Chronique de l’Assoss (1960-1964)

Le temps de tous les espoirs

d'Lëtzebuerger Land du 21.05.2021

L’assemblée générale du 21 décembre 1960 fut, selon le Tageblatt, « assez calme, bien que marquée par un changement de direction assez profond. » Le président sortant, Claude Conter, 31 ans, « disserta avec perspicacité des problèmes de la gauche luxembourgeoise ; il dit l’indifférence de la jeunesse face aux problèmes que pose notre temps. » Les jeunes étaient, selon lui, « foncièrement conservateurs ; ils s’attachent à certains mythes fascisants comme celui du héros sauveur de la patrie ; ils sont anti-démocratiques et la démocratie leur semble un concept vide et inefficace. »

Conter avait tort. Il n’y avait pas de problème de la jeunesse, mais un problème de l’Assoss. Avec l’élection de Norbert Muller comme président, une majorité de jeunes issus de la génération de 1937 firent leur entrée dans le comité. Il fallait maintenant retrouver le contact avec les étudiants, défendre les problèmes des étudiants, s’implanter dans les villes universitaires. Le chemin qui y menait passait par l’Unel, l’Union nationale des étudiants luxembourgeois, qui était l’instance représentative de tous les étudiants luxembourgeois. Longtemps elle n’était que l’addition de l’Aluc et de l’Assoss pour les besoins de la participation aux congrès internationaux, une façade. Il fallait émanciper l’Unel, structurer l’Unel, donner vie à l’Unel, en faire un lieu de débats et de combats, une arène, un parlement.

Finie l’époque où le temps des études était le temps de s’amuser. Les étudiants demandaient des comptes, voulaient être écoutés et étaient prêts à se battre pour leurs intérêts comme de vulgaires syndicalistes. Ils ne se considéraient plus comme des privilégiés. Ils défendaient leurs droits, droit à un salaire appelé « présalaire », droit à la sécurité sociale, droit à un logement, droit à être consultés.

La plus grande concentration d’étudiants luxembourgeois se trouvait à Paris au pavillon belgo-luxembourgeois de la Cité Universitaire. Le directeur de la fondation qui gérait cette institution, Jean Brauns, s’opposait à la tenue du traditionnel bal luxembourgeois, qui était selon lui une « occasion de pelotage et de beuverie », essayait de restreindre l’admission d’étudiantes, voulait empêcher les visites des filles dans les chambres des garçons, et vice versa. Il déplorait une « atmosphère générale délétère influencée par la poussée croissante de l’esprit syndical chez les étudiants ». Brauns était appuyé par l’ambassadeur luxembourgeois, Luc Hommel, qui estimait que la cogestion n’avait pas sa place dans une telle maison et que les pays catholiques avaient une autre conception des relation entre les deux sexes. Lors de l’assemblée générale du cercle des étudiants luxembourgeois, le professeur Solus, éminent juriste et président des Amitiés franco-luxembourgeoises, dit son infinie tristesse d’être forcé à écouter des discours syndicalistes : « Je n’aime pas ce mot de revendications. Il me fait penser à l’homme au couteau entre les dents. » C’en était trop pour les représentants des étudiants : « Les étudiants luxembourgeois entendent désormais discuter entre eux et élire leurs délégués syndicaux sans la supervision de personnalités en cause qui, de l’avis des résidents, avaient abusé de l’assemblée générale de novembre 1963 pour désavouer dans leurs discours les revendications des étudiants. »

La question du syndicalisme étudiant fit l’objet d’un large débat dans la Voix : « Nous sommes trop pieux. Certains ont tracé une image de nous et ils voudraient que nous la respections. Nous aurions été créés pour railler les curés, ce serait notre spécialité pour l’éternité. Nous ne sommes pas des automates de l’anticléricalisme. » Les étudiants auraient à s’occuper désormais de tous les problèmes de la société. « À eux seuls, les étudiants ne sauront jamais s’imposer. Ils ne peuvent pas se satisfaire éternellement d’une abstraite littérature expédiée au ministère de l’Éducation. (…) Ils doivent poser leurs revendications dans le cadre de la nation toute entière et chercher les forces qui ont intérêt à ces réformes. Fils de bourgeois, le syndicaliste étudiant oublie trop facilement qu’il existe des syndicats ouvriers qui ne sont pas de simples corporations ou des émanations d’un parti. »

