Bande dessinée

Elliot et sa boule d’angoisse

d'Lëtzebuerger Land du 10.03.2023

Théo Grosjean poursuit son analyse de la flippe, du complexe, de l’angoisse, du stress, du mal-être, du traumatise… avec Elliot au collège, l’histoire d’un gamin de 10 ans qui a du mal faire la transition entre le cocon ouaté de l’école primaire et la jungle que représente l’école secondaire

L’arrivée dans le secondaire, qu’il s’appelle lycée au Luxembourg, collège en France ou cycle inférieur en Belgique, est un moment qu’on oublie rarement. Il y a pour certains, l’excitation de faire, enfin, partie « des grands », pour d’autres, les rêves d’indépendance et de liberté, pour d’autres encore l’angoisse d’être livrés à eux-mêmes dans une grande bâtisse, avec des professeurs à la pelle – et non plus juste un maître ou une maîtresse­ – et puis une cour de récréation où tous les coups semblent permis.

Elliot fait clairement partie de ces derniers. Physiquement, il est standard : ni trop grand, ni trop petit, ni trop maigre, ni trop gros… aucune de ces spécificités physiques dont les ados aiment trop souvent se moquer. Sans avoir particulièrement gâté par la nature – il n’est pas non plus le beau-gosse du bahut –, il est dans la norme. On a bien dit physiquement ; car au niveau émotionnel, le pré-ado a clairement quelques soucis. Dès le jour de la rentrée, il se sent en décalage avec les autres élèves de son collège. Alors que les autres parlent foot, lui pense encore aux Pokémon. Et puis, avant même d’entrer en classe, il a l’impression que tout le monde se connaît déjà. « Le collège, c’est pas censé être un nouveau départ ? » se demande-t-il, avant d’ajouter « Maman m’aurait menti ? ».

C’est clair, niveau maturité, on n’y est pas, et comme en plus, il est timide, il a beau essayer de s’approcher de quelques camarades, puisqu’il n’ose pas ouvrir la bouche, les autres font comme s’il n’existait pas. Du coup, pour survivre dans cette jungle, Elliot va s’inventer un ami imaginaire. Il est petit, rond, a quatre petites pattes, deux petites antennes et deux grands yeux. « Wow ! Tu…tu es un truc magique ? Tu vas me guider vers un monde merveilleux ou je deviendrai un grand sorcier ? » lui demande le jeune garçon qui va vite déchanter : « Euh… Je suis une mascotte imaginaire qui représente tes pires angoisses », répond le petit être étrange. Et il poursuit : « Écoute… T’es plus au CE2 (la dernière année de primaire, ndlr), là. Tes petits camarades t’ignorent parce que tu as encore une tête de bébé, et puis ils ont sûrement vu que tu avais une étiquette avec ton nom sur ton pull. Et d’ailleurs tu l’as mis à l’envers. Le plus simple c’est que tu attendes que tous les groupes soient formés. Il restera que les têtes de bébé mal habillées. Ensemble vous formerez le groupe des « sans amis ». Mais au moins tu seras plus tout seul ». Et de conclure : « Bienvenue dans le monde merveilleux de l’adolescence. ».

Vlan ! En une page et un tout petit gag, Théo Grosjean (L’Empire du pire, Un gentil orc sauvage, L’Homme le plus flippé du monde, Le Spectateur…) a déjà placé son personnage, son univers et son concept : « un format de 61 planches à chute avec un fil rouge », proche d’un Titeuf ou Les Nombrils, explique l’auteur dans la préface dessinée de l’album. En le lisant on a d’abord pensé aux Cahiers d’Esther de Riad Sattouf. D’autant que, Grosjean l’explique aussi dans sa préface, « l’idée est de suivre ce personnage et ses camarades le plus longtemps possible, et d’assister à leur évolution, au fil des années ». Principale différence – outre un graphisme plus coloré, tendance orangée, et rond –, alors que Sattouf, s’inspire pour sa série des récits que lui raconte une jeune fille d’un couple d’amis, Grosjean, lui, s’est inspiré de ses propres traumas d’adolescence. « Je m’inspire de mes pires souvenirs, comme la fois où j’ai été le dernier à être choisi lors de la formation des équipes de handball en EPS… Ou la fois où… Non, ça c’est trop la honte. Lisez-le plutôt », lance-t-il directement à ses lecteurs, toujours dans la préface.

On suivra Elliot en classe, dans la cour de récré, à la cantine, en cours de sport ou encore pire, en cours de natation, à la sortie des classes ou encore lors du voyage scolaire pour faire du ski, mais aussi, un peu, chez lui, au square ou encore lors de ses parties de jeu vidéo avec son meilleur (seul ?) ami, Hari.

Destiné à un lectorat jeune, voire proche de l’âge du personnage, avec des gags sur une ou deux pages, un vocabulaire d’aujourd’hui, des préoccupations actuelles… l’album se lit facilement et est agréable, même pour un lectorat plus adulte. Chacun devrait se retrouver dans l’une ou l’autre anecdote proposée par l’auteur. D’autant que, si Elliot a la flippe facile, il devient rapidement attachant et que, l’auteur parvient à donner une certaine humanité même aux pires ennemis de son alter-ego de papier, qu’ils soient camarades ou enseignants. Et puis, vers la fin de l’album, le jeune garçon découvre qu’il n’est pas le seul à être un peu angoissé. Même ces êtres étranges pour lui que sont les filles peuvent vivre mal cette période de la vie.

Dans la préface toujours, Théo Grosjean annonce que, « en même temps que les personnages, le format des livres évoluera aussi » et prévoit déjà que « quand Elliot entrera au lycée, la BD sera plus dense, pour laisser plus de place à ses émotions devenues plus complexes ». Si on comprend bien, on devrait s’approcher alors plus du roman graphique que de la BD de gags. Franchement, on aime l’idée.

Elliot au collège, t1, Panique en sixième, de Théo Grosjean. Dupuis

Pablo Chimienti
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