg (d’Land du 28.10.2022). L’idée lui en est venue après avoir lu une brochure de la Fifa mettant en valeur le football féminin dans le monde. Mais dans le livre 100 Joer FLF, publié par la Fédération luxembourgeoise de football, seules trois pages sont consacrées aux cinquante ans du football féminin national. Deuxième choc : « Je pensais que les femmes n’avaient commencé à jouer officiellement que depuis 1997 ! » La journaliste va alors chercher à retracer cette histoire méconnue, se demandant « Mais qu’est-ce que j’ai raté entre 1972 et 1997 ? »

Les équipes féminines du Grand-Duché ont rencontré plusieurs obstacles. Leur histoire commence au FC Atert Bissen, qui remporte les deux premiers championnats, avant d’être dépassé par le FC Progrès Niedercorn. Mais, après ça, les championnats féminins ne seront plus organisés. Par manque d’équipes et d’investissements de la FLF, aucun championnat officiel ne sera organisé entre la saison 1978-1979 et celle de 1983-1984. Cinq championnats prônant la supériorité de Niedercorn vont ensuite avoir lieu avant un deuxième arrêt jusqu’en… 1997. Revitalisée par les clubs portugais, la ligue se refonde alors avec toutes les joueuses côtoyées par Tessy. Niedercorn se distingue de nouveau au début des années 2000 et va même avoir l’honneur de jouer à l’international, puis d’autres clubs comme le FC Mamer, le FC Junglinster, le SC Bettembourg ou encore le Racing FC Union Luxembourg vont s’imposer. 

Jouant actuellement au FC Mamer et travaillant comme éducatrice dans une crèche à Schifflange, Amy Thompson fait partie de celles qui ont pu s’illustrer à l’international. Elle a commencé par la gymnastique et la natation et s’inscrit ensuite, à cinq ans, à des cours de ballet. Cinq ans plus tard, elle réalise qu’elle préfère le foot et le ping-pong. À quatorze ans cependant, elle doit faire un choix entre ces deux sports car les matchs ont lieu au même moment. Elle choisit le foot. Quatorze ans, c’est aussi l’âge où elle arrête de jouer avec les garçons et entre dans la section « dames » de Niedercorn où elle restera cinq ans. Une fois majeure, elle va alors passer deux saisons en Allemagne puis aux États-Unis. « Ça m’a plu à fond » affirme-t-elle. « C’est vraiment un autre monde, comme dans les films : il y a de la musique pendant les pauses, beaucoup plus de moyens, c’est plus professionnel et encadré… et le foot féminin a meilleure réputation que le foot masculin. » À propos de son expérience, Amy souligne encore : « Au Luxembourg c’est encore assez facile de se démarquer et d’être la meilleure ou du moins une très bonne joueuse mais il faut que tu fasses tes preuves à l’étranger, et là c’est tout à fait différent. » Une entorse de l’avant-pied l’empêche ensuite de pratiquer durant deux ans mais elle poursuit son travail de coach auprès des dames et des jeunes filles au Luxembourg. La jeune femme de 28 ans a repris depuis maintenant un an et demi.

« J’espère jouer encore quelques années, au moins cinq ans, car, dans le monde du foot, je suis déjà âgée. Je jouerai dans l’équipe nationale tant qu’on me sélectionne », assure la buteuse. « Elle a la première et la dernière phrase de mon film » sourit Tessy Troes. Aidées par la docteure en sociologie Sarah Müller, Tessy Troes et son équipe ont contacté toutes les communes, tous les clubs luxembourgeois, mené pas moins de 150 interviews et analysé des archives de presse. Lors du premier match féminin officiel au Luxembourg, qui a vu s’affronter Belvaux et Bissen en 1972, 1 500 spectateurs sont présents. Les commentaires du Républicain Lorrain, quelque peu condescendants, reflètent bien l’esprit de l’époque : « Certes, on avait déjà vu taper des dames dans un ballon avec quelque talent et une belle ardeur [...] Cette fois, sans être plus chauvin qu’ailleurs, soit dit en passant, il s’agissait de jeunes et jolies filles de chez nous… » Ou encore : « Bien sûr le football pratiqué par nos ravissantes compagnes ne fut pas d’un très haut niveau ; bien sûr par moment, on ne sut plus trop bien si elles couraient après le ballon ou si c’était le ballon qui leur courait après… » Ce regard un peu rabaissant se retrouve dans une autre archive présentée dans le film : « unser Damenfußball steckt doch noch in den Kinderschuhen » ou encore à propos du rachat de Renée Bertame par un club allemand, faisant d’elle la première professionnelle luxembourgeoise de football : « Si les footballeurs masculins luxembourgeois étaient assez demandés jusqu’à présent à l’étranger, il n’en était pas de même des footballeurs au féminin. Il est vrai que sur le plan féminin cette discipline extrêmement virile n’en est qu’à ses débuts. »

