La campagne électorale pour les élections communales bat son plein à coup d’affiches et de slogans. L’analyse historique révèle que les partis peinent à se renouveler

vec ou sans les dents

Foto: Hadrien Friob
d'Lëtzebuerger Land vom 19.05.2023

Samedi dernier, la campagne d’affichage pour les élections communales du 11 juin a officiellement été lancée. Dès minuit, les poteaux se sont affublés d’affichettes colorées, les abords des routes principales sont jonchés de grands panneaux de bois et les emplacements officiels, près de bureaux de votes commencent à se remplir. On avait déjà relevé un grand nombre de prospectus divers dans nos boîtes aux lettres, et reçu d’autres des mains des candidats et candidates sur les marchés. Beaucoup ont aussi affiné une communication sur les médias sociaux, changeant leur photo de profil pour l’image officielle, retransmettant tel événement du parti, tel slogan, tel article de presse. Dans un monde de plus en plus stimulé par les réseaux sociaux et le numérique, la communication politique change de forme.

« La communication en ligne ou celle sur un support papier supposent des temporalités différentes », explique Raoul Thill, expert en communication qui a réalisé plusieurs campagnes électorales dans le passé. L’affiche ou le dépliant nécessitent une production plus longue et plus lourde qu’une publication numérique qui peut être plus immédiate et plus réactive. Le degré d’attention à l’un et à l’autre n’est pas le même non plus, même si, sous l’influence de la consommation en ligne et du zapping permanent, « la baisse de la capacité d’attention et de concentration demande des messages courts et faciles à retenir, y compris sur des documents imprimés ». Le spécialiste constate qu’au Luxembourg, comme ailleurs, la communication politique est passée de textes à des slogans, de slogans à des buzz words puis à des hashtags. Cela se vérifie par exemple dans la capitale où #frëscheWand (déi Gréng), #engbesserStad (LSAP), #nobeidir (DP) ou #deibeschtstad (CSV) fleurissent sur les pages Instagram et Facebook des partis. « La stratégie des partis s’apparente de plus en plus à des stratégies de marques ou de produits », avance le spécialiste.

Au delà des différents supports et médias, les publications véhiculent des symboles politiques, notamment à travers les couleurs, les typographies, et autres éléments graphiques utilisés. Une analyse sémiologique met en exergue des choix porteurs de sens et qui participent à la campagne, renforçant chez les électeurs leur sentiment de proximité ou d’écart avec un tel ou tel candidat. C’est ce que révèle une observation des affiches et dépliants des campagnes des élections communales de 2005, 2011, 2017, et d’aujourd’hui, et ce, pour les partis CSV, DP, LSAP et Déi Gréng. L’analyse a porté sur les documents disponibles à la Bibliothèque nationale du Luxembourg où le nombre des publications archivées dépend de la volonté des partis de les y déposer.

Alors qu’en 2005, les photos des candidats du CSV sont presque partout en noir et blanc, les autres partis sont passés à la couleur. Pour l’ensemble des formations politiques, de grandes disparités entre les différentes sections apparaissent : certaines mettent en avant uniquement la tête de liste, d’autres font poser l’ensemble du groupe devant un lieu emblématique de la commune, d’autres encore choisissent une illustration générale (un mousqueton assurant la sécurité du séchere Wee du CSV ou une feuille en gros plan garantissant la croissance verte, Gréng stäerkt). Cependant, la structure des affiches diffère peu d’aujourd’hui : un fond lié à la couleur du parti, les photos des candidats en vignette avec leur nom, et un slogan. L’âge et la profession des candidats ne sont pas toujours indiqués dans les précédentes campagnes alors qu’aujourd’hui, c’est devenu la règle. En une petite vingtaine d’années, les publications électorales ont peu finalement changé. Outre le vieillissement des candidats présents depuis longtemps, il semble parfois difficile de dater ces documents, à part peut-être par les coupes de cheveux et le style vestimentaire.