L’appel fut entendu. Le principal syndicat ouvrier, le LAV, le fit savoir dans l’Arbecht : « Die Arbeitergewerkschaften, die freien Gewerkschaften, werden die durchbrechende Erkenntnis bei den Studenten der Assoss, dass sie als zukünftige abhängige Arbeitnehmer und als derzeitige unabhängige Arbeiter eigentlich in den Arbeitergewerkschaften natürliche Verbündete besitzen müssten, sicher mit Interesse zur Kenntnis nehmen. (…) Sollte nun tatsächlich bei den Studenten der Gewerkschaftsgedanke salonfähig werden, so wäre zu wünschen, dass, wenn er zum Durchbruch kommt, die Studenten ihm auch dann treu blieben, wenn sie nach ihrem Studium ins abhängige Arbeitsverhältnis treten. »

Pour le syndicalisme ouvrier une époque s’achevait également avec le départ à la retraite de la génération des dirigeants marqués par l’échec de la grève générale de 1921, par le repli sur les revendications à court terme et une conception exclusive de l’identité ouvrière. Les nouveaux leaders regroupés autour d’Antoine Weiss étaient conscients de l’impasse. Ils voulaient construire un syndicat regroupant tous les salariés et dépassant les clivages entre travail manuel et travail intellectuel pour mettre en œuvre des réformes de structure qui changeraient les règles de fonctionnement de l’ordre social.

Il y avait une question qui pouvait réunir les jeunes, qu’ils soient ouvriers ou étudiants, c’était celle du service militaire obligatoire. Introduit subrepticement au moment de la Libération, il n’avait jamais été accepté. Du moment que le danger de guerre s’éloignait, il devenait de plus en plus difficile d’obliger les jeunes à perdre un an de leur vie pour des exercices dont l’utilité n’était pas évidente. Pour l’Assoss, l’antimilitarisme était consubstantiel avec l’anticléricalisme. Obéir sans réfléchir était aussi indigne d’un homme libre que de croire sur parole.

L’Assoss engagea les hostilités contre l’armée luxembourgeoise au printemps 1962 en publiant un journal de quatre pages sous le titre « À bas l’armée ». Elle y disait son opposition fondamentale et résolue au principe même de l’armée et rompait avec l’attitude de tous les partis politiques – à l’exception du parti communiste – qui se contentaient de demander une réforme de l’armée, dans la mesure du possible et sous réserve d’un accord préalable de l’Otan.

L’action contre l’armée ne fit pas l’unanimité au sein de l’Assoss. Jean-Marie Meyer, secrétaire parlementaire du DP et membre du comité de l’Assoss, 22 ans, publia dans le Journal une mise en garde sévère : « Que les forts en thème de l’Assoss essaient de comprendre que nous devons mériter de la confiance de nos voisins et nations amies résolues de sauvegarder la liberté des peuples. » Pierre Weyler, 32 ans, lui emboîta le pas dans la Voix : « Une attaque en cas d’affaiblissement des défenses de l’ouest n’est pas exclue. Ce sera alors trop tard pour donner à notre jeunesse une instruction militaire lui permettant de se défendre. (…) Nous enverrions notre jeunesse comme bétail à l’abattoir ».

Pierre Weyler était un jeune médecin-gynécologue, un idéaliste un peu hirsute, très engagé dans le volontariat humanitaire et dans la lutte pour le droit à l’avortement. Il avait travaillé comme coopérant dans la Yougoslavie socialiste du Maréchal Tito puis dans l’Algérie française des généraux factieux. Sa plaidoirie pour l’armée était pour les militants de l’Assoss incompréhensible et inacceptable. Pour toute réponse, Weyler n’eut droit qu’à des quolibets. Weyler persista et inonda la presse de lettres à la rédaction dirigées contre l’Assoss et distribua anonymement pour l’assemblée générale de 1964 une proposition de résolution qui demandait l’adhésion de l’Assoss au parti communiste, une provocation qui ne trompa personne.

