Vade-mecum pour les élections communales dans la Ville de Luxembourg

Ambitions et arithmétiques

Le Stater DP ce lundi. Au centre : Lydie Polfer ;  à sa droite : Patrick Goldschmidt ;  en marge : Corinne Cahen
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 26.05.2023

Le Stater DP est très nerveux. Son mot d’ordre se résume à « tenir la Ville ». Les libéraux savent que leur bastion est sous siège, et qu’au moindre signe de faiblesse, il sera envahi. Ce lundi, le DP présente son programme au premier étage du Pop-Up Hertz sous des plantes en plastique fixées au plafond. Le nouveau local m’as-tu-vu de la Stater bourgeoisie est géré par un des 27 candidats libéraux, Alexandre de Toffol, précédemment associé du Saumur. La maire Lydie Polfer dirige sa troupe, la disposant pour la photo de groupe : « Tu es un peu plus grand, tu dois te mettre là-bas ». Corinne Cahen est présente, mais se tient à l’écart. La ministre de la Famille a perdu la première manche, n’arrivant pas à s’imposer comme tête de liste face aux établis qui se révoltaient contre ce parachutage. Cette fronde a permis à Lydie Polfer d’endosser une posture sacrificielle, de se présenter comme celle qu’on a prié et qui a donné de sa personne, une sorte de consolatrice des affligés. « Tous les gens, mais alors vraiment tous les gens de mon parti m’ont encouragée », disait-elle mercredi dernier sur RTL-Télé.

Le processus d’érosion remonte à plus loin. Le DP semble avoir atteint son zénith en 1999 : 39 pour cent ; et ceci sans Lydie Polfer et Anne Brasseur nommées quelques mois plus tôt au gouvernement. À chacune des trois élections qui ont suivi, les libéraux voyaient leur score tomber de trois points de pourcentage : à 36 pour cent en 2005, à 33 en 2011 et à trente en 2017. En 2023, le DP se présente avec un duo en tête : Lydie Polfer et Patrick Goldschmidt. Or, le lieutenant est peu crédible comme candidat du renouvellement. En tant qu’échevin à la mobilité, il n’a pas réussi à s’émanciper de la bourgmestre dont le souci du contrôle et du détail lui aura laissé peu de marge de manœuvre. « S’il devait un jour y avoir un changement dans la Ville, je serai prêt à prendre mes responsabilités », déclarait-il sur RTL-Radio mardi dernier, dans un accès de témérité. Puis de préciser aussitôt que de « tels changements ne sont pas à l’ordre du jour en ce moment ». Le lendemain sur RTL-Télé, Lydie Polfer martelait le message : « Il n’y a pas de deal ». Âgée de 70 ans, elle veut dissiper toute rumeur sur une éventuelle rotation à mi-mandat : « Soulaang ech mech an där gudder Form spieren, wéi dat lo ass ».

Au moment où le DP part en campagne, trois élus de 2017 manquent à l’appel. Alors que Jeff Wirtz et Tanja de Jager sont restés inaudibles au conseil communal, l’absence de Héloïse Bock fait tache. Issue de la dynastie des Krieps libéraux, elle fait partie des royals du parti. Or, l’avocate d’affaires et conseillère d’État a clashé avec la ministre de la Famille autour de la gestion de Servior, et en a quitté la présidence en 2019. Mais le DP reste une redoutable machine à gagner les élections. Le parti organise ainsi treize réunions de quartier en amont du scrutin. Parmi les douze nouveaux candidats, quelques noms connus, dont la maître bouchère Anne Kaiffer ou encore le jeune avocat de chez Elvinger & Hoss, Nicolas Wurth, fils de l’ancien président de l’UEL. Passé du family wealth management chez BNP Paribas au groupe parlementaire du DP, le candidat Loris Meyer s’occupe de la coordination de la campagne.

Corinne Cahen s’est jetée dans la mêlée électorale à corps perdu, promettant que si elle entrait au conseil échevinal, elle ne retournerait pas au prochain gouvernement. Elle axe sa communication sur des thèmes écolos et affiche sa proximité avec les Verts. Mais il paraît peu probable que Cahen finisse par supplanter Polfer aux urnes. Même si l’écart entre la ministre et la maire n’avait été que de 150 voix dans la capitale lors des législatives, la polémique sur la gestion pandémique dans les maisons de retraite est passée par là. Ne lui resterait donc qu’une stratégie à long terme. Avant de conquérir le Knuedler, elle devra d’abord conquérir le Stater DP, en y faisant monter ses alliés. Pour le moment, le « team Lydie » reste ultradominant et les ressentiments contre la prétendante vivaces. Parmi la vieille garde, seule Colette Mart ose afficher publiquement son soutien pour Cahen. « De Wieler soll decidéiren ween den 1. op eiser Lëscht gëtt a ween den 2. an den 3. », écrivait l’échevine à l’enseignement sur Facebook, présentant la candidature Cahen comme « un vent nouveau ».

