Lecture croisée des programmes électoraux pour la Ville de Luxembourg

« Sieft frou »

d'Lëtzebuerger Land vom 26.05.2023

« Food trucks », « tiers lieux », « parcs canins ». Les promesses se suivent et se ressemblent, au fil des programmes concoctés en amont des élections pour le Knuedler. Chaque parti tâche cependant d’y mettre une unique selling proposition. Le DP promet des « piscines supplémentaires », dont une, à ciel ouvert, à la Kockelscheuer. (Fokus en préférerait une au Glacis, le LSAP au Kirchberg.) Déi Gréng veulent offrir un pass « Interrail » à tous les enfants de la Ville pour leur dix-huitième anniversaire. Le CSV propose d’ériger des kiosques, beaucoup de kiosques. Déi Lénk songe à « cinq nouvelles bibliothèques de quartier », le LSAP à « un nouveau terrain de rugby » et les Pirates à « un cimetière pour animaux ». Quant à l’ADR, il promet « méi lëtzebuergesch Nimm op Schëlter ».

De nouveaux logements abordables, Déi Gréng veulent en construire « davantage », le CSV « des milliers » et le LSAP 1 400 (d’ici 2030). Quant au DP, il promet investir « au moins » cent millions d’euros par an. Les libéraux mettent le futur « écoquartier » Portes de Hollerich dans la vitrine, un mégaprojet conçu par Paul Helminger... il y a presque deux décennies, et toujours au point mort. Le DP veut également « engager […] un dialogue avec les propriétaires de logements vacants. Ce n’est pas trop tôt. Dans son nouveau Plan d’action logement, la majorité admet que « la Ville n’a pas pris d’initiative pour mobiliser des logements inoccupés » et qu’elle « n’a pas d’aperçu à ce sujet. »

Tous les partis veulent désormais verdir la ville. Alors que le projet Royal Hamilius (décidé par le DP et les Verts), et les réaménagements de la Place de Paris et du Knuedler (décidés par le DP et le CSV) parlent une langue très minérale, le CSV promet « un scellement minimal des surfaces », le DP des « places publiques aménagés en fonction du climat » (c’est-à-dire « partiellement désimperméabilisées ») et Déi Gréng la « végétalisation systématique des zones urbaines, des toits et des façades ».

Face au succès du tram (95 000 passagers par jour), le DP plaide désormais pour son extension. Sur RTL-Radio Patrick Goldschmidt réécrivait l’Histoire en live, s’adressant à François Benoy : « Sieft frou, dass d’Madame Polfer do wor, dass mir lo sou ee schéine Tram hunn ! » Tous promettent la réduction du trafic de transit et une amélioration des pistes cyclables. Le vélo s’est imposé comme nouvel objet du Kulturkampf entre les anciens et les modernes, et le DP craint finir du mauvais côté du Zeitgeist. Car la question expose les limites de la politique clientéliste de Polfer qui tente d’éviter en toutes circonstances de froisser les riverains. Ce n’est qu’au compte-gouttes, que la maire a accordé des concessions aux cyclistes. Le rapport de force entre mobilité « douce » et « individuelle » se négocie donc encore souvent dans les rues. Dans son chapitre sur la criminalité, l’ADR écrit : « Dir sollt Iech iwwerall an ëmmer sécher fillen ». Dans celui dédié à la mobilité, on lit : « Sécherheet ass och ons wichteg, mee et muss a Mooss bleiwen. »

Sur la question des zones 30, un consensus semble se dessiner. Déi Gréng veut en faire « la règle », Déi Lénk « la vitesse par défaut », le LSAP veut les « généraliser » et le CSV l’introduire « dans toutes les rues de la ville (à l’exception des grands axes routiers) ». Seul le DP n’en parle pas, préférant « des radars pour contrôler la vitesse ». Le parti libéral s’engage cependant à « repousser le trafic de transit hors des quartiers résidentiels en introduisant des systèmes de sens unique », tout en promettant « garantir durablement l’accès à la ville pour les visiteurs ». Le parti se félicite aussi d’avoir réaménagé le parking de la Place du Théâtre et « agrandi » celui du Knuedler. Déi Lénk proposent, eux, de « surtaxer les places de parking adaptées aux SUV ». L’ADR se défend de toute « diabolisation de la voiture ».

Sur le sujet scolaire, la plupart des partis restent éminemment génériques voire totalement muets. Le DP et Déi Gréng osent une petite sortie en faveur des écoles à journée continue (Ganzdaagschoul). Le premier y est « favorable », les seconds veulent en créer « à moyen terme ». Quant aux projets-pilotes d’alphabétisation en français, les Verts veulent les « promouvoir », tandis que Déi Lénk proposent prudemment de « prendre part à la discussion ». (Bien qu’initié par son ministre, le DP n’en parle pas.) Le fait qu’un enfant sur deux ne fréquente plus l’école communale n’est mentionné dans aucun des programmes, à part celui de Déi Lénk qui y voit un risque d’« atomisation » de la société. La gauche radicale est également la seule à vouloir « endiguer drastiquement » le tourisme scolaire ; une revendication qui semble électoralement suicidaire tellement la pratique est répandue. Par moments, le parti s’enferme dans le carcan corporatiste des syndicats enseignants. Les écoles publiques internationales seraient ainsi un système « parallèle » menaçant « l’unicité » du système scolaire.