Le comité de l’ASSOSS était pourtant loin d’être isolé. Le Lëtzebuerger Land, créé en 1954 par Carlo Hemmer et proche des milieux industriels, prit position par la voix de son directeur: « Dass aber ein Völkchen wie wir, das keinerlei militärische Tradition besitzt und die Dienstpflicht nur dann kannte, wenn sie ihm von außen aufgezwungen wurde, gerade den Anbruch des Atomzeitalters abpasste, um den Militärdienst einzuführen, das müsste man geradezu als tragisch bezeichnen, wenn nicht die Dimensionen, in denen sich dieses Bemühen abspielt, dem Tragischen auch noch einen Hauch von Komik geben würden. »

Le Tageblatt lança en septembre 1962 un supplément culturel hebdomadaire en direction des intellectuels, le Phare. Claude Conter et Roger Linster y assurèrent des rubriques permanentes. Quant au Letzebuerger Journal il fut dirigé de 1959 à 1963 par Henri Koch, tandis que Jacques F. Poos accéda au poste de directeur du Tageblatt en 1964. L’Assoss bénéficiait donc de nombreux relais dans la presse de gauche.

En cette fin de l’année 1962, le cinquantième anniversaire de l’Assoss approchait et il fallait surtout ne pas manquer ce rendez-vous avec les anciens. Le 28 décembre 1962, « quelque 150 Assossards de tous âges » se réunirent à l’Hôtel Brasseur. Le premier président, Henri Schreiber, et Paul Weber, historien et secrétaire de la Chambre de Commerce, y prirent la parole aux côtés de Tony Neumann, président de l’Arbed, et de Paul Elvinger, ministre libéral de l’Économie. Jean-Paul Raus transmit aux anciens le salut des jeunes. « Dans cette euphorie générale, où des hommes de gauche accourus d’horizons politiques parfois foncièrement différents se sont serré la main, pour un soir en l’honneur de leurs rêves de jeunesse, les militants d’aujourd’hui ont puisé cet encouragement amical dont nous avons des fois besoin pour ne pas céder. »

La presse de gauche ne fut pas avare de louanges. Dans le Journal, Emile Marx fit défiler tous les noms qui avaient illustré l’histoire glorieuse du mouvement étudiant. Un Annuaire de 400 pages, le neuvième et dernier de la série, clôtura la célébration avec des textes d’amis proches et lointains comme Jules Prussen, Paul Henkes, Nic Weber, Edmond Dune, Paul Palgen (« Pix »), Ernest Arendt, Robert Gliedner.

L’assemblée générale de septembre 1962 avait décidé de lancer une campagne visant à l’abolition du service militaire et de contacter à cet effet l’ensemble des mouvements de jeunesse. Les négociations furent longues et laborieuses. Les scouts de la Fnel et la Ligue des auberges de jeunesse n’avaient pas de mandat pour s’engager dans une telle action. La JEC, la JOC, la JAC et l’Aluc refusèrent d’emblée toute participation. Les jeunes chrétiens-sociaux et les scouts catholiques vinrent discuter et tergiversèrent sans fin, tout en demandant des concessions substantielles. En décembre 1962, les délégués de l’Unel votèrent une motion contre le service militaire défendue par les cercles de Paris et de Liège, proches de l’Assoss. En février 1963, les organisations de jeunesse syndicales reçurent le feu vert pour s’engager dans l’alliance. Finalement il resta dix organisations qui publièrent le 10 juillet 1963 un « Appel à la population » qui demandait l’abolition du service militaire obligatoire et la révision des engagements internationaux du Luxembourg dans l’optique d’une « contribution finalement non-militaire aux œuvres de paix. » Parmi les signataires, il y avait les Jeunesses démocratiques, les Jeunesses socialistes, mais aussi le Mouvement pour la paix et l’amitié, considéré comme l’équivalent d’une jeunesse communiste.

Ce fut un coup de tonnerre. Le ministre des Affaires Étrangères et de la Force Armée, Eugène Schaus, un libéral, estima nécessaire d’intervenir dans la presse « au nom de l’intérêt supérieur de la nation » et un représentant de l’opposition parlementaire, Fernand Georges, ancien président de l’Assoss et membre de la direction du parti socialiste, lança l’anathème contre les instigateurs d’une initiative, dont l’origine remontait selon lui à l’existence sur le sol luxembourgeois d’une ambassade soviétique sur-dimensionnée qui aurait envoyé ses agents « infiltrer » les mouvements de jeunesse, recruter des « fellow travellers » et leur « insuffler » le virus du neutralisme. C’était le langage de la guerre froide.