« En matière de slogan, il est assez difficile d’innover. Le luxembourgeois n’offre pas beaucoup de possibilité de jouer sur les mots et, pour les communales où les étrangers ont le droit de vote, il faut envisager une traduction ou une compréhension facile », détaille Raoul Thill. Aussi, les thématiques et le vocabulaire choisis s’avèrent assez répétitifs : Proximité, ensemble, futur, ons Stad (parfois deng Stad). Avec Méi no, Méi blo ! en 2005, on voit que le DP joue la même carte de la proximité que cette année où le slogan est No bei dir. Entre les deux, on passe d’un côté planificateur avec Zesumme gestalten à une image plus humaine du Mat Häerz a Séil. Le logo représentant un dauphin stylisé, encore à l’œuvre en 2005, a été abandonné au profit des lettres DP tracées rondement en blanc sur fond bleu (foncé), avec un point vert entre les deux. Ce logo n’a pas changé jusqu’aujourd’hui.

Déi Gréng ont aussi fait évoluer leur logo, passant d’un tournesol encadré de noir à une cartouche vert clair aux coins arrondis, le nom du parti en blanc avec le é jaune. Les slogans sont plutôt tournés vers l’avenir : Gréng stäerkt (2005), Besser liewen (2011), Gréng wierkt (2017), Mir schafen Zukunft (2023). « Le style d’image adopté il y a une dizaine d’années, avec des couleurs douces, des fonds un peu flous, est resté le même aujourd’hui », décrit Raoul Thill qui décèle « une esthétique très en vogue chez les Verts allemands vers 2003-2004 ». Le logo du LSAP est, quant à lui, passé d’un rond rouge, avec les lettres blanches légèrement excentrées vers la gauche, à un carré, avec les lettres centrées. « Je ne sais pas si cela dénote d’une volonté politique plus au centre », ironise Raoul Thill. En 2005, la phrase Doheem. A ménger Gemeng se lit dans toutes les communes. Mais en 2011, on trouve peu d’unité dans les slogans socialistes : Gutt Perspective fir Walfer côtoie Une ville pour tous (Luxembourg) ou Fir mech a méng Gemeng (Dudelange).

Le communicant est formel : « Le CSV affiche le plus de nouveauté en termes d’image, avec un changement radical de logo et de couleurs présenté l’année dernière ». En 2005, le logo orange a déjà pris la place de celui en gris et noir. Une tendance dans plusieurs partis chrétiens sociaux en Europe qui délaissent la couleur noire trop connotée cléricale. En 2011, le vert s’ajoute à la couleur orange. Un Zorro stylisé fait campagne. Six ans plus tard, l’orange est toujours de mise, mais dans un carré arrondi. En juin dernier, le nouveau logo conçu par l’agence de publicité hambourgeoise Guru est dévoilé en grandes pompes. Les lettres sont écrites en turquoise, jaune et blanc. « Die Mischfarben sind zweideutig wie das Weltbild einer ‘konservativen Partei der Mitte’. Sie fühlt sich in der Mitte verloren zwischen einer liberalen Regierungskoalition und einer nationalkonservativen ADR-Konkurrenz », analyse Romain Hilgert (d’Land 24.06.2022). Désormais, les fonds sont bleus, plus clairs que celui du DP, pas aussi turquoise que la ligne qui souligne le rouge du LSAP.

Au sein de ce nouveau cadre fixé au niveau national – des couleurs, une typo et les photos de tous les candidats – les sections locales du CSV ont pu chacune déterminer leur slogan et leur stratégie d’affichage. « J’ai mené une réflexion pendant deux ans, avec le partis, avec des amis, avec mes collaborateurs pour choisir une phrase qui résume ma vision de la ville », détaille Serge Wilmes, Premier échevin et tête de liste à Luxembourg-ville. Il considère que la ville doit être ce que « nous en faisons » et indique dès lors Ons Stad. Déi beschte Platz fir ze liewen ! (À Esch, Georges Mischo, bourgmestre CSV sortant annonce Een Esch fir Eis all). Le slogan a été décliné sur des affiches et des dépliants, mais aussi des petits films d’animation diffusés sur les réseaux sociaux. Le tout en trois langues (luxembourgeois, français et anglais), mais jamais ensemble. La section CSV-Stad a ajouté un peu de fonds propres pour prendre plus de photos. Serge Wilmes est présenté sur les Wesselmänner (les grands panneaux de bord de routes) avec des arrières plans correspondants aux thèmes de campagne : la gare, le tram, les commerces, les écoles… C’est aussi lui qui a décidé quelle thématique allait être accrochée à quel endroit et dans quelle langue.