En ce qui concerne la sécurité, le DP, le CSV et l’ADR sont sur une ligne ; la droite populiste félicitant Polfer et Wilmes d’avoir voulu interdire la mendicité. Les trois partis plaident pour la réintroduction d’une police municipale, placée « sous l’autorité du bourgmestre ». Les programmes restent vagues quant à la mise en pratique. Le parti libéral estime que ces unités devraient être « mises à disposition » par la Police nationale, le CSV qu’elles devraient être « bannent der Police Grand-Ducale ». Samedi dernier, l’ancien procureur d’État à Diekirch, Jean Bour, soulevait une série de questions dans le Wort. Une telle police communale « sera-t-elle placée sous la seule direction du bourgmestre avec les risques d’influence que cela comporte ? S’agira-t-il d’une police ‘au rabais’ par rapport à la police (étatique) ? » Et de pointer « le danger d’un émiettement des forces et synergies si difficilement réalisées par la fusion ».

Micro-fiefs

En 1957, la Ville comptait 9 400 électeurs de plus qu’en 2017. Cette atrophie du corps électoral explique que les communales continuent à se jouer dans un entre-soi anachronique, marqué par les clientélisme. Aux communales de 2017, le DP a récolté 30,04 pour cent au niveau de la Ville. Les libéraux surperforment dans certains quartiers : 31,2 pour cent à Cessange, 32,2 à Dommeldange-Eich et 35,2 dans le bureau de vote du Cerclé Cité. Au Pfaffenthal, le parti a toujours pu compter sur la loyauté des ouvriers communaux et capte encore 36,5 pour cent des voix. Dans le quartier plus bobo de Bonnevoie-Sud, le DP ne réalise « que » 28,2 pour cent. Au Kirchberg et dans le Rollingergrund, les libéraux se classent même derrière les chrétiens-sociaux. Emmené par le gendre idéal, Serge Wilmes, le CSV (25,03 pour cent) réalise sa meilleure performance dans les beaux quartiers de Belair (28,4) et de Merl (29,3), et explose la concurrence dans la Fondation Pescatore (40,1). Le score des Verts (19,3 pour cent) enregistre des pics à Weimerskirch (23,4) et au Pfaffenthal (23,7) ; et des bas à Eich (15,5) et à Cessange (18,8). Chuté à un score désastreux de onze pour cent, le LSAP n’a résisté qu’à Eich (16,6 pour cent). Le vote Déi Lénk (6,8 pour cent) dépasse les huit pour cent à Bonnevoie, à la Gare et à Clausen-Grund. Dans les quartiers de Dommeldange (8,4) et du Kircherg (9,0), la gauche radicale devance même la gauche sociale-démocrate. Dans les secteurs bourgeois de Merl-Belair, le score de Déi Lénk tombe en-dessous de cinq pour cent, celui du LSAP à neuf et quelques. L’ADR se retrouve largement marginalisé (4,3 pour cent), enregistrant son score le plus faible au Limpertsberg (2,7) et son score le plus fort au Pfaffenthal (10,9). bt

Classe et nation

12 600 non-Luxembourgeois se sont finalement inscrits sur les listes électorales de la Ville. Par rapport aux 68 000 électeurs potentiels, ce n’est pas énorme. Par rapport aux 32 000 électeurs luxembourgeois, c’est quand même considérable, un quart du corps électoral. C’est la grande inconnue du scrutin. Les partis ont du mal à cerner ces nouveaux électeurs, et vice-versa. Les étrangers nouvellement inscrits viennent s’informer aux stands électoraux sur le paysage politique et cherchent des analogies politiques avec leur pays d’origine. À l’inverse des Luxembourgeois qui viennent surtout y formuler leurs doléances.

Parmi ces nouveaux électeurs, les Français sont de loin la nationalité la plus représentée (3 200), devant les Portugais (1 600) et les Italiens (1 300). Publié l’année dernière, le rapport de l’Observatoire social de la Ville du Luxembourg livre en vrac des données sur le revenu moyen par nationalité. Dans une ville où 56 pour cent des habitants travaillent dans la finance, les écarts sont énormes. Le salaire moyen est ainsi de 2 000 euros pour les Portugais, de 6 000 pour les Luxembourgeois et de 6 500 pour les Français. (Ces chiffres sont partiels, car ils ignorent les revenus en capital, notamment la rente locative dont profitent surtout les Luxembourgeois.)

La situation matérielle a évidemment un impact sur le comportement électoral. Parmi les 13 200 Français ayant voté au Luxembourg, Emmanuel Macron a ainsi engrangé, dès le premier tour de la présidentielle, 49 pour cent des voix. Ce qui pourrait être un bon signe pour le DP, dont le Premier ministre affiche sa proximité avec le Président français. Mais ce fut surtout le score réalisé par Éric Zemmour au Luxembourg (10,5 pour cent contre 7,2 en France) qui avait choqué en avril 2022. La base électorale de ce vote d’extrême-droite devrait en partie se recouper avec un milieu qui a gagné en importance au Grand-Duché : La haute bourgeoisie française ultra-catholique, aussi libérale sur les questions économiques que conservatrice sur les questions sociétales. Le LSAP a espéré que Gabriel Boisante, sa tête de liste franco-luxembourgeoise, réussirait à convaincre l’électorat français. Ces attentes ont été quelque peu refroidies. Maxime Miltgen constate que les Français rencontrés aux stands « ne sont pas convaincus par le socialisme ». Le comportement électoral est davantage lié à la classe sociale qu’à la nationalité. bt

Bernard Thomas
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