La chasse aux sorcières ne fit que renforcer la combativité des jeunes, souder leur unité et leur attira une publicité inespérée sans convaincre les personnes impliquées. Les auteurs de la déclaration savaient qu’aucun espion soviétique n’avait eu besoin de les influencer pour s’opposer au service militaire et ils ne voyaient aucune raison pour exclure les communistes de leur alliance pour des raisons extérieures à la question débattue.

Il n’y avait à ce moment aucun communiste dans les différents comités de l’Assoss et on ne trouvait dans la Voix aucun article ni positif ni négatif sur l’Union Soviétique. La Russie post-stalinienne ne leur inspirait ni un terrible effroi ni un fol espoir. Ils savaient que le statu quo était durablement installé en Europe et que, si le monde était en train de changer, c’est en Afrique, en Asie et en Amérique latine que cela se passerait. L’Algérie avait obtenu son indépendance après sept ans d’une terrible guerre. Cuba avait rejeté les mercenaires qui avaient débarqué dans la Baie des Cochons avec l’appui de la CIA. Et les premiers « conseillers militaires » américains arrivaient au Vietnam. C’était de cela qu’on parlait dans les universités européennes et aux congrès internationaux des étudiants qui s’étaient tenus en 1962 au Québec et à Leningrad avec la participation de l’Unel et donc de l’Assoss.

Le regard de la génération précédente était limité à l’Europe, au conflit Est-Ouest, à la Hongrie, à l’Espagne. Avec la révolte des peuples colonisés la jeunesse étudiante des pays européens fut directement confrontée aux massacres et à la barbarie qui étaient l’essence des expéditions militaires occidentales contre les pays pauvres du Tiers Monde. En 1959, un groupe d’étudiants luxembourgeois en France fit cause commune avec réseaux de soutien au Front de libération nationale qui organisaient l’évasion des combattants algériens et leur passage clandestin à l’étranger. En 1964, le Congo belge acquit son indépendance. La presse luxembourgeoise fit état uniquement des exactions commises contre les colons et les missionnaires et le gouvernement Werner applaudit l’intervention de l’armée belge. L’Assoss déclencha un tollé général en envoyant un télégramme au ministre des Affaires Étrangères belge Spaak pour protester contre l’expulsion des étudiants congolais de Belgique.

L’Assoss était-elle tombée sous la coupe du parti communiste ? Un seul membre avait décidé de sa propre initiative à faire adhésion au communisme, Ernest Erpelding, appelé par ses camarades Mekki d’après le gentil hérisson des albums pour enfants. Son père, un instituteur autoritaire avait de grandes ambitions pour lui. Il s’inscrivit dans une classe préparatoire aux grandes écoles à Nancy et réussit le concours pour l’École Supérieure d’Électricité à Paris. Il arrivait à mener de front ses études et un militantisme tous azimuts, vendant L’Humanité aux marchés du dimanche, fabriquant des pétards à répétition placés la nuit dans l’ascenseur de la Cité Universitaire pour faire enrager le directeur et écrivant sous le pseudonyme de Mackie Messer, le héros de l’Opéra des Trois Sous, des articles sur le jeune Brecht, sur Jaroslav Hašek, l’auteur du Brave Soldat Schwejk, et fut le premier à parler en juin 1963 d’une guerre qui se préparait au Vietnam. Après la fin de ses études, Erpelding se rendit en Union Soviétique pour mettre ses connaissances en circuits intégrés et en micro-processeurs au service de la bonne cause. Il découvrit les désastres de la bureaucratie et de l’économie parallèle. Après son retour, il connut de graves ennuis de santé qui l’obligèrent de renoncer à tout engagement politique.

En 1962, un étudiant en lettres, André Lecuit, eut à répondre de ses actes devant le tribunal militaire. Il avait refusé de transporter des cageots de bière pour le mess des officiers, un vendredi à 18 heures 15, argumentant en bon syndicaliste que le service pour la patrie s’arrêtait à 18 heures. L’armée l’accusa de refus d’obéissance et du vol du contenu d’une bouteille de bière. Condamné en première instance, il fut acquitté en appel.

