Schroeder à Luxembourg

Le retour du conciliateur

d'Lëtzebuerger Land du 22.05.2003

Gerhard Schröder multipliait les compliments à l'égard de son hôte Jean-Claude Juncker, samedi dernier à la Gaichel. Le chancelier allemand visitait en famille et en privé le Premier ministre luxembourgeois en rappelant que « bon nombre de compromis au sein de l'Union européenne doivent beaucoup à Jean-Claude Juncker ». Il suggérait par là, alors que « petits » et « grands » dans l'Union s'affrontent à la Convention sur l'avenir de l'Europe au sujet d'un président permanent du Conseil européen, que le Luxembourgeois pourrait être l'homme de la situation.

Il n'y a pas si longtemps, la situation se présentait pourtant de manière bien différente. Juncker, l'éternel conciliateur, s'était improvisé porte-parole d'une large fronde des plus petits États de l'Union dans leur opposition à la création du poste d'un président permanent du Conseil européen. Aujourd'hui, cette présidence tourne tous les six mois parmi les pays membres. 

Rarement avait-on vu Juncker aussi conflictuel sur le terrain international. Mais, assurant ses arrières, il veillait bien à s'en prendre à Valéry Giscard d'Estaing, le président de la Convention, plutôt qu'à Messieurs Aznar, Blair et Chirac, les véritables pères de l'idée présidentielle.

Depuis, le Luxembourg est de retour en mode conciliateur. On multiplie les contacts, se déplace et reçoit. Le chancelier allemand joue un rôle particulier dans cette approche, l'Allemagne étant traditionnellement l'allié du Benelux dans la défense de la tradition « communautaire » de l'Union européenne. Même si Schröder n'est ni connu pour ses convictions européennes ni pour sa capacité de résistance face à la pression de Jacques Chirac, le président français. La République fédérale a ainsi accepté dans un important papier franco-allemand ce nouveau président européen que le Benelux refuse.

À la Convention, la semaine dernière, le Benelux a offert des compromis aux « grands », en espérant améliorer sa position de négociation sur la question présidentielle. Jacques Santer a ainsi annoncé au nom des trois pays - le Luxembourg est le seul pays du Benelux à disposer encore d'un gouvernement opérationnel - être prêt à accepter une Commission européenne avec plus que quinze commissaires, assistés par quinze « commissaires délégués » sans droit de vote au collège. « À titre personnel », l'ancien président de la Commission n'est d'ailleurs pas convaincu par cette proposition. Jusqu'ici, le Benelux plaidait toujours pour la formule « un commissaire par pays ». 

Une autre ouverture des trois pays fondateurs de l'Union est l'abolition de la rotation à la présidence de deux formations importantes du Conseil des ministres : celui des « affaires générales » serait présidé par le président de la Commission, celui des « relations extérieures » par le nouveau ministre européen des Affaires étrangères. Du moins chez Joschka Fischer, délégué allemand à la Convention, ces idées étaient bien accueillies. 

Sur le président du Conseil européen, des ouvertures existent déjà de la part du Benelux : désigner un des chefs de gouvernement en exercice pour une durée dépassant six mois. Plus prometteuses semblent toutefois les tentatives de réduire au minimum les pouvoirs de ce « chairman ». Elmar Brok, influent député européen (CDU), propose de lui retirer toute compétence en matière de relations extérieures. Joschka Fischer veut séparer clairement les compétences de ce président de celles du ministre des Affaires étrangères. Le nouveau « Vorsitzender » serait réduit à déposer des gerbes et à faire la traditionnelle « tournée des capitales » avant chaque sommet.

Samedi dernier, Gerhard Schröder a encore refusé de « relativiser publiquement » son soutien aux propositions franco-allemandes. Reste à voir si, un verre de bière à l'épautre en main, il a été plus loin en privé.

Jean-Lou Siweck
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