« Wenn der Gemeinde nicht mehr Befehlsgewalt über die Polizeikräfte eingeräumt werde, sei dem Sicherheitsproblem nicht beizukommen », dit Polfer au Land. La citation ne date pas de 2023, ni de 2013, ni de 2003 mais de 1993. Trente ans plus tard, la maire mène toujours campagne avec le même logiciel. Sur son terrain de prédilection elle retrouve le CSV de Laurent Mosar. Le revirement vers un libéralisme de droite fut amorcé dès la mi-mandat, lorsque la Ville envoyait des sociétés privées patrouiller l’espace public. La maire libérale n’hésita pas à entrer en conflit avec trois ministres du gouvernement Bettel. Quoiqu’usée, la stratégie sécuritaire pourrait de nouveau s’avérer gagnante. La maire sortante a d’ores et déjà réussi à imposer ses thèmes de campagne aux médias.

Depuis 1982, Lydie Polfer a réussi à dompter une série de premiers échevins CSV : le clérico-conservateur Léon Bollendorff, l’ex-militaire Willy Bourg, l’orfèvre des institutions Paul-Henri Meyers, le libéral-sécuritaire Laurent Mosar. Aucun d’entre eux n’aura réussi à ébrécher l’hégémonie du DP. Au contraire, le CSV se fit peu à peu ravaler au rang de junior partner. Ses résultats déclinaient d’élection en élection, passant de de 31,5 à 19,5 pour cent entre 1981 et 2011. Ce n’est qu’en 2017 que le CSV inverse la courbe et remonte à 25 pour cent, porté par la tendance nationale et la promesse de renouveau incarnée par Serge Wilmes.

Face à la maire, Wilmes a paru médusé, mercredi dernier sur RTL-Télé, Le quadra aurait aisément pu jouer la carte du renouvellement et du rajeunissement. Il ne l’a pas fait. Ce ne serait pas son style de mener campagne contre un autre parti. Ce ne serait pas non plus à lui de juger si la longévité en politique constituait un avantage ou un désavantage. La stratégie de Wilmes est d’apparaître aussi inoffensif que possible et à ne surtout pas cliver. À l’entendre parler, on le croirait à la tête d’une des « sociétés d’embellissement » qui florissaient à la fin du XIXe siècle. Le mot « kiosques » tombe à cinq reprises, rien qu’à la première page du programme du CSV. Son slogan « Le meilleur endroit où vivre » pourrait être issu d’une pub immobilière. Il s’est imposé comme Spëtzekandidat unique du CSV, refusant de partager l’affiche avec Elisabeth Margue, l’étoile montante du CSV. « Pourquoi aurions-nous fait une Duebelspëtzt ? Cela ne fait pas sens. Il y a un maire et pas deux », dit-il au Land. Wilmes exprime haut et fort son ambition de devenir bourgmestre.

Il en a eu l’occasion en 2017 déjà, par l’arithmétique d’une triangulation noire-verte-rouge. Mais Wilmes finit par choisir les seconds rôles. Il opta pour des ressorts peu compromettants : échevin du Commerce, du Tourisme, des Parcs et Espaces verts. Il s’improvisa expert en politique du trottoir, laissant les décisions urbanistiques – celles qui font et défont les plus-values – à Lydie Polfer. En 2023, le CSV braconne sur les terres du DP ; la liste est quasi-exclusivement constituée d’avocats, de commerçants, de managers et de médecins, et pour compléter cet aréopage de notables, la présidente de la Chambre des notaires. « Le pool d’électeurs est ce qu’il est ; et les électorats du CSV et du DP ont toujours été proches », estime Wilmes. Paradoxalement, la force du CSV pourrait tenir aux discordances idéologiques entre ses mandataires : du poster boy climatique Paul Galles à l’enfant terrible de la twittosphère Laurent Mosar.