En 1962 également, Bernard Zamaron, un haut fonctionnaire européen de nationalité française, rendit visite à l’Assoss pour l’inviter à une rencontre internationale du « Réarmement Moral » : « Il nous arracha un matin du lit vers huit heures et demie. Les gens vertueux se lèvent tôt. Il nous aborde avec un sourire franc et loyal. Il évite les raisonnements abstraits et leur préfère l’exemple tiré de l’expérience personnelle. À peine installé, il se lance dans un discours que nous avons beaucoup de peine à interrompre. Il nous explique alors l’incroyable et certainement miraculeuse conjoncture de philanthropie. Il nous entretient de la nécessité d’une révolution pacifique et intérieure …. » Le « Réarmement Moral » se proposait de mener une croisade contre le communisme sur la base d’une religiosité anglo-saxonne et de méthodes empruntées à la communication commerciale.

En février 1964, le Réarmement Moral fit un retour en force, patronné par trois ministres, par les présidents des partis chrétien-social, démocratique et socialiste, par l’Évêque et par le président du syndicat des cheminots. Des pièces de théâtre édifiantes furent présentées aux soldats de la caserne de Diekirch, aux lycéens de la capitale réunis au Théâtre Municipal et au grand public invité au Casino syndical de Bonnevoie par Albert Bousser, le président de la Fédération des Cheminots.

Le rapport secret que les responsables du « Réarmement moral » adressèrent aux autorités compétentes donne une bonne image de ce qui se passa ensuite : « In dem Saal, der mit luxemburgischen Fahnen und Blumen geschmückt war, war ein repräsentatives Publikum von Luxemburg anwesend. Plötzlich wurde die Aufführung durch Zwischenrufe, Pfeifen und Schreien übertönt. Stinkbomben und Knallfrösche wurden unter das Publikum geworfen. Unter den 20 bis 30 Demonstranten befand sich eine Gruppe von Lehrern mit Schülern. Erkannt wurden: Schulmeister Frisch, Primärschule, Professor Steiwer, führend im Clan des Jeunes, Mitglied des Komitees der Unel, Professor Guy Linster, Professor LGL, M. Fayon (sic), M. Majerus, Professor LGL, M. Kieffer, spielt Geige, M. Klecker, Professor, LGL, M. Klein, Professor, M. Steffen, Professor, M. Seil, Professor, verließ aber früh den Saal. »

La presse de droite se déchaîna. « Dass gerade junge Mittelschulprofessoren hierbei ihrer antiklerikalen Gesinnung Luft machen wollten, zeigt wie notwendig eine christliche Lehrerschaft an unseren Mittelschulen wäre. Auch ein Mittelschullehrer ist ein Erzieher! Wie aber kann er als Erzieher wirken, wenn er Jugendliche, die ihm anvertraut sind, und die er durch seine Haltung zu Charaktermenschen bilden helfen soll, wenn er diese aufwiegelt gegen eine moralische Aufrüstung, die auch in Luxemburg Not täte. »

La Voix consacra un numéro spécial au « Réarmement Moral », pour lequel elle fit appel à Pit Weyer et Leo Reuter, appelé Poldi, pour traduire en images ce qui avait été formulé sous forme de textes et de récits. Pit et Poldi se connaissaient depuis l’école primaire. Nés en 1940 et 1941, ils avaient grandi au Limpertsberg, le quartier des couvents et des écoles, où le père de Pit, Lex Weyer, tenait un atelier de graphiste. Depuis 1953, Lex Weyer s’occupait de la décoration du Bal de l’Assoss et concevait les affiches. Pit et Poldi avaient grandi avec le Bal, le Bal fut leur école, leur terrain de jeux, leur fabrique de rêves.

Pit Weyer maîtrisait l’art de l’affiche avec une simplification extrême du dessin, Leo Reuter était arrivé à la caricature par la bande dessinée et le soin porté au détail. Progressivement ces différences s’atténuèrent et on fut en face de deux artistes de plus en plus difficiles à distinguer. Les deux amis suivirent des études artistiques à Düsseldorf et à Sarrebruck à une époque où les dessins anticléricaux et antimilitaristes de Sine et le journal satirique allemand Pardon firent fureur dans les milieux étudiants. 

En 1962, Pit Weyer réalisa pour le Clan des Jeunes une série de dix « mangeurs de curés » qu’il édita en 1964 sur papier spécial, reproduits sur une presse à main. Les dix mangeurs de curés représentaient dix espèces d’assossards : le boy-scout, le bon vivant, l’homme du monde, et dix façons de déguster les curés en conserve, en « filet vatican », en sandwich ou sous forme de biberon. Ces dessins étaient irrespectueux, mais sans méchanceté et avec beaucoup d’auto-dérision. Le sujet, c’était l’anticléricalisme vu avec le sourire.