À travers les témoignages des anciennes joueuses, on prend conscience du regard moqueur de certains hommes sur le football féminin qui n’a, malheureusement, pas encore disparu. Elles entendaient souvent que « les filles qui jouent au foot feraient mieux de rester dans la cuisine », le football féminin importait peu et n’était pas encore pris au sérieux. Manque d’intérêt, pénurie d’arbitres, bien moins d’occasions de jouer des matchs officiels que chez les équipes masculines… « L’histoire du football féminin fait écho à la position des femmes dans la société, retrace leur évolution à travers trois générations » remarque Tessy. Mais le football féminin luxembourgeois, même si les choses vont en s’améliorant, n’a pas encore rattrapé son retard de quarante ans et les clichés persistent.

Pour Amy Thompson, si une petite fille « a du potentiel », il faut l’encourager à jouer avec les garçons tant qu’elle le peut et « accepter qu’on ne soit pas encore au même niveau ». La joueuse est cependant optimiste : « On est sur le bon chemin, de plus en plus de clubs proposent des sections féminines et le foot féminin est de plus en plus médiatisé. Il faut se lancer, investir, prendre des risques ! » Pour Tessy Troes, les clubs doivent laisser une chance aux femmes, ne pas accorder toute leur attention aux résultats mais « choisir l’intégrité plutôt que le succès ».

Son documentaire veut raconter comment un village peut atteindre cette égalité, réussir à fonder une communauté… et encourager les autres à faire de même. La journaliste reconnaît elle aussi les progrès en cours : « Il y a beaucoup plus de licences délivrées qu’avant et une nouvelle catégorie, celle des ‘Jeunes Filles’ (entre quatorze et seize ans), est apparue il y a une dizaine d’années. Les jeunes joueuses ne passent donc plus directement aux équipes adultes à partir de quatorze ans. Cette nouvelle catégorie leur donne de la visibilité. » Des journées spéciales promouvant le foot féminin sont organisées et portent leurs fruits : « En quinze ans, le nombre de clubs avec une section féminine a triplé », souligne-t-elle et, se rappelant les trajets que devaient faire ses parents depuis le nord du Luxembourg où ils vivaient jusqu’aux clubs où avaient lieu ses entraînements et ses matchs, elle ajoute que la fédération commence à créer des navettes pour les équipes féminines aussi. 

Selon Tessy Troes, si la responsabilité revient avant tout à la FLF, elle regrette aussi l’absence d’un « véritable journalisme sportif » au Grand-Duché, un journalisme qui traiterait de la culture et de la politique du sport, s’appuyant sur des recherches structurées. « Contrairement aux autres pays, il n’y a pas de journaux sportifs pour travailler sur ça, non, on n’y parle que de résultats et de la vie des joueurs ou joueuses. » Des films comme le sien doivent permettre d’ouvrir des portes, de montrer aux jeunes générations tout le chemin déjà parcouru comme preuve que l’on peut encore faire mieux. L’ancienne joueuse veut que les filles qui se lancent dans le foot aujourd’hui aient plus d’opportunités qu’elle n’en a eues et souhaite aussi voir plus de femmes coachs. Amy, qui a exercé ce métier, témoigne que, contrairement à ce qu’encore trop de personnes croient, être à la fois mère et joueuse de foot, c’est possible. « Celles que je connais ont leur soutien de leur partenaire ou de leurs proches, elles arrivent à s’organiser. Dès sept ans, leurs enfants peuvent venir aux entraînements et faire leurs devoirs dans les vestiaires… »

Après un élan d’espoir en 2021 et les deux premiers matchs féminins disputés au nouveau stade national qui opposaient les Luxembourgeoises à l’Angleterre et à l’Autriche, les joueuses se retrouvent de nouveau à jouer sur de plus petits stades comme celui du Gaalgebierg. La faute à un public trop peu nombreux selon la FLF, leurs matchs n’ayant attiré « que » 1 200 personnes sur les 1 500 tickets disponibles. Les joueuses se plient donc encore à la fédération et à leur coach. Peu à peu, on peut cependant espérer que le football féminin gagnera l’estime de tous et que, les femmes aussi, obtiendront leur place au grand stade. « Si c’est le cas », ont promis les anciennes joueuses aux plus jeunes durant le premier visionnage d’Um Ball à Differdange, « on viendra voir le match ».

Yolène Le Bras
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