Si Wilmes n’a pas tenté le coup il y a six ans déjà, c’est aussi parce qu’il ne sentait pas d’atomes crochus avec Sam Tanson, alors tête de liste verte. La chimie avec François Benoy devrait être meilleure. Déi Gréng ont lancé la campagne dès l’été dernier, présentant le député comme bourgmestrable. Une première, se félicite le parti dans son programme. Un tel scénario reste pourtant peu probable. Déi Gréng devraient d’abord rattraper le CSV qui avait six points de pourcentage d’avance au dernier scrutin. Serge Wilmes devrait ensuite accepter de se contenter de nouveau du rôle de premier échevin, mais cette fois-ci sous un bourgmestre de deux ans son cadet.

Contrairement à Wilmes, Benoy n’hésite pas à s’attaquer au DP, même si cela pouvait couper les ponts vers un retour au collège échevinal. C’est que, de toute manière, une coalition avec Lydie Polfer n’est plus une perspective particulièrement attrayante aux yeux des Verts. La seconde mi-temps de la deuxième coalition bleue-verte (2013-2017) a laissé un goût amer. Autant la collaboration Helminger-Bausch aurait été constructive, autant le partenariat Polfer-Tanson se serait révélé laborieux. « On a eu énormément de difficultés à avancer. Beaucoup de projets ont été bloqués par vous et votre majorité », lançait Benoy en direction de Goldschmidt sur RTL-Radio, mardi dernier. Les Verts semblent par contre avoir peur d’apparaître comme « soft on crime ». Interrogé par RTL sur l’opportunité d’introduire une police municipale, le candidat vert ne voulait se fixer : « C’est une idée… C’est une possibilité qu’on a. » (Face au Land, il précise ne pas être en faveur de cette idée qui soulèverait « plus de questions que de réponses ».)

Pour former une coalition sans Polfer, le CSV et les Verts auraient probablement besoin d’un troisième partenaire, le LSAP. En 1993, les socialistes tenaient encore au-dessus de la barre des vingt pour cent ; en 2023, ils risquent de tomber en-dessous de celle des dix pour cent. Le départ à Bruxelles de Marc Angel laisse un grand vide en termes de voix. Le parti a fait le pari du renouvellement, envoyant Gabriel Boisante et Maxime Miltgen au casse-pipe. L’entrepreneur en gastronomie (Urban, Paname, Bazaar) et la communicante (au ministère de l’Intérieur), sont suivis par des descendants de familles socialistes : une Fayot (Cathy), un Goebbels (Gil) et un Krieps (Tom). Le programme du LSAP a été publié tardivement, et il s’avère maigre : quelques revendications génériques et beaucoup de photos de Boisante et de Miltgen.

Au niveau national, Déi Lénk a été secoué par des dissensions autour de l’obligation vaccinale et les livraisons d’armes. Mais au niveau communal, le parti espère maintenir son score de 2017 (6,8 pour cent). C’est que sa liste compte deux députés en rotation (David Wagner et Nathalie Oberweis) ainsi que les deux conseillers sortants Ana Correia da Veiga et Guy Foetz, très actifs au conseil communal. Que la gauche radicale avoisine les sept pour cent dans la capitale est en soi une anomalie historique. Même dans les années 1970 et 1980, le KPL n’y avait jamais réussi à dépasser la barre des cinq pour cent.

Avec Tom Weidig, l’ADR présente une tête de liste très marquée à droite. Après le départ précipité de Roy Reding, et la désertion de Marceline Goergen (qui a rejoint le CSV), le siège semble compromis. Les Pirates sont confiants de pouvoir le capter, ainsi qu’éventuellement un aux Verts. Leur tête de liste, Pascal Clement, est un employé bancaire retraité qui, au milieu des années 90, s’était essayé comme magicien et « mentaliste » semi-professionnel. Il est surtout le père du PDG des Pirates, Sven Clement. Sociologiquement parlant, la liste des Pirates est la plus diverse : On y retrouve un serveur, un ouvrier agricole et une esthéticienne aux côtés d’un avocat, d’une médecin et d’un ancien CEO de la Deutsche Bank Luxembourg. Quant à la liste Fokus, menée par l’ex-secrétaire général du DP, Marc Ruppert, elle a brièvement fait parler d’elle grâce à la proposition de réaménager le parking du Glacis afin de créer un marché couvert, des petits restaurants, voire une piscine à ciel ouvert. (Ruppert se montre par contre très peu intéressé à y construire des logements abordables.) Parmi les candidats, on retrouve l’ancien haut fonctionnaire Daniel Miltgen (père de Maxime), le président de l’Union des consommateurs Nico Hoffmann ou encore l’ancien général (et transfuge de l’ADR) Mario Daubenfeld.

Bernard Thomas
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