Pour le numéro spécial consacré au « Réarmement Moral », Pit Weyer et Leo Reuter se partagèrent la tâche. Ils s’attachèrent à fixer d’un trait les perturbateurs de l’Assoss, l’offensive des troupes de choc du « Réarmement Moral », l’aspect larmoyant des confessions de communistes repentis et leur exposition en cage à tigre. Le sujet était cette fois l’anticommunisme et l’américanisme stupide.

L’art des deux artistes atteignit son sommet dans deux dessins qui exploitaient les deux thèmes majeurs de l’Assoss. Le premier, daté d’avril 1963 et dû à Pit Weyer, montre un grand et gros curé face à un corbeau plutôt chétif qui se font face et s’observent, puis un gros corbeau qui s’en va, ne laissant du curé que le chapeau et une goutte de sang qui s’échappe de son bec. Le second dessin, daté de mai 1964 et réalisé par Leo Reuter, montre une tête de militaire avec une casquette qui cache les yeux et un énorme trou noir, la bouche en train de crier. La première image est une transposition de la relation de l’Église et de l’État et préfigure la fin de la domination cléricale. La seconde dénonce l’opération de décervelage appelée militarisme.

Par leur caractère burlesque et enjoué, ces têtes de turc rappelaient leur origine les illuminations nocturnes du Bal de l’Assoss et l’ambiance survoltée des bistrots de la Place d’Armes et des faubourgs. Pit Weyer et Leo Reuter ont réussi à traduire les idées de l’Assoss dans le langage des images, à les rendre visibles et à les transporter dans la dimension de l’instantané, du cri et de la prise de conscience, en retenant le regard du passant et en l’appelant à l’action. 1965 sera l’année de l’action.

1 De 1961 à 1969 huit présidents se succédèrent à la tête de l’Assoss : Gaston Vogel, Jean-Paul Raus, Jos Scheitler, Jacques Steiwer, Guy Schmit, Robert Tonnar, André Hoffmann, Ronald Pierre. La rédaction de La Voix fut assurée par Ben Fayot, Henri Wehenkel, Jacques Steiwer. Le Clan des Jeunes fut dirigé par Claude Wehenkel, Robert Goebbels, Marius de Sterio, Jacques-Yves Henckes, Jo Muttergé, Paul Thévenin, Robert Soisson. Une présence féminine réelle et constante fut assurée par Jacqueline Weyland, Bibi Govers, Alice Harf, Christiane Mahr, Janine Frisch. 

2 Tageblatt, 23.12.1960: « L’Assemblée Générale de l’Assoss ».

3 Voix, N° 135, janvier 1963: « Assoss-Paris ; La Cité Universitaire, un privilège ? »; Pierre Van den Dungen et Serge Jaumain : « Biermans-Lapôtre: histoire d’un mécène et de sa fondation », Bruxelles, 2013. 

4 Voix, 5-6/1961 : « Manifeste ».

5 Arbecht, 6.1.1962 : « Die kleine Revue ».

6 Letzebuerger Journal, 5.6.1962 : « Réponse à l’Assoss »; Voix, N°5, juillet 1962 : « Réponse à Jean-Marie Meyer ».

7 Voix, N° 135, janvier 1963 : « Ma voix dans le desert ».

8 Land, 14.9.1962, C.H. : « Notizblock ».

9 Voix, N° 139, septembre 1963.

10 Voix, N° 140, septembre 1963.

11 Tageblatt, 23.7.1963. « Nützliche Idioten ».

12 Voix, N° 149, juin 1965 : « Le réseau luxembourgeois de soutien au FNL »; Voix, N° 147, janvier 1965 : « L’homme blanc se réveille » ; « L’odieuse guerre du Congo »;
«La guerre des télégrammes ».

13 Voix, N° 137, avril 1963: « Le réarmement moral chez l‘Assoss ».

14 Voix, N° 144, mars 1964. Le rapport contient des
erreurs : J. Steiwer n’était pas membre du Clan des Jeunes. Fayon s’appelle Fayot. Camille Kieffer a été confondu avec le musicien Marcel Kieffer. 

15 Bulletin de la JOC d’Obercorn, mars 1964.

16 Voix, N° 137, avril 1963, R.G. (Robert Goebbels) :
« Pardon, die deutsche satirische Monatsschrift ». 

Henri Wehenkel
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