Dans la plupart des organisations, une grande partie de la campagne s’est décidée au niveau national, avec un même photographe pour tout le monde, les mêmes codes couleurs, les mêmes typos. Après avoir confié la réalisation de sa charte graphique à l’agence luxembourgeoise Accent aigu, le LSAP s’est tourné vers l’agence Platzlzwei en Autriche pour l’adapter aux différents formats et situations. « Ils ont mis au point un système très facile à utiliser pour que chacun ou chaque section, puisse introduire sa photo et ses infos dans un cadre défini », détaille Maxime Miltgen, co-tête de liste dans la capitale. Couleurs de fond, recommandations pour le style vestimentaire (pas d’imprimés, pas de rouge), type de lumière : tout est précisé dans un vade-mecum, « mais les sections gardent une autonomie ». Finalement, l’agence Comed est chargée de la réalisation des dépliants, du programme et des affiches, en luxembourgeois et en français. Sur les poteaux, dans les différents quartiers, le choix s’est porté sur un recto-verso : les deux têtes de liste d’un côté, les candidats vivant dans le quartier de l’autre. Pour illustrer les thématiques de campagne, la candidate très impliquée dans la communication puise dans des stocks de photos publics. « Je m’assure ainsi qu’il n’y ait pas de personnes reconnaissables ».

« Le risque avec ce type de photos est de retrouver les mêmes images pour plusieurs organisations différentes et de les vider de leur sens », prévient Raoul Thill. Il dénonce une esthétique qui « rappelle les publicités pour de la margarine dans les années 1990, avec toujours des images de familles idéalisées ». Le DP a également opté pour des photos stock : Deux femmes d’âge et d’origine différents rigolent ensemble, une petite fille mange un petit pain avec gourmandise, une jeune femme sourit sous son casque de vélo, un homme âgé à casquette sourit aussi. À chaque image correspond une phrase, en luxembourgeois, présentant la situation liée à une thématique de campagne, de manière assez peu explicite. « Fir Gromperekichelcher mat mengen neien Noperen », dit ainsi la première. Le texte est écrit en majuscules, comme peint à la main, un choix de typo pour toute la campagne. Le parti a fait appel à une agence de Berlin, « mais plus de travail a été réalisé en interne car nous avons maintenant une équipe solide et compétente en communication », argumente Carole Hartmann, secrétaire générale du DP et candidate à Echternach. « Les bandeaux de couleurs avec le texte en blanc, en majuscules et en italiques sont partout. Ça facilite les choses pour imprimer un texte au dessus d’une photo, mais c’est une solution assez paresseuse et peu créative », regrette Raoul Thill.

Une grande partie du travail est également réalisée en interne chez les Verts. Les illustrations du programme pour Luxembourg-ville ont cependant été confiées à un professionnel. « Il nous importait dès le début et sur tous nos supports de communiquer en quatre langues », détaille François Benoy, tête de liste dans la capitale. Déi Gréng n’a pas voulu trancher entre une focalisation sur les personnes et une communication sur les sujets, aussi le « candidat bourgmestre » est largement mis en avant sur les affiches et les dépliants, dans des environnements symboliques et immédiatement reconnaissables (dans le tram, devant la mairie et dans une rue piétonne). Les écologistes ont produit plusieurs dépliants distribués en toute boîtes, mais refusent les affiches en plastique accrochés sur les poteaux. « Nous préférons des panneaux en bois réutilisables ».

La possibilité de panacher ses votes entre plusieurs personnes et plusieurs partis invite les têtes de listes à se mettre en avant et se pousser du col. Serge Wilmes apparaît ainsi seul et presque à taille réelle sur le dépliant, comme Lydie Polfer (DP) en 2017. François Benoy ne partage la photo avec Claudie Reyland, sa colistière qu’en deuxième page du programme et se montre seul sur les plus grandes affiches. Plus généralement la question de l’attitude sur les photos se pose : Il faut sourire, certes, mais avec un large sourire qui dévoile les dents ou pas ? À Luxembourg-ville, les 27 candidats du DP montrent leurs dents, 18 au CSV, seulement quinze chez déi Gréng, et à peine dix au LSAP. « Beaucoup de candidats veulent avoir l’air cool et sympa en souriant largement. Mais est-ce cela qu’on attend d’un élu ? », interroge finalement Raoul Thill.

France Clarinval
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