Bande dessinée

Jones avant XIII

d'Lëtzebuerger Land vom 10.11.2023

XIII, une des séries phare de l’édition BD, ne cesse de se réinventer. Après une série originelle en 19 tomes, un deuxième cycle et une ribambelle de XIII Mystery, l’univers crée par Van Hamme et Vance revient avec un nouveau spin-off et une première trilogie dédiée à Jones.

Jean Van Hamme et William Vance, respectivement scénariste et dessinateur des premiers albums de XIII, âgés désormais de 84 et de 82 ans, ont depuis longtemps passé la main. Mais l’univers qu’ils ont créé ensemble avec, en 1984, Jour du soleil noir, continue à peser lourd dans le marché de la bande-dessinée franco-belge. Au point que, près de quarante ans après la sortie du premier album et seize ans après la fin du premier cycle, un nouveau spin-off vient de voir le jour, avec la sortie simultanée de La Version irlandaise et du Dernier round, 18e et 19e albums de la série. En cumulant toutes ces variantes, ce nouveau XIII Trilogy : Jones – t1 – Azur noir, signé Olivier Taduc (Sark, Les Voyages de Takuan, Chinaman, Mon pépé est un fantôme…) et Yann (Huit mois dans l’enfer des hauts de pages, Les Eternels, Pin-up, Angel Wings…), n’est rien de moins que le 42e album de la saga.

Jones, la plus proche collaboratrice – et plus si affinité – de XIII, avait déjà eu droit à un album dans le cadre de XIII Mystery, en 2010, scénarisé déjà alors par Yann : Little Jones. Comme le titre l’indique, il était alors question de l’enfance de Jones, jeune orpheline noire dans le ghetto de Chicago dans les années soixante, dont le frère adolescent, Marcus, se rapproche du mouvement des Black Panthers et finira par préparer un attentat. La petite fille, par peur qu’il se fasse tuer, finira par le dénoncer.

C’est la suite de cette histoire que nous proposent aujourd’hui Yann et Teduc. Le lecteur redécouvre Jones au tout début des années 1970. Le monde a les yeux rivés sur les écrans de télé pour suivre le sauvetage de l’équipage d’Apollo XIII. C’est le moment que choisit Marcus, pour s’évader de prison en compagnie de ses deux camarades de cellule. Jones est alors officier pilote à l’école de la Navy. La vie militaire convient parfaitement à l’ancienne SDF qui a dû se battre continuellement pour survivre et qui a, depuis, gagné les galons de sous-lieutenant. Les épreuves sont dures, mais Jones a « de petites ailes dans le dos » selon un de ses instructeurs. Et c’est vrai que rien n’effraie la jeune femme ; au point qu’aucun appareil volant ne semble résister à son talent naturel pour le pilotage.

Plusieurs récits vont se poursuivre en parallèle. On suit la vie quotidienne de Jones à l’école militaire, avec ses tests à réviser ou à vivre dans les aspects les plus pratiques – se faire éjecter d’un cockpit ou prendre part à un exercice taille réelle de close combat –, ses relations plutôt aisées avec ses camarades et avec ses enseignants, mais aussi, par moment avec son mentor, l’alors général Carrington. Quelques flashbacks rappellent, cependant, qu’elle vient de loin. On suit la fuite de Marcus et de ses camarades qui les amène dans le quartier vietnamien de la ville. On observe la montée en puissance du mouvement d’activistes amérindiens « Red Power Warriors » dont les leaders vont occuper, armés jusqu’aux dents, l’île d’Alcatraz pour faire entendre leurs revendications au gouvernement américain. Des récits de fictions bien intégrés à la réalité de l’époque, la conquête spatiale, les derniers sursauts du mouvement des droits civiques et puis, et surtout, la guerre du Vietnam. C’est là où sont postés les « Spads », le bataillon dirigé par Carrington, mais aussi de là qu’est revenu, depuis peu, le revêche mais séduisant instructeur McKaa. Bien évidemment ces différents ces décors et ces personnages finiront par se lier et s’influencer dans le récit concocté par Yann et mis en image par Taduc.

Ce Jones s’inscrit parfaitement dans la saga XIII ; c’était d’ailleurs très probablement dans le cahier des charges des auteurs. On a beau connaître les personnages, être habitués aux constructions narratives de la série, la sauce prend encore ! Personnages de fiction, récits imaginaires et moments importants de l’histoire récente américaine se mêlent ici avec intelligence. Certes, comparé aux XIII Mystery, on ressent avec cet Azur noir comme une sensation d’inachevé. Mais quoi que plus normal, on n’est plus là devant un one-shot, mais face à une trilogie clairement annoncée. Le deuxième tome, Rouge Alcatraz, est attendu pour l’an prochain, le dernier tome de la trilogie, dont le titre n’a pour l’heure pas été dévoilé, pour 2025.

XIII Trilogy : Jones – t1 – Azur noir, de Yann et Olivier Taduc. Dargaud

Pablo Chimienti
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